Alcool, je ne t’ai jamais aimé. Ta capacité « à éteindre l’homme pour allumer la bête » comme le rappelait Camus m’a toujours ulcéré. La misère morale dans laquelle tu as plongé mon grand-père maternel, et celle matérielle dans laquelle tu as enfoncé sa famille, m’a toujours poussé à te ranger parmi les ennemis du genre humain. Alcool, même s’il m’arrive de t’user pour « faire société », tu m’es toujours sorti par les yeux.
Mais il n’y a pas que l’alcool susceptible de me provoquer des problèmes oculaires. L’Amour aussi visiblement. Sans doute parce que l’Amour ne voit que la lumière, ce qu’il y a de plus beau en l’être aimé, occultant les nuages sombres qui s’amoncellent.
C’était pourtant gros comme un tonneau. Si j’avais beau ne pas être un familier de ces questions, comment ai-je pu ne pas voir ces évidents signaux de la dépendance :
- Ce vin présent chaque jour de la semaine ; ces régulières beuveries chez ses quelques proches où boire sans soif était normal ; ces dîners aux accents pseudo mondains chez son triste « ami » ou plutôt « compagnon de naufrage » qui ne servaient que de prétexte à l’ivresse tabagique et alcoolique accompagnée d’interminables lamentations…
- Elle qui rentrait grise à chaque fois, la voix troublée par l’alcool, somnolant dans le taxi, gravissant l’escalier de l’immeuble avec lourdeur alors qu’elle est d’ordinaire si légère…
- Cette bouteille achetée lors des courses du dimanche qui semblait s’être multipliée dans la semaine, en tombant à maintes reprises dans le bac à verre de l’immeuble lorsqu’elle descendait le seul sac de déchets qu’elle ne voulait pas que je porte, celui des bouteilles…
- Tous ces symptômes, ces migraines, de soirée, du lendemain ou de manque lorsqu’elle ne buvait pas assez ; toutes ces nausées, torpeurs, fatigues, insomnies, spasmes dans la nuit, grincements de dents, douleurs musculaires et autres, fourmillements dans les mains, ecchymoses, problèmes vasculaires, soucis gastriques, sautes d’humeurs, crispations du visage, stress, anxiété, troubles de la mémoire, interminables radotages, déprimes ; sans oublier les questions d’argent qui revenaient de plus en plus souvent ; tous ces symptômes qui, après vérification, peuvent s'expliquer par une même ou principale origine…
Je la croyais juste « fêtarde ». Un être « bon vivant ». Et ce malgré le fait que ses blessures passées, ses souffrances et mal-être criaient si souvent. Je ne voulais pas la juger, la priver de ses menus plaisirs, la changer en lui imposant mon rigorisme en la matière. Je me suis d’ailleurs mis à l’accompagner de temps en temps. Elle m’achetait parfois ces petites bouteilles de bière aromatisées « pour me faire plaisir ». C’était certainement pour se déculpabiliser. Je commençais surtout à sentir les effets de cette mauvaise habitude. Ce voile jusqu’alors inconnu qui se glissait parfois dans mon crâne ; ces poussées d’acné ; ces tiraillements musculaires ; toutes choses dont je ne comprenais pas la cause, et qui sont vite passées dès que j'ai cessé tout contact avec ce pernicieux venin.
Nos merveilleux moments de bonheur, d’une complicité et d’une joie rare, je les ai vus, laisser de plus en plus la place au mal-être, aux accrochages aux motifs aussi divers qu’incompréhensibles. Une relation merveilleuse a tourné à l’intoxiquée. Les confinements et le télétravail y sont aussi pour quelque chose. Ils l’ont aggravé. Toutefois, après la douce euphorie des débuts de notre relation, c’est comme si un vieux piège s’était progressivement refermé, comme si le robinet d’un vieil acide s’était rouvert pour tout dissoudre.
Comment pouvais-je comprendre que la femme la plus merveilleuse à mes yeux, dont je traitais bien sûr les défauts en adulte tout comme je traite les miens, dont j’étais passionnément amoureux, en lui rappelant si souvent à quel point, pouvait craindre à ce point l'abandon, pouvait se sentir si jalouse ou envieuse de tout et de tout le monde, en me faisant des scènes beaucoup trop régulières malgré le fait de lui signifier tout aussi régulièrement que je vivais ces scènes de façon de plus en plus insultante et avilissante ?
Comment pouvais-je comprendre qu'une personne aussi affable et courtoise, exprimait la crainte du contact avec mon entourage "non buveur" ou avec de nouveaux venus, ne prenait souvent ses aises qu’après avoir bu un brin ?
Comment pouvais-je comprendre qu'une femme aussi intelligente et ouverte, semblait avoir peur de la moindre initiative, avait besoin de ma validation ou soutien pour bien des choses ordinaires, prenant pour du dédain l’expression de ma confiance en ses capacités et autonomie ?
Comment pouvais-je comprendre que quelqu’un d’aussi honnête, pouvait en être, finalement, réduite à boire en cachette ?
Comment pouvais-je ne pas comprendre que cette saloperie avait bousillé son "estime de soi" (J'ai coché toutes les cases de ce diagnostic) !
Comment pouvais-je admettre, enfin, qu’un être aussi doux et conciliant, devienne de plus en plus déplaisant ou blessant avec le nombre de verres enquillés ou lorsque le stress du manque la prenait ?
J’ai seulement compris tout cela (en lisant bien des articles dont celui-ci), après avoir pointé du doigt, les déplaisants comportements de Réveillon que je ne voulais plus revivre à l’approche du prochain chez son vigneron de beau-frère. En pointant cela du doigt, certes avec fatigue et colère mais sans la moindre malveillance, j’ai surtout mis celui-ci, « violemment » comme elle dit, sur le problème dont j’ignorais l’ampleur et qui nous a explosé au visage, mettant « en miettes » le masque du mensonge qui recouvrait cette maladie.
Car plutôt qu’un vice, cela en est une, de maladie. Verre après verre, ce puissant neurotoxique vous flingue le corps et l’esprit, vous désarme, vous lie pieds-et-mains à lui dans le cachot du déni. J’aurais voulu lui dire que tout comme il ne me viendrait pas à l'esprit de culpabiliser un travailleur intoxiqué au plomb ou aux solvants industriels, je ne l’aurai pas rendue responsable des effets de ce poison culturellement administré. Je n’en ai pas eu le temps ou l’occasion. Elle s’est enfuie dans une impasse où je ne peux pas la suivre.
Et maintenant, me voici, là, perdu, entre chagrin, culpabilité, inquiétude et doutes.
Qui ai-je aimé ? Ce qu’elle est vraiment, la femme légèrement alcoolisée, une illusion, une inconnue finalement ? L’alcool l’aurait-elle conduit à me cacher d’autres turpitudes ?
Quel gâchis ! Quel satané gâchis ! J’enrage ! Je passerai bien au napalm, comme on crame de vulgaires plans de coca, tous ces putains de pieds de vigne de France et de Navarre.
Puis, je me calme. Quand il n’y plus de colère ou d’illusions, que reste-t-il ? Sans doute l’Amour à l’état brut. Car je l’aime et je l’aimerai toujours.
J’aimerais tant que l’Amour soit plus fort que l’Alcool. En me donnant le courage de la soutenir dans son combat contre lui. Encore faudrait-il qu’elle décide de lui déclarer la guerre, avec un soutien médical et psychothérapeutique, et de solliciter l’aide de mes bras faits pour elle.
J’ai peur ! J’ai terriblement peur qu’après « Nous » avoir dissous, l’alcool finisse par me la détruire.
Alcool, je te vomis ! Alcool, je te maudis ! Tu m'as pris la Femme que j'ai le plus aimé de ma vie, et dont je ne verrai plus l'éclat de son âme à travers ses yeux si clairs se lever et se coucher chaque jour.
Alcool, je te hais !
Sil
L'Alcool c'est comme une baignade sans savoir nager
"Plus d'hommes se sont noyés
dans l'alcool que dans la mer"
Femme "libre" piégée et soumise à l'Alcool
L'Alcool tue l'Amour
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