Dans la suite du billet de lundi, et à l’heure de la percée en Allemagne du
parti nationaliste AFD, mais aussi des sempiternelles considérations
binaires hurlées à ce sujet, ici et ailleurs, soit par les nationalistes
constipés, soit par les internationalistes béats, voici un modeste éclairage à
travers l’histoire migratoire de ma famille et autres considérations plus
générales.
Non, l’immigration n’est pas
la cause de tous nos maux puisqu’elle permet d’en résoudre certains. Non,
l’immigration n’est pas forcément La Chance de la France ou de l'Europe puisqu’elle pose des
problèmes qu’il faut résoudre et non nier. "Maux", "Chance", deux assertions qu’il s’agira de
dynamiter.
Dynamiter la pensée inique
mais aussi la pensée unique, ces deux semblants de pensée qui ne sont que deux
mêmes réflexes inversés. Deux réflexes opposés qui monopolisent le temps de
parole, qui polluent le débat et qui nous pompent l’air. Les xénophobes me
gavent comme les immigrationnistes me gonflent. Frères ennemis, ils restent
frères et moi je ne suis pas de cette famille.
Oh ! Je sais très bien ce qu'ils me diront. Comment puis-je ne pas être
xénophobe, moi le fils de Portugais, assimilé et patriote, me demandera le
xénophobe haineux ? Comment puis-je ne pas être immigrationniste, moi le fils
d’immigrés, l’enfant du prolétariat, me demandera l’immigrationiste béat ?
Comment cela se fait-il que je me refuse à tomber dans l’une ou l’autre de ces
deux facilités. Pour les raisons que nous allons voir.
1- Parce que mes
immigrés et prolétaires de parents m’ont plutôt bien élevé. Ils ne m’ont
transmis aucun ressentiment excessif, et ce faisant, ni raison de ne pas
exercer mon devoir de responsabilité, ni raison de ne pas saisir ce que
m’offrait mon pays de naissance. Pourtant, niveau ressenti, ils auraient pu,
eux aussi, me bercer dans cette facilité.
Comme tous les immigrés de
l’intérieur (exode rural) ou de l’extérieur, ils ont connu la xénophobie ou le
mépris de classe sociale. Ça fait mal, ce n’est pas bien mais comme dit mon
père, c’est tellement humain. « Chez
nous, au pays, les gens de mon village méprisent ceux du village de ta mère,
qui en retour nous le rendent bien en nous détestant ouvertement. Si tu savais
ce que j’ai pu entendre quand j’ai décidé d’épouser ta mère. Si tu savais ce
que je peux encore entendre. »
Comme tous les prolos, ils
ont connu des exploiteurs. Ma mère me raconta que son premier employeur, qui
habitait alors du côté de la place Clichy, l’avait séquestrée pendant 6 mois
sous prétexte de lui obtenir des papiers. Si la Police n’était pas passé par là
un beau jour et si ma mère n’avait pas trouvé le moyen de se manifester auprès
de celle-ci, qui sait ce qui se serait passé. Mon père eut plus de chance. Il
garde un souvenir très ému de la famille Schneider, à qui appartenait la
carrière alsacienne, du côté de Bust, où il travailla un an durant. Il nous
raconte souvent en rigolant que les premiers mots qu’il apprit à dire en France
furent « zwei beer bitte » à la brasserie du coin. Le « vieux »
Schneider ne parlant même pas français.
Exploiteurs ou pas, ce fut
dur. Ils trimèrent. Oh oui, ce qu’ils trimèrent. Si vous saviez à quel point
ils étaient heureux de trimer en France. De trimer dans un pays où trimer
servait à quelque chose, où trimer signifiait bâtir. Bâtir, contrairement au
pays qui les jeta sur les routes. Là-bas, sous le Portugal de Salazar,
travailler signifiait trimer dans les champs, dans la pêcherie de morue du coté
de Viana do Castelo, en gagnant à peine de quoi manger. Une soupe de choux
galiciens, de fanes de navets et deux sardines que ma mère partageait avec ses
8 frères et sœurs. Les modalités de partage se faisant selon la tâche à
accomplir le lendemain. Ceux qui devaient travailler le plus dur avaient droit
au milieu des sardines. Les autres se partageaient les têtes et les queues.
En France, elle trimait mais
elle mangeait. Elle était tellement heureuse que le travail paye, que courant
de patronne en patronne, elle en oubliait de manger son sandwich sur son
strapontin du métro. Ça me rappelle son année de prise de retraite. Lors du
récapitulatif de carrière, elle se redécouvrit des patronnes inscrites dans
l’ordinateur de la CNAV, dont elle avait oublié l’existence. Oui, en France,
travailler avait un sens. La tristesse d’un Fado prenait les accents colorés
des « Vira », ces danses galiciennes aux rythmes endiablés fouettés par le son
des cornemuses et des tambours que l’on joue les jours de fête. Dans ce pays
qui ne lui devait rien, se bâtir un avenir était possible.
Et si ma mère insiste sur
bien une chose, c’est sur le fait de remercier cette France qui ne lui devait
rien, qui n’avait aucune obligation de l’accueillir. Elle vous dira d’ailleurs
qu’elle n’en aurait pas voulu à la France, si elle n’avait pas pu la recevoir.
Dans sa tête, c’était très clair. Le responsable de sa misère était bien ce
Portugal, ce Salazar et personne d’autre. Si la France avait dû lui fermer la
porte, elle aurait suivi des amis en Allemagne ou son frère au Canada. Ce fut
la France et elle ne le regrette pas. Car elle l’aime, sa France. Ce pays où
elle fut heureuse de nous donner vie. Ce pays qu’elle nous apprit à respecter,
à aimer et à servir. C’est pour ces raisons qu’elle se révolte à chaque fois
qu’elle entend un immigré exprimer du dépit, cracher sur la France en disant
que la France lui doit ceci ou cela, doit payer pour ceci ou cela.
Mon père, tout aussi
reconnaissant envers la France mais plus enclin au pardon envers sa nation
d’origine, bien qu’haïssant le régime de Salazar, m’apprit à faire la part des
choses. S’il lui apparaissait comme normal que je ne me reconnaisse en rien dans
la nation portugaise, il lui semblait important que je n’oublie pas d’où venait
mon sang et le nom de cette région magnifique où plongent mes racines. Aussi,
il demanda à ses enfants de penser en portugalicien chez lui mais en français
la porte passée. Le carnet scolaire ayant servi à mon père de talon pour
mesurer notre intégration, lui faire savoir si nous avions assimilé ce qu’être
français veut dire, en termes de savoirs, de traditions, de lois et d’histoire.
Grâce à cela je sais que je peux m’enraciner tel un Breton ou un Guadeloupéen,
dans une région, « d’où je suis fait », ma Galice portugaise, tout en ne
faisant allégeance qu’à la France, ma nation, celle qui m’a fait. Merci papa.
Merci maman.
2- Merci car c’est
grâce à tout cela que je peux faire la part des choses, refuser la pensée
inique comme la pensée unique.
La pensée inique, celle qui
nous juge non pas pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous serions. Qui
nous juge parasites, quoi que nous fassions, nous enferme dans un statut
d’étranger, tout en étant heureuse de nous voir accomplir les travaux qu’elle
refuse de faire pour son propre pays.
La pensée unique, celle qui
tout autant, nous juge pour ce que nous serions et non pas pour ce que nous
faisons. Qui nous juge bons et purs par nature, qui nous enferme dans cette
identité social-mythique qui n’existe pas, qui nous ment en nous faisant croire
qu’ici tout nous serait dû, sans devenir d’ici ou faire comme font les gens
d’ici pour avoir ce qu’ont ces gens d’ici. Une pensée unique qui suscite envers
nous, par son inconscience et cette croyance en des portes éternellement
ouvertes à tous, tout autant de haine que l’autre. Une croyance oubliant que
toutes les politiques migratoires procédèrent de choix politiques. Un choix,
une organisation, une volonté, un temps ouverte, un temps fermée au gré des
besoins et des capacités en générosité de ce pays.
Grâce à cela, je peux dire
aux gens à qui la France a ouvert ses portes, soyez les bienvenus, venez
construire ici ce que l’on vous a empêché de construire chez vous. Les outils
sont là. À vous de bâtir. Vos droits sont les suivants. Vos devoirs sont les
suivants. À moi le devoir de veiller à ce que vos droits soient respectés.
Grâce à ça, je peux dire aux
hommes et aux femmes à qui mon pays a signifié souverainement « notre maison ne
peut pas vous accueillir », qu’il ne sert à rien de se montrer véhément. La
France ne vous doit rien. Vous n’avez rien à exiger de nous. Vous ne nous
appartenez pas. Retourner votre colère vers vos états, rois ou potentats, vers
ceux qui vous ont jeté sur les routes. Essayer donc une autre porte.
Grâce à tout cela, je peux
dire qu’il n’y a pas d’Immigration mais des immigrations. Chacune avec ses
spécificités. Chacune avec ses problématiques. Problématiques qu’il convient de
poser pour déterminer non seulement si nous pouvons ou voulons de telle ou
telle immigration, mais également pour essayer d’apporter les réponses les
moins idiotes possibles. Grâce à cela, je peux rejeter l’amalgame véhiculé
aussi bien par les fascistes, que par les gogochiste, au mieux de l’intérêt de
mon pays comme de celui des populations accueillies.
Sil de Souza
P.S. : spéciale dédicace à mon lectorat bobo puisque je sais très bien ce qu’il
dira. C’est fou mais à chaque fois qu’un fils du petit peuple ou d’immigrés
n’accepte pas l’idée de se faire guider par leur bien-pensance, n’accepte pas
leur vulgate pour seule science, ces bobofs nous traitent de gros beaufs. Ce à
quoi je réponds bof ! Quant aux nationalistes, comme d’hab, ce qu’ils peuvent
dire, je m’en branle. Qu’ils aillent mourir.