samedi 29 avril 2017

The Galway Girl : « contrairement aux gamines, une femme sait ce qu’elle veut » Deirdre


En ce samedi soir de fin avril, je rentre à Dublin en provenance d’Irlande du Nord. Ma splendide balade le long de la côte aux Saumons, puis sur la Chaussée des Géants, et enfin à Belfast, m’a mis d’excellente humeur et surtout en très grande forme. Je suis du côté de Temple Bar, le très festif quartier des tavernes, et je me dis que j’irais bien profiter de la joyeuse ambiance des pubs irlandais.

Attiré par sa devanture lumineuse, je finis par pousser la porte du The Oliver St John Gogarty. Pour sûr c’est joyeux. Il y a un groupe de musiciens qui joue sur une scénette. A l’unisson dans le pub, ça chante, ça braille en descendant de la pinte en veux-tu en voilà. Ils en ont tous, au moins une dans chaque pogne. J’en commande une petite. Une Guinness bien sûr. Ce sera déjà bien assez pour moi. C’est qu’il y à boire et à manger dans cette cervoise.

En la prenant je constate que ma voisine de droite, fort jolie au demeurant, ne déroge pas à la règle. Un mètre soixante-cinq, brune aux reflets auburn, de jolis yeux noisette, dans les vingt-cinq ans, et une chope dans chaque main. Elle remarque ma surprise, tout scotché que je suis sur ses petites menottes chargées de bière, et sourit en voyant mon demi. Je lui lance un « vous aussi, vous aimez la bière ». Elle explose de rire avant de me répondre « bien plus que vous apparemment », enchaine sur un « celle-là, étrangement, on me l’avait jamais faite », et enfin  rigole à nouveau. 

Je me présente. Deirdre se présente également en soulignant d’un air amusé mon petit accent français puis elle m’invite à faire comme elle, soit taper l’incruste sur un coin de table déjà partiellement occupée. Il parait que ça se fait. En guise de confirmation, le reste de la travée nous salue.

J’apprends qu’elle est originaire de Galway et qu’elle réalise une thèse d’histoire sur l’antiquité irlandaise. Me connaissant, mon regard a dû se mettre à briller. Elle me demande d’où je suis originaire. Inspiré par son thème de recherches, je lui réponds que je viens du pays de ses ancêtres. Nouvel éclat de rire. « Rassurez-vous, vous n’êtes pas aussi vieux que ça » me dit-elle.

En souriant, je lui rétorque, « je ne parlais pas de celui-là mais plutôt du Nord du Portugal ». Son visage marque la surprise. En plaisantant à moitié, je lui dis « en excellente historienne vous n’êtes pas sans savoir que l’Irlande est la première colonie portugaise rapportée par les textes, notamment le Lebor Gabàla Erenn, votre récit mythique national, qui raconte l’arrivée des Gaëls en provenance de Galice, il y a plus de 3000 ans ». Désormais elle me dévisage ou plutôt m’envisage différemment, tout en précisant qu’elle connait bien évidemment ce texte. Je lui parle alors de la confirmation de cette très vieille histoire grâce aux récentes recherches anthropologiques effectuées sur le génome humain, confirmant bien la parenté génétique entre Portugais et peuples gaéliques d’Irlande et d’Ecosse. « CQFD, vous êtes nos descendants » dis-je en  concluant un brin amusé. « Vu comme ça, c’est effectivement le cas, cher ancêtre » réplique-t-elle sur un ton badin.

Alors que nous continuons de discuter de choses et d’autres, profitant des places qui viennent de se libérer à la table où nous sommes installés,  un grand gaillard tout ce qu’il y a de plus Irlandais, prend place à côté de Deirdre et commence à la brancher de façon un tantinet appuyée. Gentiment, elle essaye de lui faire comprendre qu’il vient de couper une conversation. Le gars s’en fout, et sans doute sous l’effet de l’alcool, me tance à moitié goguenard, avant de repartir à l’assaut. Deirdre me sourit du coin de l’œil puis le fixe pendant une trentaine de secondes, l’écoutant débiter son baratin. Notre lascar prenant confiance, poursuit de plus belle dans sa lancée.

Soudain, au beau milieu d’une tirade de dragueur aviné, Deirdre approche brutalement son visage du sien et lui lance un tonitruant « go the fuck off !». Notre olibrius se fige stupéfait puis sous l’insistance du regard de Deirdre finit par se lever et quitter la table. Mes sourcils marquent en guise d’exclamation deux accents circonflexes. Accompagnant des yeux son départ, Deirdre, le regard fermé, marmonne un truc en gaélique, avant de se tourner vers moi et de lâcher un clin d’œil amusé.


« Go the fuck off ! ». Une jeune femme qui sait ce qu’elle veut et qui l’exprime clairement, contrairement aux gamines capricieuses et versatiles qui veulent tout et leur contraire ou qui n’aiment rien tant que de se complaire dans les ambiguïtés. Quelle fabuleuse surprise ! Après l’attrait physique, me voilà sous le charme psychologique.

« On parlait de quoi déjà » me dit-elle avec un très large sourire et ses délicieux yeux noisette marquant une non moins délicieuse malice. « Tu me demandais ce que je prévoyais de faire demain, il me semble ». « Ah ! Oui ! Et donc ? ». Je lui réponds, « je comptais aller du côté de chez toi ». Froncements de sourcils et regard un peu inquiet subitement chez Deirdre. Je pouffe de rire avant de lui dire « j’ai prévu d’aller sur Galway après avoir fait un tour, -là-bas au Connemara- ».


Elle se marre à son tour, m’apprenant au passage que cette chanson de Sardou a valu à ce dernier la citoyenneté d’honneur étant donné les millions de touristes qu’elle a attiré dans la région, et conclut, les yeux plein d’espièglerie, sur un « ça te dirait de commencer le voyage dès à présent ? ».

En quittant le pub et en longeant les bords de la Liffey, aux ponts plongés dans cette pénombre verdâtre qui n’aura pas manqué d’inspirer le Dublinois Bram Stoker lorsqu’il écrivit « Dracula », je lui demande la signification de la phrase en gaélique qu’elle marmonna lorsque le très collant Kevin irlandais s’était levé.

« Une vieille sentence de femme de Galway qu’avait pour habitude de nous servir ma grand-mère ». Je lui redemande « et qui signifie ?».  Dans une nouvelle explosion de rires résonnant sur les berges aussi obscures que désertées de la Liffey, elle me répond « je te le dirai, peut-être, un peu plus tard ; en attendant, toi qui aime la musique irlandaise, écoute-moi ça ». 

Nous nous trouvons sur l’une des jolies passerelles en forme de harpe du James Joyce Bridge. L'air est empli d'odeurs de malt provenant de l'usine Guinness toute proche. La bière toujours la bière.

Deirdre sort de sa poche son smartphone, y branche ses écouteurs, en place un dans mon oreille droite et l’autre dans son oreille gauche. Je la regarde, curieux de découvrir ce qu’elle a sur sa playlist, mais également avec la brûlante envie de caresser ses lèvres avant de plonger ma langue dans sa bouche. Son regard pétillant d’intelligence comprend que j’attends son autorisation pour l’embrasser.

Tout en souriant et en approchant très doucement son visage du mien, elle met en lecture ce qui va devenir ma chanson irlandaise préférée "The Galway girl"...

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