mercredi 21 juin 2017

Mon éveil chinois : les cinq jours fabuleux de ma "parenthèse enchantée" 2/3


Une heure et demie après avoir quitté Shanghai, mon avion est en phase d’approche de Qingdao. De superbes vues de la Baie de Jiaozhou me saisissent, notamment celle du pont qui la traverse de part en part. Plus de 42 km d’ouvrage d’art pour le plus long pont maritime du monde. Le paysage pris dans la brume de chaleur me fait quant à lui saliver. J’imagine déjà les balades que je ferai sur ce qui semble s’annoncer comme étant un magnifique spot balnéaire. J’ai hâte également de voir mon Tranx, mon plus vieil ami du Net, qui doit m’attendre à l’aéroport. C’est le cas mais il n’est pas tout seul.

Dans le salon d’attente de l’aéroport, à côté de lui, se trouvent de doux visages blonds, ceux des rares Occidentaux que j’avais remarqué dans le premier vol Paris-Shanghai. Comme ils m’avaient remarqué également, nous sommes frappés de la même surprise. En fait, il s’agit des parents et de la fratrie de mon pote, que je n’avais jamais rencontrés auparavant, qui étaient sur le même premier vol que moi mais qui avaient opté pour l’escale plus courte à Shanghai-Pudong. Ils m’attendaient donc tous là depuis deux heures. Cette surprise est l’occasion de présentations amusées tournant autour de nos choix d’escale, et qui donnera le « la » de l’ambiance de ce séjour. Du coup, il faut que je vous les présente :

Une sœur magnifique, une mère sublime, un père impérial, des frangins hauts en couleur, une tante et son amie des plus attachantes, et un oncle exceptionnel, JP, qui deviendra très vite mon camarade de poilades. Des barres de rire pendant cinq jours. Mais pas seulement. Bouffes, balades, discussions et découvertes. On a parfaitement su allier le tout dans cette "parenthèse enchantée" comme l'a si bien résumé une amie de la famille.

Le premier soir, on s’en est allé manger dans le quartier des brochettes, la fameuse « rue du boucher ». Des petites échoppes signalées par des néons style « Blade Runner » dans lesquelles à l’évidence tout se mange depuis les produits de la mer jusqu’aux insectes les plus divers, les sauterelles et les scorpions se croquant finalement comme des chips. Après tout comme on me l’a dit là-bas « en Chine on mange tout ce qui tient sur pied sauf les tables et les chaises, et tout ce qui vole excepté les avions ». Vraiment tout en effet. Je crois que ce qui m’aura le plus surpris fut, non pas les insectes, mais cette petite salade de méduses dégustée deux jours après dans un restaurant constitué d’une succession de petits salons privatifs où vous vous sentez comme à la maison.

Ces repas comme les balades qui s’en suivirent furent l’occasion de discussions passionnantes où Tranx nous régalait de ses observations au sujet de la société chinoise.

Un soir, en longeant les buildings du quartier d’affaires, il nous expliqua comment un atelier dessin fut l’occasion d’un échange intéressant avec un jeune Chinois.  Alors que Tranx se laisse aller à projeter sur feuille tout l’univers « heroic fantasy » peuplant son esprit, un étudiant aussi curieux qu’éberlué par ce qu’il voit, lui demande s’il peut lui emprunter le livre ou bien l’original du dessin, afin qu’il puisse le copier, lui aussi. Tranx lui explique que ce dessin n’est pas une reproduction mais le fruit de son imagination. L’étudiant Chinois le regarde un peu perdu, en se lamentant de parvenir à bien copier ce qu’il voit mais pas à produire de façon imaginaire. Puis il se ressaisit et demande à Tranx de l’aider à développer sa créativité en lui donnant des thèmes à travailler. Une conclusion très intéressante.  

Lorsque je raconte cette histoire, la plupart de mes interlocuteurs y voient le stéréotype du Chinois copieur incapable de créer. Avec Tranx, nous y voyons autre chose. Certes un travail de copie s’inscrivant dans une volonté de rattrapage tous azimuts. Mais surtout une extraordinaire aptitude de remise en cause, d’analyse des lacunes, et de capacité à se donner les moyens pour y palier. De quoi permettre de mieux saisir à quel point tout parait aller si vite en Chine. Là où il nous faut dix ans pour passer un cap, on a l’impression qu’en Chine deux-trois ans suffisent.

En parlant de balades et découvertes, ma soif d’icelles étant quasi inextinguible, mes virées plus personnelles furent également l’occasion de remettre à jour pas mal d’informations et clichés.

Tout d’abord, je m’attendais à côtoyer une population méfiante et peu communicative du fait des verrouillages effectués par le régime chinois. En fait je les ai trouvés bien plus détendus que nos Chinois de Paris, c’est dire. Certes, peu d’entre eux parlent anglais mais lorsque c’est le cas et qu’ils croisent un Occidental, ils sont tout contents de pouvoir échanger quelques mots avec vous. Je pense notamment à cette adolescente chinoise qui, sans doute, en réponse à un défi lancé par ses copines restées un peu en retrait, vient me demander d’où je viens. J’ai souris. D’une part parce qu’elle était toute mignonne mais aussi parce que j’aime tout particulièrement ce moment à l’étranger où je réponds que je viens de « Paris » et où la jeune femme en face inonde subrepticement sa petite culotte de fluides joyeux. Ne m’en veuillez pas. Je ne fais qu'exercer mon devoir d’œuvrer de cette manière au soft-power de mon pays. Bien évidemment, la môme veut une photo de notre rencontre dans les « jardins de Badaguan » avant de repartir toute joyeuse impressionner ses copines avec son trophée.

Parfois, même quand ils ne parlent pas anglais, outre les sourires facilement échangés, des contacts se créent. Je me rappelle encore de ce midi où je croise des marchands chinois montant leur stand du côté du port, en pleine pause déjeuner, et qui me voyant passer m’invitent aussi vivement que joyeusement à les rejoindre partager un bol de nouilles avec eux. Instants magiques où tout ce qui peut rapprocher les membres de notre espèce s’échange en silence.

Ce sentiment de pouvoir aller où bon me semble fut l’autre chose qui me frappa. J’ai pu me déplacer partout où je voulais, de jour comme de nuit, sans me sentir surveillé ou oppressé. Certes j’ai bien remarqué l’officier du renseignement qui stationnait régulièrement au rez-de-chaussée de l’hôtel international où nous étions, histoire de surveiller un peu les allées et venues des étrangers, mais pour le reste la présence policière reste des plus discrètes. Ajouter à cela le sentiment d’absence de criminalité, et vous voilà à déambuler au grès des courants d’air, absolument partout.

Mes observations de leur niveau vie furent également très intéressantes, qui plus est à Qingdao, station balnéaire accueillant des populations diverses que ce soit côté résidents ou touristes. Petit retour en arrière.

Alors simple bourgade de pécheurs, en cette fin de XIXe siècle, une flottille germanique accoste dans les parages, soi-disant pour punir l’assassinat de missionnaires allemands. Une version officielle à laquelle je n’adhère pas. Connaissant nos cousins Germains, je suis persuadé qu’ils cherchaient plutôt une agréable station balnéaire en Extrême-Orient qui ne soit pas déjà occupée par les empires concurrents. C’est qu’ils adorent ça, les stations balnéaires, et ce depuis des millénaires, les fameuses « invasions barbares » étant déjà l’une de leurs plus spectaculaires ruées vers l’or solaire. Les autorités chinoises, comprenant qu’il y avait peut-être quelque chose à tirer de ces casques à pointes, accorderont une concession aux Allemands qui commenceront par bâtir une jolie cathédrale qui deviendra une usine à mariages ; une brasserie d’où sortira l’une des bières les plus connues au monde, à savoir la Tsingtao ; et tout un chapelet de bâtiments de style et solidité bavaroise qui donne de son côté, encore aujourd’hui, les plus grandes peines aux ingénieurs chinois chaque fois qu’ils cherchent à détruire, pour des raisons liées à l’urbanisation, l’un de ces blockhaus teutons.

Nos cousins avaient raison. Un siècle après, nous voilà avec une magnifique station balnéaire aux 40 km de promenade côtières aménagées, aux plages de sable blanc parfois envahies d’algues vertes, inondée de soleil, offrant l’un des plus beaux lieux de villégiature estivale et surtout hivernale aux Pékinois se trouvant à 500 km de là et pouvant s’y rendre en TGV, et aux autres populations de l’intérieur. Car en effet, le tourisme en Chine est surtout une affaire intérieure. Ça m’a d’ailleurs quelque peu amusé de voir des Chinois des terres, issus de la classe moyenne laborieuse, négocier l’achat des souvenirs de Qingdao sans doute fabriqués dans les usines de leurs régions.

A ces touristes « de masse », s’ajoutent ceux bien plus fortunés que l’on croise dans des voitures de luxe ou dans leurs magnifiques villas des quartiers boisés du front de mer. Cela s’inscrit d’ailleurs dans cet autre constat qui m’a frappé. Si l’on croise au grès des quartiers ou de la circulation, pas mal de disparités en matière de richesses, ce que je n’ai pas croisé, c’est de la misère, cette indigence de trottoir qui doit choquer nombre de touristes qui visitent Paris. Cette misère doit certainement exister, mais où que je sois allé, j’ai surtout rencontré une masse d’individus qui semblaient trouver les moyens de suivre leur petit bonhomme de chemin. L’offre en matière d’emplois demeurant de toute façons particulièrement vaste, depuis la construction civile jusqu’au commerce et la révolution tertiaire en marche.

D’ailleurs le fait d’entrer dans un centre commercial du quartier animé de Taidong fut l’occasion de dégommer deux-trois clichés supplémentaires.  Dans un magasin de prêt-à-porter, les tee-shirts de marque locale coutaient dans les 10 euros. J’en suis resté bouche bée et me suis posé des questions sur les salaires. On m’a répondu qu’un manager de magasin vestimentaire pouvait gagner dans les 700 euros par mois. Certes, la réalité qui est celle de l’ouvrier à 150 euros mensuels demeure un fait, mais au moins autant que celui du rattrapage galopant qui s’opère dans pas mal de régions chinoises.

De quoi permettre de comprendre, en conclusion, pourquoi les autorités chinoises demeurent attachées à la vague mondiale de libre-échange qui a permis le fulgurant décollage du pays, et sous peu sa propulsion spatiale, pendant que beaucoup d’analystes à la mords-moi-le-nœud, bien de chez nous, préfèrent se bercer d’illusions déclinistes-proctectionnistes-misérabilistes-etc. 

Aussi, vive la Chine et vive les Chinois !



2 commentaires:

Tranxenne a dit…

Ah mais oui ! Ahah, beau récit qui fait plaisir à lire. J'ai hâte de lire la troisième partie du coup :)

SIL a dit…

Demain soir :-)