« Mais où est la fille ? » me
demanderont mes lecteurs les plus assidus, ceux-ci n’ayant pas manqué de
remarquer qu’une femme se glisse souvent dans mes virées. Ils ont raison. Car autant
Eros semble vouloir se montrer contrariant à domicile, autant ce coquin trouve
toujours le moyen de m’adresser de merveilleux clins d’œil à l’étranger. Sans
doute sa façon de me motiver à partir. Comme souvent, elle arrivera de la façon
la plus impromptue et magique qui soit, notamment dans une journée où tout s’annonçait
réglé comme du papier à musique, celle du mariage de mon pote.
La
journée commence de bonne heure. Notre joyeux groupe monte dans le minibus, en
tenue de mariage, direction le domicile des mariés, qui se trouve dans une tour
de standing des quartiers résidentiels. Au pied de l’immeuble nous attendons
l’arrivée de nos tourtereaux. La voiture arrive. Ils s’en extirpent. Mon Tranx
est tout beau. La mariée est des plus ravissantes. Elle me fait penser à ce que nous
disait mon grand-père maternel lorsqu’il nous racontait que nous avions un peu
de sang Made in Macao revenu de Chine il y a quelques générations :
« les Chinoises ne sont pas toutes
belles, mais la beauté de celles qui le sont en éclipserait l’éclat du jour ».
Devant
la voiture, s’en suit, en musique, une danse traditionnelle avec tigres et
dragons. Le marié prend sa dulcinée dans ses bras et passe ainsi le perron de
l’immeuble. Nous le suivons et nous rendons tous dans l’appartement du couple
où se prépare la cérémonie du thé que doit offrir l’épouse à ses beaux-parents,
puis celle du bol de nouilles que nos amoureux partageront jusqu'au baiser final comme dans "la Belle et le Clochard".
Le
temps de goûter à l’émotion du moment, qu’il nous faut repartir vers la
cathédrale Saint-Michel de Qingdao pour la cérémonie de mariage. A part la
présence de Chinois, rien de bien exotique. C’est on ne peut plus catholique.
Les voilà donc mariés devant les dieux de Chine et celui d’Israël. Le Monde est
un village. L’amour est ce qui nous lie.
Après
la cérémonie religieuse et en attendant le festin du soir, nous passons un après-midi
particulièrement agréable à nous promener avec le marié dans les jardins du somptueux
quartier de Badaguan. Un quartier boisé en bord de mer, constitué de
jardins, parsemé de villas particulièrement cossues, et de restaurants. Dans
l’un d’entre eux se tiendra le banquet de mariage, l’exercice ayant ceci de
particulier en Chine qu’il consiste principalement à se remplir le ventre le
plus possible en trois heures de temps. En attendant ce moment nous profitons
de la fraicheur des jardins de Badaguan.
Les
jambes finissant par me démanger, je m’en vais vagabonder un peu sur la
promenade du front de mer. Grand bien m’a pris. Le spectacle est des plus
truculents. En rang d'oignon, des dizaines de couples se font tirer le
portrait sur la plage. Avec ou sans cheval, de la plus classique à la plus
légère, toutes les poses sont visiblement possibles. Certains couples poussent
le jeu jusqu’à s’amuser avec l’objectif des passants, notamment cette épouse
assise sur son mari qui m’adresse un très jovial signe de victoire.
C’est
là que sur un air de Amadou et Mariam, je me mets à fredonner « le dimanche à Qingdao c’est jour de mariage »,
tout en rejoignant mes amis.
C’est
bientôt l’heure de la noce. Nous nous dirigeons vers le restaurant de plage. Le
soleil décline sur la baie de Fushan, embrasant les tours de verre et d’acier qui
longent le front de mer. La plage de sable blanc accueille encore maintes
familles chinoises tenant à profiter jusqu’au bout de ce dimanche ensoleillé.
Vient
le moment de prendre place. Les convives affluent dans le restaurant. Je suis à
la table d’honneur, à côté des frères et sœur de Tranx et d’un vieil ami à lui
on ne peut plus sympathique. Des sièges restent inoccupés. Ils sont destinés à
des amies de la mariée. Deux d’entre elles arrivent. Une jeune femme un peu
timide qui restera quasiment muette toute la soirée du fait de son absence de maitrise
de l’anglais ; et une princesse chinoise aussi resplendissante dans sa
robe rouge qu’elle s’avèrera peu avenante. Demeure une chaise vide à ma droite.
Alors
que nous procédons aux premiers échanges d’amabilités, ma tête se tourne
subitement sur la droite. Une jolie jeune femme s’installe subrepticement sur
le siège resté vide, en s’excusant pour le retard. A l’instant même où elle
prend place, un frisson me parcourt la colonne vertébrale. Elle se présente et échange
quelques mots avec nous. Je suis déjà sous le charme de ce mélange de
simplicité et d’élégance discrète.
La
conversation s’engage assez vite, d’abord sur nos parcours, puis sur des
considérations plus générales. On m’avait pourtant dit que les Chinois n’aiment
pas trop parler politique. Là du fait de son ouverture intellectuelle et
professionnelle sur le monde, ce n’est pas le cas. Nous discutons à bâtons rompus.
Elle a une merveilleuse façon de parler, directe, sans chichis, mais toujours
de façon mesurée et appropriée. Cette fille transpire la classe et
l’intelligence.
Nous
en oublions de manger. Le temps de s’en rappeler ; de passer devant un
buffet qui se vide à toute vitesse ; puis d’amuser les autres jeunes
femmes chinoises de la table en leur dépiautant leurs crevettes avec couteau et
fourchettes tout en leur disant que j’ai appris cette technique, non pas à
Paris mais au temple de Shaolin ; que nous voilà repartis de plus belle dans notre
conversation au cours de laquelle elle aborde trois questions
intéressantes : « pourquoi le
monde entier nous déteste ? Quel futur sera le nôtre alors que nous sommes
si nombreux en Chine ? Comment vivre avec autant de pollution ? »
S’agissant
de sa première question, sans lui dire qu’elle sent un peu le contrecoup de la propagande du
régime, je lui réponds que le monde entier ne déteste pas les Chinois, loin s’en
faut. De par leurs valeurs et réalisations, les Chinois inspirent bien plus le
respect que le rejet. Maintenant, il faut placer les tensions actuelles dans un
contexte mondial particulier. Celui où les anciennes puissances européennes
stagnent et vieillissent après avoir pas mal perdu de leur superbe, et une
Chine continuant de connaitre une phase de croissance spectaculaire et les
ambitions qui vont avec. Il est vrai qu’un tel contexte impose aux autorités
chinoises de ne pas trop se montrer agressives et de ménager nos
susceptibilités de vieilles nations bousculées par la mondialisation, sans
renoncer à leurs intérêts vitaux pour autant.
Elle
me regarde un peu surprise avant de me parler démographie. Je lui rappelle avec
bienveillance que la Chine est une très grande et ancienne nation, et que de ce
fait, un milliard trois cent millions d’habitants ce n’est pas tant que ça. Ils
ont même, non seulement de la marge, mais surtout intérêt à comprendre que la
démographie est bien moins un souci qu’une richesse.
La
surprise s’accentue d’autant plus qu’intelligente comme elle est, elle doit
certainement sentir dans mes propos, bien plus de sincérité que de volonté de
la caresser dans le sens poil, que j’imagine fort doux au demeurant.
C’est
là qu’elle me dit qu’une augmentation de la population ne manquerait pas de
générer encore plus de pollution. J’accueille de nouveau son inquiétude avec
optimisme, en lui répondant que je suis certain que les Chinois trouveront les
moyens de régler, comme en Europe, leurs soucis de pollution à moyen terme.
Elle me demande de préciser la durée de ce « moyen terme ». Je lui réponds, une vingtaine d’années. Ça ne
la rassure pas trop. Elle estime tout d’abord que c’est trop long avant de se dire
d’elle-même que c’est finalement une durée tout à fait raisonnable. Passionnée,
angoissée, et raisonnable, j’adore cette fille.
De
retour au pays, l’un de mes plus vieux compères me taquinera en me disant
« rassurer une Chinoise en Chine,
voilà qui ressemble à de la drague catégorie légende ». Je lui
répondrai en rigolant que ce n’était même pas de la drague et qu’en répondant à
ses interrogations, je me rendais surtout compte à quel point la classe moyenne
de toute la planète connait finalement les mêmes préoccupations.
Les
parents de mon Tranx étant parvenus à négocier une parenthèse musicale, les
mariés décident d’ouvrir le bal, suivi par les parents du marié qui nous
offrent une très belle démonstration de rock versaillais. Voilà très longtemps
que je ne l’ai plus pratiqué mais l’envie de me dégourdir les jambes est
beaucoup trop forte. Je demande à ma voisine si ça lui dit de faire partie de
la demi-douzaine d’hurluberlus qui se trémoussent sur la piste sous le regard
spectateur des Chinois. Elle me répond « je danse comme un animal ». Je me dis « décidément, le naturel de cette fille me
tue », avant de lui répondre « moi aussi ». Je lui prends la main et on s’en va danser un
brin, le temps que le contact visuel et digital se fasse si brûlant que je me
sente perdre le rythme. La musique cesse assez vite. On s’en retourne à table.
La
noce touche à sa fin. Les convives sont repus. Les travées commencent à se
vider. Nous restons encore là, à discuter. Quelques jours plus tard, JP m’enverra
une série de photos, dont une prise à ce moment-là, accompagné de ce
commentaire « non seulement elle est
mignonne mais en plus elle semble avoir de très jolis seins ». Au-delà
de ses jolis seins, l’expression de nos visages est on ne peut plus parlante. Nous
aurions pu rester là encore des heures.
Des
heures au gout d’éternité, de celles qui nous font cogiter et rêver ; qui
nous font relire les romans mystico-sentimentaux de Marc Levy d’un œil moins
moqueur ; qui nous donnent l’impression que certaines rencontres ont le
gout de retrouvailles entre de vieilles âmes amies prenant des nouvelles l’une
de l’autre, tant tout se passe on ne peut plus merveilleusement, naturellement,
sainement, sans faux semblants…
Il
a bien fallu que l’on se lâche. Les lumières s’éteignent. Celle dont le prénom
signifie en chinois « flocon de neige », et qui m’a fait fondre toute
la soirée, doit rentrer chez elle. Elle me demande quand est-ce que je dois
quitter Qingdao. Je lui réponds « demain ».
Au mot « demain » nous
affichons la même mimique de frustration. Nous décidons tout de même d’échanger
nos adresses courriel et nous nous promettons de rester en contact.
Ce
sera chose faite dès le lendemain, au réveil, avec des mails qui se croiseront,
envoyés comme pour vérifier que l’adresse est aussi réelle que la féérique
soirée de la veille. Ceux qui suivront donneront lieu à un petit rituel mignon,
de part et d’autre. Soit je lui dis « je
pensais à toi et je prends de tes nouvelles », soit c’est elle qui me
contacte avec son pudique mais direct « you just jumped into my mind ».
A
chaque reprise s’enclenche dans ma tête la vidéo de ces heures au goût d’éternité,
avec pour bande sonore, non pas le trop morbide titre « China girl » de David Bowie, mais la
chanson qui a rendue mondialement célèbre la chanteuse chinoise Faye Wong « Eyes on me », sans oublier une touche
de rock versaillais.
Quand
j’y repense, grands dieux ce que j’ai pu aimer me réveiller dans les draps de la
Chine, le corps parcouru de doux frémissement rêveurs…
2 commentaires:
Et la somptueuse Xuehua (flocon de neige) est à ce jour toujours célibataire. A bon entendeur...
Gros soupir (sentimental)...
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