jeudi 23 juillet 2009

CHAPITRE 3 MOBILISATIONS (2/4)


Dans la maison des enseignants, ces oreilles discrètes assistent à un échange un peu vif entre Didactix et Mlle Profsousmorphine. Cette dernière en sanglots lance à l’assemblée, dont une petite partie, au fond, corrige des copies en retard, « la grève nous est interdite car nous avons un devoir de sacrifice envers nos élèves et la société ; disposant de la garantie de l’emploi nous devons nous sacrifier! » Concluant sur la nécessité d’accueillir les élèves, et surtout de « se sacrifier », elle plante nerveusement sa fourchette dans le tupperware rempli de salade qu’elle s’était préparé pour la soirée. Son ami Profsousprozax la soutient, un verre de vin blanc à la main.

Didactix, rétorque alors goguenard : « Mais oui, voyons ! Invitons Démagogix à pousser sa logique jusqu’au bout. Puisqu’on glande et qu’on a la garantie de l’emploi, il n’a qu’à faire cotiser les salariés du public 50 ans et ceux du privé 30 ans. Ainsi on obtiendra une moyenne de 40 ans pour tout le monde ! Il n’y a pas à dire, on fait culpabiliser beaucoup trop facilement un prof. » Puis d’un ton plus sérieux, il poursuit : « La garantie de l’emploi, un prétendu avantage que nous payons doublement. Que nous avons payé en trimant pendant des années passées à préparer les concours. Que nous payons toujours puisqu’à qualification égale, nous sommes moins bien rémunérés que dans le privé ! Et puis une garantie de l’emploi que l’on peut voir, si nous imitons la mauvaise foi de nos adversaires, comme une obligation de travail toute sa vie professionnelle. Nous viendrait-il à l’esprit de jalouser les périodes de chômage rémunérées chez les salariés du privé ? Non ! Pourtant on pourrait prétendre qu’il s’agit-là d’une forme de garantie de l’emploi ou plutôt de salaire. Que l’on cesse donc avec cette grosse ficelle de la garantie de l’emploi. Alors certes oui, nous avons des devoirs. Parmi ceux-ci nous avons celui de défendre ce ciment républicain qu’est l’Ecole. Cela passe par la défense de l’institution scolaire mais aussi de notre dignité. Je ne suis pas un garde-chiourme mais bien un Professeur »

Profsousmorphine pleure alors de plus belle tout en mâchouillant rageusement un pétale d’endive. Ce qui pousse Profsousprozax à prendre sa défense en lançant un vibrant : « oui mais comment t’explique ça aux parents d'élèves, toi ?!? »

« Par Ogmios ! Répond Didactix, « avec des mots et si les parents ne comprennent pas ses termes simples, s’ils ne nous respectent pas, s’ils préfèrent rester attachés à la défense de leur petit intérêts égoïstes réduits à la seule obligation pour l’école de faire garderie tout en livrant des menus scolaires à la carte, et bien tant pis. La dignité et le respect passe par un rappel. Ceux qui ont obtenu les concours, c’est nous ! Ceux qui détiennent l’autorictas que confère le savoir, c’est encore nous ! Je rappelle enfin que jusqu’à présent nous avons toujours manifesté pour les autres, pour l’école, pour les élèves, jamais pour nous-mêmes, pour nos salaires calculés sur dix mois annualisés, sur nos conditions de travail déplorables. Alors ça suffit, on ne réussira plus à nous faire culpabiliser.»

Profsousprozax laisse tomber son verre de vin blanc et se met à pleurer lui aussi. L’assemblée des profs applaudit timidement, excepté ceux qui, au fond, corrigent leurs copies. Ils applaudissent timidement. Ils n’osent pas trop. Ils ont perdu l’habitude d’être fiers.

Après cela, Didactix est choisi pour figurer parmi les délégués qui représenteront la maison des professeurs à l’assemblée générale du village. Il quitte la maison des professeurs et part à la rencontre de Syndicaline. Celle-ci jointe par téléphone portable lui a indiqué qu’elle se trouvait chez son père, occupée à la fabrication de munitions sans donner plus de détails. Didactix a envie de voir ça.

En chemin, il croise des amis qui se rendent dans telle ou telle maison ou qui en reviennent, lui relatant ce qu’il y a été dit. C’est ainsi que Cégétix lui indique que leurs amis Locomotrix, Lignesix, Nationalelectrix, se mobilisent fortement, refusant le chantage dit « des privilèges » ou de « la prise en otage des usagers ».

« Quels privilèges ? » demanda Locomotrix lors de la réunion. Avant de poursuivre sur le fait que si nul salarié n’est prêt à renoncer aux dispositions conventionnelles, aux primes spécifiques et autres « avantages », ou plutôt « des dûs-sociaux », liées aux spécificités de tel ou tel métier, de telle ou telle entreprise, il ne voit pas pourquoi il devrait renoncer aux dispositions en matière de retraites prévues par son contrat de travail. Quant à « la prise en otage des usagers », Lignesix a indiqué que servir le public ne signifie pas accepter d’être asservi par des considérations privées propres à telle ou telle partie du public. À partir du moment où il paye le prix de la grève en y sacrifiant son salaire, la légitimité de l’action est sienne. « Et puis après tout, on ne bloque ni les rues, ni les trottoirs. Si on n’aide pas à se déplacer, on n’empêche personne de le faire. Chacun demeure libre de circuler autrement qu’en se servant de nos services. Les choix possibles restent nombreux. L’habitude du plus pratique n’est pas force de loi.»

Un Cégétix qui doit se rendre dans sa propre maison de quartier où l’y attendent ses camarades Métallurgix, Aéronautix, Carrosserix. Il rapportera à ses camarades ce qu’il a entendu ici ou là et notamment chez Locomotrix et Lignesix. Il leur dira « que les salariés du public sont prêts à défendre leur dû-social, y compris en sacrifiant leur salaire, mais espèrent aussi aider à sauvegarder par leur mobilisation le dû-social du plus grand nombre ».

Cégétix poursuivra d’ailleurs en rappelant qu’après-tout « l’avantage du secteur public n’est pas tant la garantie de l’emploi mais celle de cotisation. Et oui, même s’ils doivent cotiser plus longtemps, ils pourront le faire dans de meilleures conditions que nous puisqu’avec des périodes de chômage parfois très longues et qui touchent beaucoup d’entre nous en fin de carrière, ce sont nos capacités à cotiser dans de bonnes conditions qui sont ainsi menacées. Aussi en défendant leurs droits en matière de retraites, ils défendent également, voir plus encore les nôtres. »

Didactix quitte Cégétix en lui souhaitant de pouvoir convaincre ses camarades et poursuit sa route. Passant aux abords de certaines maisons de quartier ou d’un parc où s’improvise une réunion, il entend des salariés fatigués dire « On cotisera plus longtemps le jour où les rentiers, ceux qui naissent retraités cotiseront un tant soit peu ».

Il voit même certains d’entre eux, au détour d'une rue, commencer à fabriquer des banderoles en vue des futures manifestations. Parmi celles-ci, il y en a une qui attire son attention par son originalité. Des salariés du textile, d’origine chinoise, ont fabriqué une banderole en forme de dragon avec des slogans inscrits sur le flanc de la bête en papier. Un dragon-rouge pour lequel ils improvisent une danse sociale…

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