vendredi 23 juin 2017

Mon éveil chinois : le dimanche à Qingdao c’est jour de mariage (3/3)



« Mais où est la fille ? » me demanderont mes lecteurs les plus assidus, ceux-ci n’ayant pas manqué de remarquer qu’une femme se glisse souvent dans mes virées. Ils ont raison. Car autant Eros semble vouloir se montrer contrariant à domicile, autant ce coquin trouve toujours le moyen de m’adresser de merveilleux clins d’œil à l’étranger. Sans doute sa façon de me motiver à partir. Comme souvent, elle arrivera de la façon la plus impromptue et magique qui soit, notamment dans une journée où tout s’annonçait réglé comme du papier à musique, celle du mariage de mon pote.

La journée commence de bonne heure. Notre joyeux groupe monte dans le minibus, en tenue de mariage, direction le domicile des mariés, qui se trouve dans une tour de standing des quartiers résidentiels. Au pied de l’immeuble nous attendons l’arrivée de nos tourtereaux. La voiture arrive. Ils s’en extirpent. Mon Tranx est tout beau. La mariée est des plus ravissantes. Elle me fait penser à ce que nous disait mon grand-père maternel lorsqu’il nous racontait que nous avions un peu de sang Made in Macao revenu de Chine il y a quelques générations : « les Chinoises ne sont pas toutes belles, mais la beauté de celles qui le sont en éclipserait l’éclat du jour ».

Devant la voiture, s’en suit, en musique, une danse traditionnelle avec tigres et dragons. Le marié prend sa dulcinée dans ses bras et passe ainsi le perron de l’immeuble. Nous le suivons et nous rendons tous dans l’appartement du couple où se prépare la cérémonie du thé que doit offrir l’épouse à ses beaux-parents, puis celle du bol de nouilles que nos amoureux partageront jusqu'au baiser final comme dans "la Belle et le Clochard".

Le temps de goûter à l’émotion du moment, qu’il nous faut repartir vers la cathédrale Saint-Michel de Qingdao pour la cérémonie de mariage. A part la présence de Chinois, rien de bien exotique. C’est on ne peut plus catholique. Les voilà donc mariés devant les dieux de Chine et celui d’Israël. Le Monde est un village. L’amour est ce qui nous lie.

Après la cérémonie religieuse et en attendant le festin du soir, nous passons un après-midi particulièrement agréable à nous promener avec le marié dans les jardins du somptueux quartier de Badaguan. Un quartier boisé en bord de mer, constitué de jardins, parsemé de villas particulièrement cossues, et de restaurants. Dans l’un d’entre eux se tiendra le banquet de mariage, l’exercice ayant ceci de particulier en Chine qu’il consiste principalement à se remplir le ventre le plus possible en trois heures de temps. En attendant ce moment nous profitons de la fraicheur des jardins de Badaguan.

Les jambes finissant par me démanger, je m’en vais vagabonder un peu sur la promenade du front de mer. Grand bien m’a pris. Le spectacle est des plus truculents. En rang d'oignon, des dizaines de couples se font tirer le portrait sur la plage. Avec ou sans cheval, de la plus classique à la plus légère, toutes les poses sont visiblement possibles. Certains couples poussent le jeu jusqu’à s’amuser avec l’objectif des passants, notamment cette épouse assise sur son mari qui m’adresse un très jovial signe de victoire.

C’est là que sur un air de Amadou et Mariam, je me mets à fredonner « le dimanche à Qingdao c’est jour de mariage », tout en rejoignant mes amis.

C’est bientôt l’heure de la noce. Nous nous dirigeons vers le restaurant de plage. Le soleil décline sur la baie de Fushan, embrasant les tours de verre et d’acier qui longent le front de mer. La plage de sable blanc accueille encore maintes familles chinoises tenant à profiter jusqu’au bout de ce dimanche ensoleillé.


Vient le moment de prendre place. Les convives affluent dans le restaurant. Je suis à la table d’honneur, à côté des frères et sœur de Tranx et d’un vieil ami à lui on ne peut plus sympathique. Des sièges restent inoccupés. Ils sont destinés à des amies de la mariée. Deux d’entre elles arrivent. Une jeune femme un peu timide qui restera quasiment muette toute la soirée du fait de son absence de maitrise de l’anglais ; et une princesse chinoise aussi resplendissante dans sa robe rouge qu’elle s’avèrera peu avenante. Demeure une chaise vide à ma droite.

Alors que nous procédons aux premiers échanges d’amabilités, ma tête se tourne subitement sur la droite. Une jolie jeune femme s’installe subrepticement sur le siège resté vide, en s’excusant pour le retard. A l’instant même où elle prend place, un frisson me parcourt la colonne vertébrale. Elle se présente et échange quelques mots avec nous. Je suis déjà sous le charme de ce mélange de simplicité et d’élégance discrète.

La conversation s’engage assez vite, d’abord sur nos parcours, puis sur des considérations plus générales. On m’avait pourtant dit que les Chinois n’aiment pas trop parler politique. Là du fait de son ouverture intellectuelle et professionnelle sur le monde, ce n’est pas le cas. Nous discutons à bâtons rompus. Elle a une merveilleuse façon de parler, directe, sans chichis, mais toujours de façon mesurée et appropriée. Cette fille transpire la classe et l’intelligence.

Nous en oublions de manger. Le temps de s’en rappeler ; de passer devant un buffet qui se vide à toute vitesse ; puis d’amuser les autres jeunes femmes chinoises de la table en leur dépiautant leurs crevettes avec couteau et fourchettes tout en leur disant que j’ai appris cette technique, non pas à Paris mais au temple de Shaolin ; que nous voilà  repartis de plus belle dans notre conversation au cours de laquelle elle aborde trois questions intéressantes : « pourquoi le monde entier nous déteste ? Quel futur sera le nôtre alors que nous sommes si nombreux en Chine ? Comment vivre avec autant de pollution ? »

S’agissant de sa première question, sans lui dire qu’elle sent  un peu le contrecoup de la propagande du régime, je lui réponds que le monde entier ne déteste pas les Chinois, loin s’en faut. De par leurs valeurs et réalisations, les Chinois inspirent bien plus le respect que le rejet. Maintenant, il faut placer les tensions actuelles dans un contexte mondial particulier. Celui où les anciennes puissances européennes stagnent et vieillissent après avoir pas mal perdu de leur superbe, et une Chine continuant de connaitre une phase de croissance spectaculaire et les ambitions qui vont avec. Il est vrai qu’un tel contexte impose aux autorités chinoises de ne pas trop se montrer agressives et de ménager nos susceptibilités de vieilles nations bousculées par la mondialisation, sans renoncer à leurs intérêts vitaux pour autant.

Elle me regarde un peu surprise avant de me parler démographie. Je lui rappelle avec bienveillance que la Chine est une très grande et ancienne nation, et que de ce fait, un milliard trois cent millions d’habitants ce n’est pas tant que ça. Ils ont même, non seulement de la marge, mais surtout intérêt à comprendre que la démographie est bien moins un souci qu’une richesse.

La surprise s’accentue d’autant plus qu’intelligente comme elle est, elle doit certainement sentir dans mes propos, bien plus de sincérité que de volonté de la caresser dans le sens poil, que j’imagine fort doux au demeurant.

C’est là qu’elle me dit qu’une augmentation de la population ne manquerait pas de générer encore plus de pollution. J’accueille de nouveau son inquiétude avec optimisme, en lui répondant que je suis certain que les Chinois trouveront les moyens de régler, comme en Europe, leurs soucis de pollution à moyen terme. Elle me demande de préciser la durée de ce « moyen terme ». Je lui réponds, une vingtaine d’années. Ça ne la rassure pas trop. Elle estime tout d’abord que c’est trop long avant de se dire d’elle-même que c’est finalement une durée tout à fait raisonnable. Passionnée, angoissée, et raisonnable, j’adore cette fille.

De retour au pays, l’un de mes plus vieux compères me taquinera en me disant « rassurer une Chinoise en Chine, voilà qui ressemble à de la drague catégorie légende ». Je lui répondrai en rigolant que ce n’était même pas de la drague et qu’en répondant à ses interrogations, je me rendais surtout compte à quel point la classe moyenne de toute la planète connait finalement les mêmes préoccupations.

Les parents de mon Tranx étant parvenus à négocier une parenthèse musicale, les mariés décident d’ouvrir le bal, suivi par les parents du marié qui nous offrent une très belle démonstration de rock versaillais. Voilà très longtemps que je ne l’ai plus pratiqué mais l’envie de me dégourdir les jambes est beaucoup trop forte. Je demande à ma voisine si ça lui dit de faire partie de la demi-douzaine d’hurluberlus qui se trémoussent sur la piste sous le regard spectateur des Chinois. Elle me répond « je danse comme un animal ». Je me dis « décidément, le naturel de cette fille me tue », avant de lui répondre « moi aussi ». Je lui prends la main et on s’en va danser un brin, le temps que le contact visuel et digital se fasse si brûlant que je me sente perdre le rythme. La musique cesse assez vite. On s’en retourne à table.

La noce touche à sa fin. Les convives sont repus. Les travées commencent à se vider. Nous restons encore là, à discuter. Quelques jours plus tard, JP m’enverra une série de photos, dont une prise à ce moment-là, accompagné de ce commentaire « non seulement elle est mignonne mais en plus elle semble avoir de très jolis seins ». Au-delà de ses jolis seins, l’expression de nos visages est on ne peut plus parlante. Nous aurions pu rester là encore des heures.

Des heures au gout d’éternité, de celles qui nous font cogiter et rêver ; qui nous font relire les romans mystico-sentimentaux de Marc Levy d’un œil moins moqueur ; qui nous donnent l’impression que certaines rencontres ont le gout de retrouvailles entre de vieilles âmes amies prenant des nouvelles l’une de l’autre, tant tout se passe on ne peut plus merveilleusement, naturellement, sainement, sans faux semblants…

Il a bien fallu que l’on se lâche. Les lumières s’éteignent. Celle dont le prénom signifie en chinois « flocon de neige », et qui m’a fait fondre toute la soirée, doit rentrer chez elle. Elle me demande quand est-ce que je dois quitter Qingdao. Je lui réponds « demain ». Au mot « demain » nous affichons la même mimique de frustration. Nous décidons tout de même d’échanger nos adresses courriel et nous nous promettons de rester en contact.

Ce sera chose faite dès le lendemain, au réveil, avec des mails qui se croiseront, envoyés comme pour vérifier que l’adresse est aussi réelle que la féérique soirée de la veille. Ceux qui suivront donneront lieu à un petit rituel mignon, de part et d’autre. Soit je lui dis « je pensais à toi et je prends de tes nouvelles », soit c’est elle qui me contacte avec son pudique mais direct « you just jumped into my mind ».

A chaque reprise s’enclenche dans ma tête la vidéo de ces heures au goût d’éternité, avec pour bande sonore, non pas le trop morbide titre « China girl » de David Bowie, mais la chanson qui a rendue mondialement célèbre la chanteuse chinoise Faye Wong « Eyes on me », sans oublier une touche de rock versaillais.

Quand j’y repense, grands dieux ce que j’ai pu aimer me réveiller dans les draps de la Chine, le corps parcouru de doux frémissement rêveurs



2 commentaires:

Tranxenne a dit…

Et la somptueuse Xuehua (flocon de neige) est à ce jour toujours célibataire. A bon entendeur...

SIL a dit…

Gros soupir (sentimental)...