samedi 8 octobre 2016

L’Arménie, un très joli futur à portée de mains #AraratMonAmour


Erevan. Mémorial du génocide des Arméniens de Tsitsernakaberd. Je contemple la carte de la grande Arménie prévue par le Traité de Sèvres de 1920. Sevan s’approche de moi. Je lui dis que j’aime beaucoup cette carte. Il ne partage pas mon enthousiasme. « Que voudrais-tu que l’on fasse d’une si grande Arménie » me dit-il en soupirant avant de poursuivre. « Nous sommes à peine assez nombreux pour peupler et défendre celle que nous avons ; nous sommes même obligés de truquer un peu les statistiques pour tenter d’impressionner nos ennemis ; et je ne parle pas de la diaspora, malgré tout son cinéma, elle ne viendra jamais nous rejoindre, petite ou grande Arménie ». Je médite ses paroles. Il a raison. 

En quittant le mémorial, ce jeune arménien, fraichement débarqué du front du Haut-Karabagh, me parle sur un ton goguenard d’une diaspora trop lointaine, finalement plus turque qu’arménienne, aussi bien par sa langue que par ses mœurs ; d’une Arménie aux mains d’une vieille oligarchie mafieuse qui tient les clefs politiques et économiques du pays et qui, par sa corruption et ses monopoles, empêche la jeunesse de participer à la modernisation du pays, vendant en passant tous les intérêts de l'Arménie à la Russie. « Nous sommes devenus les locataires de notre propre pays ; tout, depuis les murs jusqu’à la gazinière appartient aux Russes ».

Il enchaine sur la guerre avec les Azéris qui sert finalement, là aussi, bien plus, les intérêts russes, que ceux des deux pays stupidement ennemis. « La paix n’est pas pour demain. De toute façon, même si on leur donnait le Haut-Karabagh, le gouvernement azéri réclamerait le sud de l’Arménie, puisque leur objectif est de pouvoir relier un jour l’Azerbaïdjan à leur enclave du Nakhitchevan située à l’ouest de l’Arménie ». 

Chose peu connue, en effet, l’ethnie turque Azérie se trouve partagée entre l’Azerbaïdjan, le Nakhitchevan, mais aussi le nord de l’Iran où ils sont plusieurs millions. 

Sur le même ton goguenard, je lui dis que l'Azerbaïdjan n’a qu’à annexer le nord de l’Iran ; ça lui fera un beau couloir ; ou alors de manière moins débile, les Azéris n’ont qu’à arrêter leurs conneries, signer la paix avec l’Arménie en renonçant au Haut-Karabagh arménien, puis utiliser tout simplement les routes arméniennes pour relier l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan, ce qui sera très bon pour le commerce régional. Il rigole en me lançant « faudrait-il encore que les Russes le veuillent ; si jamais on faisait la paix, ils perdraient deux gros clients pour leurs armes et ça ils n’en veulent pas ». Vu comme ça, en effet, ce n’est pas gagné. 

Je me dis que l’Europe aurait peut-être une carte à jouer mais peut-on seulement compter sur le ventre mou bruxellois pour pacifier une région qui ne demande qu’à être un merveilleux pont entre l’occident et l’orient. 

En effet, le poids des dépenses militaires est un boulet qui freine le développement. « L’armée et la police sont les deux principaux employeurs du pays » me dit-il. Un développement entravé alors que l’Arménie a tous les atouts géographiques et culturels pour devenir une véritable petite Suisse du Caucase. 

Il me parle également des relations commerciales qui s’améliorent avec la Turquie. Il pense que les relations politiques suivront  le jour où les Turcs comprendront que la reconnaissance du génocide arménien ne sera pas couplée avec des revendications territoriales. « On n’en veut plus de l’Arménie occidentale de toute façons. Elle n’est plus à nous. Elle n’est même pas aux Turcs. Elle est aux Kurdes maintenant ». Il rigole. Je le taquine en disant. « T’as raison, mais on ne va pas leur abandonner le Mont Ararat tout de même ».  Il acquiesce en souriant. 

En faisant mine de réfléchir je lui dis « et si on proposait le deal suivant aux Turcs. Vous reconnaissez le génocide des Arméniens et nous renonçons à toute revendication territoriale, à deux  exceptions près. Le Haut-Karabagh arménien ce qui suppose que vous convainquiez vos cousins azéris d’arrêter leurs âneries. Mais aussi le versant Est du Mont Ararat. On fait moitié-moitié. Et ça ne fait que quelques dizaines de kilomètres d’offerts pour solder le passé ». 

Il éclate de rire. Ce passionné de montagne me dit « ce n’est pas idiot ! Après tout, vous vous partagez bien le Mont Blanc avec les Italiens. Il doit bien y avoir un moyen de convaincre les Turcs de  partager le Mont Ararat. En plus le versant le plus beau est celui tourné vers l’Arménie. On leur laisse l’autre bien volontiers. Tiens ! Histoire de fêter cette idée de résolution de conflit, et si on allait boire un verre ». Guénats !

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