mercredi 12 mai 2010

« Hors-la-loi » de Rachid Bouchareb et les effets laxatifs de la colonisation


La névrose c’est lorsque de sempiternelles obsessions vous font tourner en rond jusqu’à épuisement, lorsque rien de nouveau ne se produit, qu’aucune piste nouvelle n’est explorée. Un système figé. Voici dans quoi patauge parfois mon pays. Tout y est alors d’un prévisible. Voyez le film « Hors-la-loi » de Rachid Bouchareb, revenant sur les massacres de Sétif, en 1945, en Algérie. Voyez plutôt le scénario bourré de clichés assez tragicomiques qui entoure ce film.

En effet, voici un film qui n’est même pas sorti en salle, que personne n’a vu, mais sur lequel pas mal de monde a déjà un avis plus que tranché. « Anti-Français », « révisionniste », voici comment le voit Lionnel Luca, député UMP, défenseur en son temps de cet article de loi qui voulait nous rappeler les « aspects positifs de la colonisation », et plus récemment à l’initiative d’ un « collectif des parlementaires pour la liberté d’expression », face à une « censure » qui s’exerce « de plus en plus, de manière directe ou indirecte ». Plutôt drôle non ? L’extrême-droite faisant quant à elle dans le grand guignol, genre Charlots Martel-en-tête, en menaçant ce film d’une « croisade sur la croisette ».

Passons à un Rachid Bouchareb, le réalisateur, assez drôle lui aussi, à la limite même de la palme d’or de l’hypocrisie. Monsieur pond un film sur un sujet sensible, sans vouloir faire œuvre « d’historien », ni « documentaire », tout en voulant «rétablir une vérité historique confinée dans les coffres», et il s’étonne des réactions, appelant au calme et souhaitant que l’on parle de tout ça de façon quasi apathique, ou du moins qu’on lui signifie d’éventuels désaccords, gentiment, avec des bisous et une boite de bonbons. Petit rigolo va !

Aussi rigolo que notre position dans toute cette affaire, puisque nous voici presque sommés de prendre d’ores et déjà position sur ce film, en lui donnant une importance qu’il ne mériterait pas mais qu’il est censé avoir et vice-versa. C’est que ce film aurait pour objectif de nous pousser au « repentir », et que par conséquent il nous faut réagir, en boudant le film ou en planchant sur les aspects positifs de notre colonisation.

Réagir… En fait de réaction, voici la mienne.

Tout ça me fascine. Il n’y a que chez nous pour voir ça. Aux EUA, Hollywood passe son temps à bombarder le public de films traitant de toutes les guerres passés, récentes et futures, dont certains additionnent les classiques clichés anti-militaires, anti-politiques, aux complètement débiles du type complotistes militaro-industrielo-pétrolier, et pourtant cela ne semble pas leur poser de problème. Ils ne versent ni dans la détestation de leur armée, ni dans la repentance effrénée. Peut-être parce que contrairement à nous, ils prennent le cinéma juste pour ce qu’il est, une forme de spectacle et sûrement pas de science politique ou historique. Peut-être aussi parce que l’offre est suffisamment variée sur tout un tas de sujets pour qu’on y tremble pas devant un seul film.

De cette même façon, apprenez que je n’ai pas besoin du film de Bouchareb pour me faire une idée sur l’immonde boucherie de Sétif, où notre armée s’en est sortie avec tout sauf les honneurs, et ce indépendamment de quelque élément circonstanciel que ce soit ; de même ce n’est pas le film de Bouchareb qui produira de la repentance chez moi ; aussi, ne provocant pas la moindre repentance, il ne me forcera pas à chercher quelque aspect positif que ce soit à la colonisation pour apaiser ma conscience. C’est que depuis la fin de la colonisation, nous sommes en principe passés à autre chose…

Jake SILly ;-)


Quant aux effets positifs de la colonisation, à proprement parler, pour ceux que cela intéresse, voici ce que je répondis, une fois, à Monsieur d’Aucun lorsque celui-ci chercha à me convaincre avec un « Monsieur SIL, vous qui vous dites un peu historien, ne pouvez pas être sans ignorer, tout du moins, les effets positifs de la colonisation romaine ».

En effet, mon cher Monsieur d’Aucun, en effet, je ne suis pas sans ignorer tout ça car vous n’êtes pas sans savoir que je ne méconnais presque rien de la réalité de notre continuum espace-temps.

S’agissant des effets positifs de la colonisation romaine, pour tout vous dire, je ne suis pas mécontent que nos cousins romains nous aient colonisé un bon coup car avouons-le, avant les routes pavées, leur administration, leurs lois et leur commerce, l’Europe des tribus celtiques c’était bien le bordel. À tel point que dans ma Galice celtique, ils ont dû installer des légions à demeure (notamment dans notre ville sanctuaire de Lug-h-o) tant nous étions réfractaires à tout ordre, surtout romain. C’est qu’on leur a fait la misère à ces pré-Ritales. Face à leurs légions, choc après choc, jour et nuit, été comme hiver, nous résistions avec une férocité telle, à leur volonté de nous faire rentrer dans le rang SPQR, que l’historien Polybe, lorsqu’il témoignera des batailles menées contre les Celtes d’Ibérie, parlera de « Guerres de feu ». Du reste, nous sommes restés de tels casse « colhões » (facile à traduire) qu’il a fallu attendre l’église catholique et sa liturgie latine pour nous faire oublier nos langues celtiques et nous imposer cette langueur toute latine. Ces cons de romains avaient fini par comprendre que notre mélancolie gaélique nous portait à être bien plus sensibles aux messages larmoyants d’un petit gars qui se serait sacrifié pour nous, qu’aux ordres impériaux de soumission. Enfin quittons la colonisation romaine pour revenir à des considérations plus générales.

Car d’un point de vue général je tiens à signaler trois trucs :

1- La colonisation fut le propre du sapien-sapiens dés sa venue au Monde (cliquer sur l'illustration). Un sapiens-sapiens toujours en quête d’espace vital, de situations favorables et d’expansion possible pour le bien de sa progéniture. Aussi que le groupe humain qui n’a jamais colonisé daigne jeter la première pierre. Même les « gentils indiens » arrivés il y a 15 000 ans en Amérique par le détroit de Béring et qui se plaignent de la colonisation hispanique, voire d’un «génocide», ont supplanté des populations, d’autres « indiens » plus anciens, qui avaient débarqué sur ce continent 20 000 ans avant eux, après avoir sauté d’île en île du Pacifique. D’ailleurs en parlant de colonisation Hispanique, histoire de faire dans « l’effet positif » provocateur, je ne suis pas mécontent que la colonisation espagnole ait mis fin à "l’auto-génocide" que les Aztèques, Mayas et autres barbares doués de civilisation, pratiquaient sur eux-mêmes et leurs voisins dans le cadre de leurs satanés sacrifices humains de masse. C’est vrai quoi ! Ils m’ont quand même l’air d’aller un peu mieux depuis 500 ans, c’est moi qui vous le dis.

2- Si la colonisation fait partie de notre histoire comme de celle de toute l’espèce humaine, je tiens quand même à signaler, cela dit en passant, que les seuls à avoir poser un regard moral sur cette pratique... et bien c’est nous... nous autres vilains blanc censés demander pardon à tous et pour tout. Demander pardon peut-être aussi parce que nous sommes les seuls culturellement capables de le faire. Na ! Et oui, mes chers Batakweks, les seuls à avoir dit « la colonisation est un crime » c’est nous ! Les seuls visiblement, à accepter le poids moral de ce crime comme de bien d’autres, c’est encore nous ! Toujours nous !

3- Et pendant que les seuls à se repentir, c’est re-nous, quoique les Japonais s’y mettent aussi, comme quoi les deux bombes nucléaires qu'ils ont bien cherché ne leur ont pas fait que du mal, que voit-on ? Que ceux qui exigent des excuses, non seulement sont partis à 10, il y a 14 siècles depuis La Mecque, pour se retrouver à 300 millions depuis l’Atlantique jusqu’à l’océan Pacifique, mais mieux encore continuent à coloniser du feu de dieu. En Kabylie ou dans d’autres contrées Berbères mais aussi au Darfour où le gouvernement de Khartoum après n’avoir pas du tout planifié l’éradication des populations noires locales, ne planifie pas du tout non plus le remplacement observé des populations indigènes par des populations arabes venues d’ailleurs. Je sais que le jeter de caillasse c’est quasiment plus fort que vous mais là, pour balourder la première pierre, il va falloir quand même faire gaffe à ce qu’elle ne vous revienne pas en pleine poire.

Cela étant dit, il est une chose d’expliquer anthropologiquement et historiquement nos crimes passés envers nos frères sapiens et une autre de valider moralement par la Loi ces mêmes injustices. Car valider par la loi une injustice passée non seulement constitue une régression morale mais surtout entérine pour le présent voir le futur quelque chose qu’on estimait appartenir au révolu. Rendre « positif » c’est rendre possible. C’est en ça que toute loi sur les aspects positifs de la colonisation sont et resteront une aberration morale à ne pas produire.

Une aberration aussi ridicule que la repentance, encore plus quand cette demande de pardon s’adresse à ceux qui perpétuent le crime en question.

Bref, nos colonisations, il va falloir arrêter d’en faire un foin permanent car faute d’être un âne, j’ai beaucoup de mal à le digérer. Avançons ! Avançons !

SIL de las Casas

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