mardi 12 août 2008

UN PEU D’HUMOURICAUD


Tabou numéro 2. « Peut-on rire de tout ? » Oui, on le devrait. « Et des Juifs ? » Je n’aime pas vos insinuations mais oui, on devrait pouvoir rire des Juifs autant qu’un humoriste juif devrait pouvoir dire sans se retrouver poursuivi comme l’a été Patrick Timsit, que les « trisomiques c’est comme les crevettes roses, tout est bon sauf la tête ».

On devrait pouvoir mais pour en rire, il faudrait au moins que les blagues éructées par des goys sur les Juifs soient drôles. Ce qui est rarement le cas. Prenez par exemple celles « du peuple déicide » et « dévoreur d’enfants chrétiens » qui ont rencontré un mortel succès pendant deux mille ans, au Vatican. Et bien elles ne m’ont jamais fait rire. Il en va d’ailleurs de même avec celle où François Mitterrand présente les Français juifs internés dans des camps comme des « juifs étrangers ». Ce n’est pas drôle.

De toute façon quand elles me font rire, c’est plutôt jaune. Notamment la bonne blague de Raymond Barre sur les « Français innocents » fauchés lors de l’attentat qui visait apparemment des Français beaucoup moins innocents. Ceux qui se rendaient à la synagogue de la rue Copernic. Où encore celle du général De Gaulle qui s’agissant d’Israël s’essaya au comique troupier en parlant d’un « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». Une vanne aussi nulle que celle de Siné.

Cela dit, au-delà de la qualité, comme je n’arrive pas toujours à savoir si cette forme d’humour vise à rire des Juifs ou plutôt à les rendre risibles, faute de ne plus pouvoir les décrire comme nuisibles, un sentiment de malaise me saisit. Principalement quand je ne sais pas avec qui je ris des Juifs. « Une forme de paranoïa ». Si ça vous fait rire.

Vous pouvez tourner mon angoisse des poussées de fièvre antisémites en dérision mais outre les persécutions, pogroms et autres solutions finales décrites dans ces manuels d’histoire dont certains d’entre vous feraient bien un grand feu de joie, avouez tout de même, que vous avez donné suffisamment de visages à l’antisémitisme pour que je me méfie au moins un peu de votre humour.

Ma très catholique maman ne faisait-elle pas rire tout le monde, en nous traitant de « cara de Judeu » quand nous faisions des bêtises. « Cara de Judeu » signifie « face de Juif » en portugais, avec en plus du caractère judaïque un côté Juda on ne peut plus fourbe. Il est vrai qu’histoire de varier les plaisirs, pas mal de parents portugais portés sur la vanne éducative, étaient susceptibles d’adresser à leurs gosses un « cara de cigano ». « Face de Gitan ». Les Gitans, un autre peuple qui avec les Juifs a rarement rigolé de nos bonnes blagues.

Donc finalement, il ne s’agit pas tant de paranoïa que d'une stricte application de cette maxime de Pierre Desproges « on peut rire de tout mais pas avec tout le monde », sa maman y compris…

Une opportunité qui s’offrit à nous cet après-midi de 1994, dans la cour de la Sorbonne. Nous y étions entre gens de bonne compagnie, aux origines comme aux confessions diverses et variées. José, l’un de mes amis, alors disciple de Desproges, et travaillé tout comme moi à l’époque par la question de nos ancêtres marranes, nous refaisait en direct le sketch de son idole « on me dit que des Juifs se sont glissés dans la salle ». Ce qu’il n’avait pas prévu c’est que la saillie « et j’irai aux douches si je veux » fut l’occasion catharsique de nous lancer dans un concours d’humour concentrationnaire. Ce même humour qui circulait quasi-clandestinement, un peu comme on s’échange des revues pornographiques, dans les cours de recréation.

Cela commença poussivement et en tournant plus ou moins autour du pot. Un peu comme lorsqu’on vous invite pour la première fois dans un camp de nudistes.

Les deux Ashkénazes de la bande finirent pas nous mettre à l’aise en se dessapant les premiers avec des classiques du genre « que fait un oiseau aux dessus d’un four crématoire ? cui-cui ! » ou « tiens, ça sent le caramel ? Normal c’est le jour des diabétiques »…

Mea culpa, mea maxima culpa, c’est moi qui ai décroché le pompon. Je remportais la palme d’or-dure avec un « je n’ai rien dit jusqu’à présent mais je vous demanderai de bien vouloir cesser ce genre d’humour car voyez-vous, mon grand-père est mort dans un camps de concentration ». Après avoir savouré le froid glacial que je venais de jeter, je déridais tout le monde avec un « il est tombé du mirador »…

Bizarrement sans l’avoir regretté, ce petit exercice catharsique ne m’a pas fait tant de bien que ça. En fait je me rendais compte que s’il y avait des blagues sur les Juifs ou sur les camps de concentration, ce qui après tout constitue une forme de victoire sur le négationnisme, il n’y en avait pas sur les antisémites. Étrange tabou. C’est dommage non. Pourtant ces gens-là ne sont-il pas aussi risibles que nuisibles. Oui, n’est-ce pas ?

Par conséquent, j’en ai conclu que si l’on pouvait rire de tout y compris des Juifs ou des camps de concentration, je ne m’adonnerai plus trop à cet exercice, le laissant aux Juifs tant que les non-juifs seront à ce point si peu nombreux à se foutre de la gueule des antisémites. Vous comprendrez que je préfère innover. Préparez-vous les gars, ça va être votre fête. N’est-ce pas Siné.

Tenez, voici une première pour la route: Quel point commun réunit un antisémite et un impuissant ? Le complot juif !

SILomon

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