mardi 26 septembre 2017

Histoires migratoires


Dans la suite du billet de lundi, et à l’heure de la percée en Allemagne du parti nationaliste AFD, mais aussi des sempiternelles considérations binaires hurlées à ce sujet, ici et ailleurs, soit par les nationalistes constipés, soit par les internationalistes béats, voici un modeste éclairage à travers l’histoire migratoire de ma famille et autres considérations plus générales.

Non, l’immigration n’est pas la cause de tous nos maux puisqu’elle permet d’en résoudre certains. Non, l’immigration n’est pas forcément La Chance de la France ou de l'Europe  puisqu’elle pose des problèmes qu’il faut résoudre et non nier. "Maux", "Chance", deux assertions qu’il s’agira de dynamiter.

Dynamiter la pensée inique mais aussi la pensée unique, ces deux semblants de pensée qui ne sont que deux mêmes réflexes inversés. Deux réflexes opposés qui monopolisent le temps de parole, qui polluent le débat et qui nous pompent l’air. Les xénophobes me gavent comme les immigrationnistes me gonflent. Frères ennemis, ils restent frères et moi je ne suis pas de cette famille.

Oh ! Je sais très bien ce qu'ils me diront. Comment puis-je ne pas être xénophobe, moi le fils de Portugais, assimilé et patriote, me demandera le xénophobe haineux ? Comment puis-je ne pas être immigrationniste, moi le fils d’immigrés, l’enfant du prolétariat, me demandera l’immigrationiste béat ? Comment cela se fait-il que je me refuse à tomber dans l’une ou l’autre de ces deux facilités. Pour les raisons que nous allons voir.

1- Parce que mes immigrés et prolétaires de parents m’ont plutôt bien élevé. Ils ne m’ont transmis aucun ressentiment excessif, et ce faisant, ni raison de ne pas exercer mon devoir de responsabilité, ni raison de ne pas saisir ce que m’offrait mon pays de naissance. Pourtant, niveau ressenti, ils auraient pu, eux aussi, me bercer dans cette facilité.

Comme tous les immigrés de l’intérieur (exode rural) ou de l’extérieur, ils ont connu la xénophobie ou le mépris de classe sociale. Ça fait mal, ce n’est pas bien mais comme dit mon père, c’est tellement humain. « Chez nous, au pays, les gens de mon village méprisent ceux du village de ta mère, qui en retour nous le rendent bien en nous détestant ouvertement. Si tu savais ce que j’ai pu entendre quand j’ai décidé d’épouser ta mère. Si tu savais ce que je peux encore entendre. »

Comme tous les prolos, ils ont connu des exploiteurs. Ma mère me raconta que son premier employeur, qui habitait alors du côté de la place Clichy, l’avait séquestrée pendant 6 mois sous prétexte de lui obtenir des papiers. Si la Police n’était pas passé par là un beau jour et si ma mère n’avait pas trouvé le moyen de se manifester auprès de celle-ci, qui sait ce qui se serait passé. Mon père eut plus de chance. Il garde un souvenir très ému de la famille Schneider, à qui appartenait la carrière alsacienne, du côté de Bust, où il travailla un an durant. Il nous raconte souvent en rigolant que les premiers mots qu’il apprit à dire en France furent « zwei beer bitte » à la brasserie du coin. Le « vieux » Schneider ne parlant même pas français.

Exploiteurs ou pas, ce fut dur. Ils trimèrent. Oh oui, ce qu’ils trimèrent. Si vous saviez à quel point ils étaient heureux de trimer en France. De trimer dans un pays où trimer servait à quelque chose, où trimer signifiait bâtir. Bâtir, contrairement au pays qui les jeta sur les routes. Là-bas, sous le Portugal de Salazar, travailler signifiait trimer dans les champs, dans la pêcherie de morue du coté de Viana do Castelo, en gagnant à peine de quoi manger. Une soupe de choux galiciens, de fanes de navets et deux sardines que ma mère partageait avec ses 8 frères et sœurs. Les modalités de partage se faisant selon la tâche à accomplir le lendemain. Ceux qui devaient travailler le plus dur avaient droit au milieu des sardines. Les autres se partageaient les têtes et les queues.

En France, elle trimait mais elle mangeait. Elle était tellement heureuse que le travail paye, que courant de patronne en patronne, elle en oubliait de manger son sandwich sur son strapontin du métro. Ça me rappelle son année de prise de retraite. Lors du récapitulatif de carrière, elle se redécouvrit des patronnes inscrites dans l’ordinateur de la CNAV, dont elle avait oublié l’existence. Oui, en France, travailler avait un sens. La tristesse d’un Fado prenait les accents colorés des « Vira », ces danses galiciennes aux rythmes endiablés fouettés par le son des cornemuses et des tambours que l’on joue les jours de fête. Dans ce pays qui ne lui devait rien, se bâtir un avenir était possible.

Et si ma mère insiste sur bien une chose, c’est sur le fait de remercier cette France qui ne lui devait rien, qui n’avait aucune obligation de l’accueillir. Elle vous dira d’ailleurs qu’elle n’en aurait pas voulu à la France, si elle n’avait pas pu la recevoir. Dans sa tête, c’était très clair. Le responsable de sa misère était bien ce Portugal, ce Salazar et personne d’autre. Si la France avait dû lui fermer la porte, elle aurait suivi des amis en Allemagne ou son frère au Canada. Ce fut la France et elle ne le regrette pas. Car elle l’aime, sa France. Ce pays où elle fut heureuse de nous donner vie. Ce pays qu’elle nous apprit à respecter, à aimer et à servir. C’est pour ces raisons qu’elle se révolte à chaque fois qu’elle entend un immigré exprimer du dépit, cracher sur la France en disant que la France lui doit ceci ou cela, doit payer pour ceci ou cela.

Mon père, tout aussi reconnaissant envers la France mais plus enclin au pardon envers sa nation d’origine, bien qu’haïssant le régime de Salazar, m’apprit à faire la part des choses. S’il lui apparaissait comme normal que je ne me reconnaisse en rien dans la nation portugaise, il lui semblait important que je n’oublie pas d’où venait mon sang et le nom de cette région magnifique où plongent mes racines. Aussi, il demanda à ses enfants de penser en portugalicien chez lui mais en français la porte passée. Le carnet scolaire ayant servi à mon père de talon pour mesurer notre intégration, lui faire savoir si nous avions assimilé ce qu’être français veut dire, en termes de savoirs, de traditions, de lois et d’histoire. Grâce à cela je sais que je peux m’enraciner tel un Breton ou un Guadeloupéen, dans une région, « d’où je suis fait », ma Galice portugaise, tout en ne faisant allégeance qu’à la France, ma nation, celle qui m’a fait. Merci papa. Merci maman.

2- Merci car c’est grâce à tout cela que je peux faire la part des choses, refuser la pensée inique comme la pensée unique.

La pensée inique, celle qui nous juge non pas pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous serions. Qui nous juge parasites, quoi que nous fassions, nous enferme dans un statut d’étranger, tout en étant heureuse de nous voir accomplir les travaux qu’elle refuse de faire pour son propre pays.

La pensée unique, celle qui tout autant, nous juge pour ce que nous serions et non pas pour ce que nous faisons. Qui nous juge bons et purs par nature, qui nous enferme dans cette identité social-mythique qui n’existe pas, qui nous ment en nous faisant croire qu’ici tout nous serait dû, sans devenir d’ici ou faire comme font les gens d’ici pour avoir ce qu’ont ces gens d’ici. Une pensée unique qui suscite envers nous, par son inconscience et cette croyance en des portes éternellement ouvertes à tous, tout autant de haine que l’autre. Une croyance oubliant que toutes les politiques migratoires procédèrent de choix politiques. Un choix, une organisation, une volonté, un temps ouverte, un temps fermée au gré des besoins et des capacités en générosité de ce pays.

Grâce à cela, je peux dire aux gens à qui la France a ouvert ses portes, soyez les bienvenus, venez construire ici ce que l’on vous a empêché de construire chez vous. Les outils sont là. À vous de bâtir. Vos droits sont les suivants. Vos devoirs sont les suivants. À moi le devoir de veiller à ce que vos droits soient respectés.

Grâce à ça, je peux dire aux hommes et aux femmes à qui mon pays a signifié souverainement « notre maison ne peut pas vous accueillir », qu’il ne sert à rien de se montrer véhément. La France ne vous doit rien. Vous n’avez rien à exiger de nous. Vous ne nous appartenez pas. Retourner votre colère vers vos états, rois ou potentats, vers ceux qui vous ont jeté sur les routes. Essayer donc une autre porte.

Grâce à tout cela, je peux dire qu’il n’y a pas d’Immigration mais des immigrations. Chacune avec ses spécificités. Chacune avec ses problématiques. Problématiques qu’il convient de poser pour déterminer non seulement si nous pouvons ou voulons de telle ou telle immigration, mais également pour essayer d’apporter les réponses les moins idiotes possibles. Grâce à cela, je peux rejeter l’amalgame véhiculé aussi bien par les fascistes, que par les gogochiste, au mieux de l’intérêt de mon pays comme de celui des populations accueillies.

Sil de Souza

P.S. : spéciale dédicace à mon lectorat bobo puisque je sais très bien ce qu’il dira. C’est fou mais à chaque fois qu’un fils du petit peuple ou d’immigrés n’accepte pas l’idée de se faire guider par leur bien-pensance, n’accepte pas leur vulgate pour seule science, ces bobofs nous traitent de gros beaufs. Ce à quoi je réponds bof ! Quant aux nationalistes, comme d’hab, ce qu’ils peuvent dire, je m’en branle. Qu’ils aillent mourir.

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