« Vieni con me, j’ai quelque chose à te montrer » me dit
Caterina, en plongeant ses mains dans son châle et en commençant à claquer les
talons, qui soulignent ses très jolis mollets dépassant sa non moins jolie jupe mi-longue
en flanelle grise, sur les pavés des ruelles de Dorsoduro.
Caterina, blonde vénitienne de 45
ans, aux traits aussi fins que ses manières, et peu impressionnée par le froid
humide qui, en cette saison, parvient à te chatouiller la moelle épinière, connait
sa ville comme personne. « Vieni con
me ». Je la suivrais bien dans les neuf enfers de Dante, me dis-je
dans ma barbe de trois jours.
Nous y voilà, au beau milieu d’une
placette du quartier populaire de Dorsoduro. Il est 18 heures, et le soleil de décembre s‘est
couché depuis plus d’une heure. « Le
ballet ne va pas tarder à commencer » m’annonce Caterina, avec une
certaine solennité, un peu comme on frapperait le brigadier par trois fois sur
le plancher d’une scène de théâtre.
Il ne tarde pas, en effet. Les gens sortent
du travail et rentrent chez eux. Et cette placette plongée dans la pénombre,
ressemblant à une passoire trouée de ruelles et arcades, venant et menant on ne
sait où, voit soudainement sortir, traverser puis s’enfouir, dans tous les
sens, des gens pressés par le froid, bouches et nés plongés dans leurs écharpes,
cavalant en mode pilote automatique dans le dédale vénitien.
Je lâche un « Génial ! »,
émerveillé que je suis par le spectacle, tel un gosse admirant une pluie de
météorites. Caterina m’observe du coin de l’œil. Elle sourit du regard.
Nous restons là quelques minutes
puis elle me dit, « j’ai autre chose
à te faire découvrir, l’un des secrets de Venise ». Nous voilà
repartis en direction du pont des merveilles, non loin de l’Académie.
Sur le chemin Caterina, aux longs silences énigmatiques, chose que j’adore, finit par me dire « vois-tu, le secret de Venise ne réside pas tant dans ses rues que dans les portes que l’on peut y pousser ». En finissant sa phrase, elle s’arrête devant l’entrée d’un établissement qu’elle ouvre. La rue restée jusqu’alors dans un relatif silence résonne d’éclats de joie. Ils proviennent du très chaleureux troquet qui sent bon le repère d’amis, comme il y en a finalement tant à Venise, et dans lequel nous nous engouffrons avides de la joie de vivre qui y règne.
Nous en ressortirons trois heures
plus tard. Je suis aux anges. Nous déambulons tranquillement dans les ruelles de
San Polo. Nous ne croisons quasiment personne. Les volets des bâtiments sont
fermés. Certains laissent passer un peu de lumière mais globalement, la
Serenissima est belle et bien plongée dans le noir. Le brouillard accentue
l’effet d’outremonde. C’est tout bonnement merveilleux. Nous marchons sans mot
dire pour mieux savourer le rythme du cliquetis de nos pas sur les pavés ainsi
que les quelques bruits épars qui émergent, parfois, de ci, de là.
« Venise se goute comme ça » me fait comprendre Caterina. Nous flirtons
du regard drapés dans la brume vénitienne…
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