mercredi 29 août 2007

LE PROJET CAP SITERE


Parmi les tendances au fichage, difficilement réprimées par des consciences individuelles mais fort heureusement un peu plus par celles pensant aux intérêts de la Collectivité, il y a un exemple sortant des sentiers battus, qui m'a bien fait rire. Cet exemple m'a été rapporté, lors du repas familial intervenu noël dernier, par un proche qui sert la France à l'Inspection du Travail (IT). Nom de code : Cap Sitere.


Cap Sitere est le nom que le Ministère du Travail a donné à un logiciel de mise en réseau de données. Un logiciel censé permettre à chaque agent de contrôle de l'I.T. ainsi qu’à la hiérarchie, de savoir quelles entreprises ou chantiers du bâtiment ont été contrôlés et quelles suites ont été données à ces visites.
Pour info, lorsqu’un agent de l'I.T. débarque dans nos entreprises, la suite à visite peut aller de la cordiale poignée de mains si tout est en règle jusqu’au procès-verbal s'il y a trouble manifeste à l'ordre social, en passant par la simple lettre d'observations si un rappel à la réglementation fort changeante s'impose, ou encore par une mise en demeure de vérification de telle ou telle installation, si besoin était.
Donc avec ce logiciel, tout agent de contrôle, après chaque visite, se doit de générer dans le logiciel une fiche pour l'entreprise contrôlée. Fiche où il devra indiquer le type de suite à visite généré ainsi que tous les articles du Code du Travail rappelés ou appuyant telle ou telle procédure.
« Bein où qu’il est le problème », avons-nous demandé à mon cousin. « Dans les deux trois trucs suivants », nous répondit-il.

1- Dans son aspect usine à gaz, où même un agent ayant grandi avec l’informatique y perdrait son « BASIC », entre la lenteur, les plantages récurrents, j’en passe et des meilleurs. Un véritable fiasco technique que visiblement personne ne veut ni assumer, ni arrêter. Ah les pièges de l’engagement décisionnel...
Mais surtout dans le choix du mode de compilation des données. Vous vous souvenez des suites à visites possibles. Et bien, ce logiciel permet de toutes les inscrire dans la fiche électronique de l'entreprise. Depuis le rien jusqu’au tout. « Et alors » avons nous dit.
Et alors, nous répondit notre cousin, c'est comme si la Police Nationale avait la possibilité d’établir des fiches sur les individus ayant eu à faire de près ou de loin aux services de Police. Des fiches où y figureraient tout, depuis le résultat d’un banal contrôle des papiers du véhicule sur l’autoroute des vacances jusqu'aux possibles crimes et délits, en passant par la simple main courante déposée par votre voisine qui en a eu marre du bruit produit par votre nouba du nouvel an, la convocation au commissariat pour le cadet pris en possession de cannabis ou encore ce rappel à la loi, que vous aviez totalement oublié, effectué par un Officier de Prévention quand gamins vous aviez tagué un « no futur » rageur sur une poubelle. Flippant n'est-ce pas ?
Mais ce n'est pas tout. Imaginez, je sais pas moi, tiens, que de votre balcon soit tombé par un jour de grand vent, un pot de fleurs sur le crâne de votre voisine acariâtre. D'ordinaire la police s'attachera à l'analyse du fait en lui-même ainsi que de son contexte. Maintenant, qu'elle serait l'appréciation de la situation par l'Officier enquêteur si en tapant votre nom dans son ordinateur, il se retrouvait avec une liste de 4 pages recensant des faits épars, de gravité très variable, sans rapport avec l’affaire, mais suffisamment longue pour induire par « l’effet liste » dans le cerveau de l’officier enquêteur, je ne sais quelle suspicion? Situation transposable aux agents de l’IT

2- Le deuxième élément ayant gêné mon cousin résidait dans le fait que le logiciel prévoyait que n'importe quel agent de contrôle de France et de Navarre pouvait avoir accès à n'importe quelle fiche générée sur l'ensemble du territoire. Cette possibilité ayant été prévue pour la simple raison qu'une entreprise du BTP ou de gardiennage, par exemple, peut être amenée à intervenir sur tout le territoire ou encore qu'une entreprise peut ouvrir des succursales tout en maintenant au Siège, la gestion de vastes champs de la réglementation sociale. « Prévoyait », car cette possibilité interpella suffisamment d'agents soucieux de se donner des garde-fous pour que cette possibilité de consultation ne soit plus offerte.
« C'est dommage », lui avons nous dit. «Pour les raisons invoquées plus haut, ça pouvait être intéressant d'avoir accès facilement à des informations sur une entreprise peu respectueuse de la réglementation ».

Remarque à laquelle mon cousin répondit en nous expliquant qu'avant la mise en place de ce logiciel, la transmission des données était tout aussi possible avec juste ce qu'il fallait de garde-fous.
Si un agent de Marseille a besoin d'infos sur une boîte de BTP originaire de Dijon et intervenant sur son secteur, il lui suffit encore aujourd’hui de contacter par téléphone, courriel ou formulaire officiel, son collègue de Dijon pour non seulement avoir les infos voulues mais aussi l'avis de son collègue sur l’entreprise en question. Ça a l'air un peu désuet comme méthode mais d’après mon cousin, cela permettrait d'éviter la numérisation des rapports administratifs et la dématérialisation de l'administré, tous deux générateurs d’une bureaucratie type « football manager 2006 ». Du nom de ce jeu vidéo où l’on gère une équipe de football virtuelle par le seul biais statistique.
Un bon dossier papier récapitulant toute la vie administrative de l’entreprise, et pas uniquement en termes de suite à contrôle, avec un agent qui connaît cette société, capable ainsi de contextualité la situation de l’entreprise, ça donne quand même une approche plus concrète des choses non ? « Surtout plus compliquée » lui avons-nous tous répondu en coeur.

« Peut-être mais une minuscule complexité servant avant tout un grand Garde-Fou » nous rétorquât-il. La demande formulée officiellement garantissant ainsi bien plus la légitimité de la demande. On s'amuse rarement à faire des demandes avec des jolis formulaires juste pour satisfaire une curiosité personnelle. La compartimentation de l'info protège. « T’aimes bien les garde-fous toi », conclut l’assemblée.

Oui ! Car au final, poursuivi-t-il, si ces informations étaient en « libre » accès, qu’empêcherait l'agent de Marseille ou d'ailleurs, après avoir accédé aux infos compilées par son collègue de Dijon sur une entreprise, d'envoyer ces infos à la presse ou à qui que ce soit d'autre. Comment contrôler l'origine de la fuite. Alors qu'avec le système classique, l'agent chargé du contrôle de telle ou telle société est aussi responsable de la communication des informations que son service détient sur ces mêmes sociétés. Et c’est avec un « si vous saviez à quel point cela m’a démangé d’aller zieuter les fiches de TF1, Bouygues, Leclerc et bien d’autres » qu’il conclut ce chapitre.

3- Le dernier chapitre concerne l’étrange satisfaction et insistance stakhanoviste qu'il remarqua chez certains de ses collègues, à renseigner, malgré la difficulté de la tache, ce logiciel, alors que cela n’a pas toujours été le cas.
En effet avant le « Cap Sitere » National, chaque Direction Départementale disposait d’un logiciel départemental où les agents faisaient état de leurs visites en indiquant juste le nom de la société, les thèmes de la réglementation visés par le contrôle, le nombre d’observations ainsi que les articles visés les uns à la suite des autres. En trois heures ils pouvaient faire le bilan d’un mois d’activité contre presque une heure par entreprise contrôlée depuis « Cap sitere ». Cap Sitere ayant besoin d’aller chercher dans la base de données l’identité précise de l’établissement contrôlé et de trouver un à un toujours dans la même base de donnée chaque article du Code du Travail visé, afin qu’il puisse faire son bon gros rototo numérique, s’il n’a pas planté entre temps une bonne dizaine de fois avant d’en arrivé au rototo final.
Bref, avec les vieux logiciels, le travail était fait, était simple, permettait d’extraire des statistiques exploitables sur l’activité des agents, le tout en garantissant la compartimentation départementale des informations.

Or chose amusante, alors que bien des agents du département où opère mon cousin semblaient réfractaires à renseigner les vieux logiciels, pas mal de ceux-ci le seraient devenu beaucoup moins. L’aspect réfractaire procédant d’une forme de culture majoritaire chez les agents de ce département. Une culture libertaro-marxo-gaucho-truc-muche, anti-flicage, anti-flics, voir même parfois anti-républicaine, ce qui apparaît comme très bizarre aux yeux de mon cousin, pour des agents de la République.
Donc lorsqu’ils percevaient les vieux logiciels comme un moyen de les fliquer eux et leur action, ils étaient contre. Par contre, « Cap Sitere » leur étant apparu comme un moyen de fliquer les entreprises, bein bizarrement, ils sont devenu très pour, avec toutefois cette frustration d’avoir à faire à un logiciel digne de l’ère MS-DOS.
Pour corroborer ce qui lui semblait surtout n’être qu’une impression, mon cousin sourit lorsque l’on annonça aux agents de son département que l’accès aux fiches, au niveau national, ne se ferait plus. Se fut le bal des mines déconfites, des rumeurs de protestation avec cette conclusion de la part de certains agents « bein, il ne sert plus à rien ce logiciel, alors... »

« Ah bon », se dit mon cousin, « alors comme ça les patrons et les entreprises n’auraient pas le droit aux mêmes libertés que celles que l’on demande pour nous-même ou pour les salariés. Etonnant »

Je signale au passage que mon cousin n’est ni encarté à l’U.M.P., ni un agent secret du MEDEF infiltré à l’Inspection du Travail. Il s’agit d’un bon social-démocrate, encarté par ailleurs dans une organisation syndicale connue pour casser les noix du patronat, qui ne confond « juste » pas la défense de ses intérêts particuliers ou catégoriels avec la défense de l’Intérêt Général et qui par conséquent souhaite que les entreprises ou les employeurs disposent des mêmes droits que lui. Si, si, il y en a !

Tout ceci pour illustrer que même les sujets ou les agents les plus culturellement réfractaires au fichage sont susceptibles de ficher à tour de bras dés que cela leur apparaît on ne peut plus légitime. Heureusement qu'il y en a d'autres pour chercher à établir des garde-fous collectifs. Histoire que nos institutions continuent à procéder du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple.

SIL little brother

Aucun commentaire: