mardi 11 août 2009

CHAPITRE 6 « LA MARÉE, FLUX ET REFLUX » (4/5)


Le flanc droit mené par Didactix était parti à l’assaut au même moment que les autres unités de contestation. Et il s’était également fait prendre dans le bombardement de win-win. Toutefois, les pertes avaient été faibles.

Il se trouve maintenant devant trois bataillons adverses, prêts à recevoir le choc. Celui des « parents d’élèves qui savent tout mieux que les profs » et celui des « parents d’élèves qui préfèrent voir leurs enfants à l’école car les enfants c’est du souci ». Avec derrière ces deux bataillons, la légion spéciale des « eunuques de l’éducation soumis aux caprices parentaux et infantiles », dirigée par Lucius Ferrius, un lieutenant de Girondix. Trois unités unies par la volonté de « se repaître du cœur vaillant des enseignants ».

Alors que les professeurs résolus montent au contact, Monseigneur Girondix depuis son promontoire, se rend compte que ses bataillons ne feront pas le poids face au flanc droit ennemi. Il lui faut résoudre ce problème. Il fait venir BadBercix et sa suite de mages de l’ordre du Chiffre, drapés dans des capes de couleur sombre. Froids comme des superconducteurs, BadBercix, Statistix et Econometrix apparaissent ; « Oui, maître ! Demandez et nous chiffrerons ! ».

Girondix leur montre le problème que constitue cette foule de professeurs. La solution ne se fait pas attendre. Elle est à leurs pieds. Remarquant la lance magique que Thatcheria avait offerte au Bossu, les mages de l’ordre du Chiffre la demandent. Ils la posent au sol et se mettent à tourner autour de la lance en invoquant des modèles économétriques, sociologiques et en se servant de leurs bouliers sacrés ainsi que de leurs chapelets numérologiques.

Après un moment, la lance se met à briller. C’est alors qu’ils prennent la lance magique chargée en fluide numérique et qu’ils la dirigèrent vers le bataillon de professeurs. Comme par enchantement, ceux-ci disparaissent les uns après les autres. Les disparus sont transportés provisoirement dans une dimension parallèle, le royaume de la déesse Statistica, une divinité cyclothymique.

Didactix et ses camarades constatent cela avec horreur. Ils s’attendent impuissants à disparaître à tout moment. Par chance, la lance finit par épuiser tout son fluide numérique, perdant ainsi son pouvoir. Les enseignants cessent de disparaître. Mais les dégâts sont considérables. Il ne reste moins de la moitié du bataillon.

Didactix fait arrêter l’assaut. Il faut évaluer la situation et apporter une remédiation au problème posé. La poursuite de l’offensive devient une chose peu réalisable, même si n’écoutant que son courage, Didactix demeure prêt à se battre seul. Réunissant ses compagnons, l’un d’eux, Agregationix, prends la parole et raconte à ses camarades une petite histoire.

« Il y a bien longtemps, deux maîtres armuriers se disputèrent la place de Grand maître armurier. En effet, le plus jeune des deux ne cessait de quereller son aîné à tel point que le vieux maître demanda au roi de les départager. Le roi accéda à cette demande et leur donna rendez-vous au gué de la rivière sacrée du royaume, à l’automne, pour un petit défi.
Le défi consistait à plonger leur plus belle œuvre au milieu de la rivière et à observer son action sur les feuilles charriées par le cours d’eau ancestral. Le plus jeune des maîtres armuriers tint à être le premier à plonger sa lame. Il en fut ainsi. Il prit sa lame la plus fine et la plongea dans le cours d’eau. Un chêne accepta de concourir à ce que justice s’établisse. Il lâcha l’une de ses feuilles. Celle-ci arriva droit sur l’épée et fut tranchée finement en son milieu. L’assemblée et le chêne furent impressionnés par la qualité de cette lame. Le jeune armurier ne put retenir un éclat de joie. Le roi resta impassible. Le vieux maître vint et plongea une lame aussi fine, aussi tranchante que celle de son cadet dans la rivière. Le vieux chêne lâcha une autre de ses dernières feuilles. La feuille se dirigea, comme la précédente, tout droit sur le tranchant de la lame. Mais au lieu d’être tranchée par cette dernière, le feuille glissa délicatement tout le long de la lame et poursuivi sa route. Il y eut un murmure dans l’assemblée, couvert par les éclats de rire du jeune armurier. Le roi se leva, se dirigea vers le vieux maître et le déclara vainqueur. Ni l’assistance, ni le cadet, rouge de rage, ne comprirent la décision du roi. L’aîné s’inclina modestement devant le souverain et quitta le gué sans mot dire. Le vieux chêne, en signe de respect pour le vieux maître abandonna toutes ses feuilles restantes à la rivière. »

Didactix claque amicalement l’épaule d’Agrégationnix et lui dit « tu as raison, contournons l’obstacle afin d’atteindre ce satané promontoire. Il ne sert à rien de sacrifier nos forces en attaquant de front. On n’a rien à démontrer. »

L’instant d’après, tout le monde court déjà à qui mieux mieux. Ils contournent les bataillons de parents et la légion d’eunuques, pris de vitesse. Paniqué, Monseigneur vocifère : « Lucius Ferrius ! Votre garde est constituée d’incapables ! Faites donc quelque chose ! »

Lucius Ferrius ne voit qu’une solution. De la glue verbale, encore de la glue verbale, toujours de la glue verbale. Il contacte les unités d’artillerie postées à Télévisium et leur demande un tir de barrage concentré sur des coordonnées précises. Il faut tout balancer ; tout ce qui reste d’ogives de glue verbale win-win et d’opinium.

C’est ainsi qu’une grêle d’obus s’abat sur notre vaillant bataillon. Malheureusement pour Lucius Ferrius mais heureusement pour les unités de Didactix, les obus ne sont pas assez nombreux et la glue pas assez épaisse pour immobiliser les enseignants. À plus forte raison que Lucius Ferrius s’était trompé dans le calcul des coordonnées. La plupart des ogives tombent hors champs de combat.

« Bande d’incapables, ça ne suffit pas ! » Rugit le buffle devant l’incompétence de ses inféodés. Si l’unité de Didactix enfonce les phalanges de Lucius Ferrius, ils auront accès au chemin qui mène au promontoire où se trouve Girondix et Démagogix. Que faire ? Profitant du fait que Démagogix soit occupé avec une jeune secretaire, Girondix demande au Baron Wendelium « que ferais-tu à ma place ? ». « Tu n’as pas le choix ; il te faut lancer ton sort le plus puissant, celui que tu as pris à Constitutionnix » répond le Baron. Girondix aurait préféré l’utiliser à un autre moment mais il ne peut se permettre une défaite. Ses maîtres, Dark Speculator et Démagogix ne lui pardonneraient pas. En effet, il n’a pas d’autre choix.

Girondix écarte les bras, les tend vers l’avant et lance l’invocation oghamique du vieux druide. Mais l’invocation qui commence à transpirer du bossu n’est pas dorée mais grise. Et l’odeur que la nuée dispense est celle du plomb en fusion. Une nuée qui se dirige droit sur l’unité de Didactix. La nuée se mêle à la glue. La glue monte en neige, boueuse et visqueuse. Le sort est réussi. La glue verbale montée en neige immobilise les jambes de Didactix et de ses camarades. Les voilà partageant le même sort que le reste des troupes d’Intérêt Général.

Constitutionnix est quant à lui saisi par un courant electrique qui le surprend. Les mots de plomb du bossu avaient fini par retrouver leur maître, redevenant des paroles dorées. Constitutionnix retrouve ses pouvoirs. L’alchimie des mots sacrés lui redonne force et vaillance. C’était déjà cela de pris car cette bataille était perdue. Les unités du village se replient en désordre, tête baissée, les jambes et la volonté ramollies par la glue verbale ennemie, emportant avec elles un étendard rétréci aux trois quarts, aussi diminué que la volonté du village.

Regardant par-dessus leur épaule, certains peuvent même assister à un spectacle effrayant qui leur fait presser le pas. Les étendards des troupes de Démogogix et Girondix prennent vie. Les trois marteaux du baron Wendelium se détachent de la toile et plongent dans les marres de sueur laissée sur le champ de bataille. Glinky, le pacman-fantome, bondit également de son placenta textile.

Oui, les trois-marteaux et le Glinky sont bien vivants et ils se repaissent de la sueur des travailleurs, accroissant par la même occasion le pouvoir de leurs maitres. Le Baron Ernestum Wendelium se disant même que maintenant, grâce à ses marteaux vivants, il va pouvoir fabriquer à la chaîne des chaînes magiques pour entraver une masse toujours plus nombreuse d’hypnotisés.

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