vendredi 5 mars 2010

Tristes Tropiques II : Le syndrome du Scorpion


Réchauffement climatique oblige, j’apprends que le tropique du Cancer s’est pas mal déplacé vers le Nord. Pour les raisons qui suivent, je l’ai rebaptisé tropique du scorpion. Car il se trouve que nous autres Européens avons visiblement une coutume en commun avec cet insecte. Celle qui consiste, lorsque le feu l'entoure, à se piquer soi-même en se disant « la situation est critique, ce n’est pas grave, je me suicide et reviendrai jouer un peu plus tard ». Une idée qui m’est venue l’autre jour en conclusion d’une énième prise de tête entre proches, à table, au sujet de l’islam.

« Laisse tomber Sil », venait de conclure ma cousine polaque, « de toute façon l’islam et les islamistes sont les plus forts. Ils arrivent si bien à nous pourrir la tête que nous en sommes réduits à nous embrouiller entre nous alors qu’on se connaît très bien, que nous savons parfaitement qu’aucun d’entre nous n’est ni raciste, ni intolérant, mais tout le contraire ».

« T’as raison Bab’shk » que je lui ai répondu. En effet, c’est triste à dire mais depuis le 11 septembre 2001, à chaque fois que cette question revient sur la table, c’est toujours la même pièce qui se joue.

Les plus renseignés sur les assauts de l’islam, après avoir dressé un petit état de la situation, ne tardent pas à récolter de la part des plus aveugles les habituels « je ne suis pas d’accord », suivis d’un « je vois que votre Islamophobie ne s’arrange pas ». C’est en général le moment où l’action s’emballe.

L’un des supposés Islamophobes pique une gueulante à base de « non mais, t’as beau me connaître depuis des années, avoir collé avec moi des affiches contre le racisme et t’en es encore à suspecter chez moi une haine des musulmans. Et puis qui te parle des musulmans d’abord ? On parle de l’islam, des islamistes, de ce qu’ils font, du coran, de Mahomet, en précisant que les personnes en terre d’islam en sont les premières et principales victimes, et toi tu nous balances l’argument que Khomeiny envoyait à la tête de tous ceux qui s’attaquaient à l’idéologie islamique -Islamophobe-. C’est nul, putain ! »

À ce point de l’acte I, les contradicteurs embrayent sur un autre argument. « Ouais ben justement, vous êtes là avec votre coran, les hadiths, Mahomet, à nous balancer des faits et des textes à la figure, à étaler votre science, et nous on devrait juste être d’accord ? »

« À partir du moment où tu n’as rien lu de ce que nous avons lu, oui, c’est exactement ça » répondez-vous d’un ton agacé devant ce genre d’argument spécieux. « Étaler sa science, portenawak ! »

« C’est ça, c’est ça… ce qui est sûr c’est que vous êtes vraiment des fachos ». Suite à ça, le rideau se baisse sur l’acte I. Certains se lèvent et vont fumer une clope dehors. Les autres reprennent du café.

Acte II, ça redémarre sur une petite gêne. Le « facho » était vraiment de trop, alors l’accusateur revient dessus en essayant de calmer les choses. « Reconnais quand même que tu n’avais pas à nous dire de la boucler. »

De votre côté, pour avoir le « facho » en travers de la gorge, sur un ton calme mais ferme, vous précisez la chose suivante. « Écoute, personnellement, à la base, l’islam ne faisait pas vraiment partie de mes centres d’intérêts. Il se trouve juste que depuis qu’il nous a ouvertement déclaré la guerre, il a bien fallu appréhender le danger, chose que nous faisons tous les jours. Par conséquent il nous semble que nous avons plus de légitimité à en parler que vous. Attends, ne t’énerve pas. Prenons un exemple. Toi ta passion c’est le foot. Imagine que le foot soit devenu un enjeu planétaire, de pouvoir et tout et tout. Imagine maintenant qu’à chaque fois que ce sujet viendrait sur le tapis, nous nous amusions à te contredire en mélangeant les règles du rugby, du basket ou du tennis. À un certain moment, tu serais quand même tenté de nous inviter à fermer nos gueules, non ? Et bien, s’agissant de l’islam, pour nous, c’est pareil. Maintenant si le coran, les hadith, Mahomet, la science, ça te saoule, on peut te servir du fait-divers. On en a plein en stock ».

Touché par l'argumentation mais pas encore tout à fait disposé à déposer les armes, le contradicteur vous sert un « je ne suis pas certain que vous réussissiez à convaincre les gens de cette façon. »

En général, un peu dépité, vous balancez votre bouclier sur les pieds de votre familier en disant « tu sais quoi ? Le pire, le comble, c’est que nous ne devrions même pas avoir à convaincre, à étaler notre science. Le coran est là, les biographies de Mahomet sont disponibles ; les dictatures islamiques sont là ; les guerres, exterminations ou réductions en esclavage des minorités sont visibles aussi ; les souffrances endurées par les musulmans également, celles par les femmes encore plus criantes bien que bâchées ; les attentats, les crimes, les prêches, tout, tout est là qui s’étale jour après jour au grand jour. Non, nous devrions même pas chercher à convaincre, juste pleurer sur cette triste réalité et la combattre pour que nos enfants ne la subissent pas un jour. »

C’est là que votre cousine Bab’shk achève la discussion de façon pessimiste. « Laisse tomber Sil ». Oui, le feu nous entoure et la tentation qui semble nous envahir le plus est celle du scorpion. Un syndrome. Pauvre Occident. Tristes tropiques du scorpion. Baissé de rideau.

SILévi Strauss qui ne laissera pas tomber.

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