mardi 4 mars 2008

CHAPITRE 3 MOBILISATIONS (3/4)


Un peu plus loin, le voilà qui croise deux vieilles connaissances, Péhèmix et bétépix qui fument une cigarette d’un air détaché, à l’extérieur du pavillon où se tient la réunion de leur fraternité patronale.

« Ben, en voilà des drôles de têtes. Que faites-vous dehors les gars ? » demande Didactix.
« Nous attendons notre tour, cher camarade » répondent en chœur les deux compères, avant de se voir demander par Didactix « pourquoi ne pas attendre à l’intérieur ? »

« Afin d’éviter l’agacement par Lugh ! Tu sais bien comment ça fonctionne dans notre maison des petits patrons » souligne Bétépix.

« À vrai dire, pas vraiment » leur signifie Didactix interrogatif.

« Comment t’expliquer », dit Péhèmix, tout en écrasant sa cigarette. « Voilà ! Lors de nos réunions, chaque groupe prend la parole tour à tour selon un ordre préétabli, le notre intervenant en tout dernier lieu ». Puis il explique ce qui suit.

Le premier groupe conduit par Capitalrix est constitué de faux petits patrons puisque leurs petites entreprises appartiennent à des grands groupes. Ils représentent l’un des nouveaux visages de ceux qui sont au sommet de la chaîne alimentaire économique. Capitalrix affirmera que toutes les entreprises, quelles que soient leur taille, ont les mêmes intérêts, que les grandes entreprises ne sont pas les adversaires des petites mais des alliés face à la mondialisation, que ces grands groupes bien que représentant moins de 10% des entreprises produisent plus de la moitié de la valeur ajoutée et leur fournissent bien du travail. Par conséquent ces grands groupes doivent êtres écoutés quand ils expliquent que la mondialisation implique que les Etats fassent peser le coût de leur modèles sociaux sur les bénéficiaires, les seuls travailleurs. Des travailleurs qui doivent se débrouiller pour leur être utiles en tant que salariés en forme, bien formés, compétents, efficients, sans que les grandes entreprises n’aient à participer par l’impôt à ce qui permet cela, et utiles en tant qu’enthousiastes consommateurs sans avoir à participer à ce qui permet cela également, que ce soit en termes de salaires ou de pensions. "Fabuleux non ?!?"

Le deuxième groupe est constitué par les poissons pilotes du premier. Indépendants mais coincés entre la concurrence exercée par les grands groupes à l’intérieur et celle des entreprises installées dans les paradis fiscaux et autres enfers sociaux, ils finissent par adhérer au message du premier. Certains étant même heureux de manger les miettes coincées entre les dents des prédateurs économiques. « Nos charges, nos charges, nos gages » ! Et tant pis pour les salariés.

Manger pour vivre ou vivre pour manger, telle est la question de la mondialisation.

Puis il y a le groupe de ceux dont la devise est chacun pour soi. Artisans, chefs de micro-entreprises, ils estiment que tout le monde doit trimer autant qu’ils triment. Chacun sa vie, chacun son petit profit, chacun sa propre prévoyance et tant pis pour la cohésion de la nation.

« Enfin vient le tour de notre groupe », soupire Péhèmix.

Un groupe de petits patrons estimant que la prospérité des uns participe à celle des autres, qui refuse de subir la pression de grands groupes, la pression de leurs intérêts financiers, d’où découlent sous-traitances en cascade, avec pour conséquence le fait que les risques soient finalement assumés par ceux qui se trouvent en bout de chaîne, pour le seul profit des requins de la finance. Une pression synonyme de faibles marges pour leurs petites entreprises, d’une moindre valeur ajoutée pour la nation, de salaires plus bas distribués à leurs salariés, d’une couverture-sociale quasi-absente pour eux-mêmes. Un groupe qui estime que le travail doit être bien plus récompensé que la spéculation et qui dénonce l’internationale des rentiers, qui de toute ethnie, de tous pays, s’entendent par-dessus leurs concitoyens pour défendre leurs seuls intérêts.
Un groupe qui tiendra un tout autre discours en assemblée. Il expliquera, entre autres, que dans une société apaisée et adulte, chacun doit accepter ses responsabilités. Les salariés se devant de reconnaître l’utilité des entreprises et la valeur des entrepreneurs en tant qu’agents économiques. Des entrepreneurs qui doivent assumer quant à eux leurs obligations sociales et fiscales.

« Un discours que tu devines difficilement convaincant surtout s’il vient après la longue série de litanies libéralistes », maugrée Bétépix. « Je comprends », acquiesce Didactix, « c’est pas gagné

« C’est pas qu’on désespère car je suis certain qu’un jour, notre conception des choses apparaîtra comme évidente au plus grand nombre, mais en attendant c’est pas plus mal de s’en griller une petite à la fraîche » dit Péhèmix en reprenant une cigarette.

Soudain, un bruit sourd. « C’est quoi ça ! » s’exclame Didactix en se retournant. « Oh, rien de grave. C’est Dogmatix qui comme d’habitude espionnait les discussions qui se tiennent dans notre maison et qui vient de tomber de son échelle sociale » sourit Bétépix.

« Oui, je vous espionnais et alors », leur sert un petit personnage hirsute portant des lunettes noires et une chemisette à l’effigie du Che. « De toute façon, vous les patrons, on ne peut pas vous faire confiance, toujours prêts que vous êtes à comploter contre les travailleurs. Mais cela changera un jour. Par la revanche de la classe prolétaire, nous renverserons votre dictature infâme ! »

« Oui, je sais, Dogmatix, pour installer la vôtre de dictature, bien réelle cette fois-ci », répond Péhèmix froidement. « On connaît la chanson camarade. Il faudra juste que tu expliques un peu mieux aux gens comment tu réussis à décréter que les patrons ne sont pas des travailleurs, à décréter que je ne travaille pas, comment dans une société ouverte et libérale comme la nôtre, contrairement aux sociétés de castes de type ancien-regime, tu peux continuer à délirer sur la lutte des classes. Que je sache, il t’est possible de devenir fonctionnaire, où la notion d’exploiteur-exploité est toute relative, artisan, profession libérale ou que sais-je encore de totalement libre ou inexploité. Tu peux même devenir patron hyper-sympa, dirigeant d’une coopérative ou cogestionnaire d’un entreprise collectiviste si cela te chante. Que nous n’ayons pas toujours les mêmes intérêts soit, que des gens se regroupent pour défendre des intérêts communs re-soit, mais de là à décréter la guerre permanente me pousse à te conseiller de passer du café à la tisane mon pote. »

« Ben, oui tiens, et si tu remplaçais le drapeau rouge par le thé de même couleur. Il paraît que c’est plein d’antioxydants. Ça te fera un substitut utile à tes drogues anti-occident, non ? », complète Bétépix.

« Ça ne m’étonne pas de vous, bande de patrons. Nier le pouvoir que vous avez sur vos salariés, c’est tout vous ça ! » répond Dogmatix.

« Un pouvoir, un pouvoir, faut voir ? Car dans une République, sociale y compris, comme la nôtre, on a surtout des obligations et des responsabilités. T’oublies bien vite que notre pouvoir de direction est tempéré par un Code du Travail tout sauf laconique. Un ensemble de lois que je ne rejette pas, mais que je semble à l’inverse de toi, intégrer dans ma réalité. Car vois-tu, mon cher Dogmatix, contrairement à toi, je ne nie ni la réalité, ni mes droits, ni mes devoirs et surtout pas mes responsabilités. Dis-moi déjà, mon petit Dogmatix, quelles responsabilités assumes-tu déjà ? Ne fronce pas le front à ce point, tu vas te claquer un anévrisme. Et oui, mon gars, surtout n’hésite pas à créer ton entreprise histoire de voir ce que ça fait… C’est ça, tourne-nous le dos, va bouder et n’hésite pas à retomber de ton échelle le jour où t’auras autre chose que des malédictions et autres prières marxistes à nous opposer… Il commence à m’énerver celui-là aussi », conclut Péhèmix agacé.

« Eh ben ! il est plutôt rigolo votre petit camarade », s’esclaffe Didactix, en faisant remarquer, au passage, que la porte du pavillon vient de s’ouvrir sur un personnage qui semble les appeler. « Et oui, c’est notre tour d’intervenir » indique Bétépix d’un clin d’oeil. « Bonne chance » lance un Didactix en forme de salutation.

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