jeudi 23 avril 2009

TERRES D’ARMENIE ET D’AMNESIE AUSSI


Le 13 décembre dernier, avec mon épouse, nous sommes allés visiter de la famille à Marseille. Le temps était particulièrement morose. Un temps adéquat pour se rendre avec toute la smala au 2e salon du livre arménien qui se tenait à la bibliothèque Gaston Defferre. L’une des cousines de ma demi-arménienne à moi y faisait la promotion de l’excellent ouvrage « Comprendre les génocides du XXe siècle » aux éditions Bréal.

Histoire de tuer le temps au milieu de toute cette mélancolie diasporique, j’ai fait deux heures de queue afin que mes gamines puissent avoir une dédicace de Sophie Ardouin-Mamikonian sur un exemplaire des aventures de Tara Duncan, une sorte de Harry Potterian. Un cauchemar, cerné que j’étais par des adolescentes même pas jolies qui glosaient interminablement sur tel ou tel tour de magie de leur héroïne. Et vas-y que je raconte ma vie pendant des plombes à l’auteur, que je relève telle ou telle contradiction à la page 13. Horrible ! J’ai même failli rater mon bon Franz-Olivier Giesbert, membre du jury de ce salon, de qui j’ai obtenu in extremis un paraphe sur son dernier livre, « les aventures d’Amros le Celte ». Bref j’attendais avec impatience le débat qui devait clôturer cette journée culturelle. Le thème, « la presse communautaire arménienne en France ».

J’adore les débats arméniens. Ces orientaux là ont su garder bien vivante la tradition de la querelle byzantine. Ils sont capables de se quicher la tête pendant des heures sur une virgule. Y participer est tout bonnement infernal mais quand on se contente de jouer les spectateurs, c’est souvent marrant. Et bien là, pas trop. Ils étaient presque tous d’accord. Ça m’a saoulé. C’était chiant, histoire d’utiliser une terminaison arménienne. La rhétorique communautariste, me sort décidemment par les trous de nez.

En effet, en dehors d’Ara Toranian des « nouvelles d’Arménie », un garçon bien plus ouvert et moins porté sur le pathos arménien, tous les autres ont fait dans la litanie de jérémiadians. Avec une mention spéciale pour Garo Hovsepian du journal monolingue (uniquement en arménien) « Haratch ». Celui-ci regrettait que la langue se perde à cause de l’assimilation et du métissage dans le cadre français. N’hésitant pas à user d’arguments du genre « la presse arménienne a été un important vecteur d’intégration » ou à faire peur avec la supposée tentative d’invasion turque de l’Arménie en 1993.

« Ouh là que tout cela sent le nationalisme diasporique » me suis-je dit. Une volonté de maintenir une mainmise politique sur une diaspora. Un réflexe un peu pathologique pour les raisons que je m’en vais expliquer.

Entendons-nous bien, que les Français d’origine arménienne cultivent leurs racines, toute leur mémoire, défendent l’Arménie faute de non Arméniens pour la défendre, soit, c’est très bien. C’est pour toutes ces raisons que mes gosses parlent arménien. Par contre, vouloir se vivre comme une entité nationale au sein d’autres nations, ça ne va pas être possible. Et ce pour une simple raison. L’Arménie existe. Désolé de le rappeler.

Comme je le soutenais en août dernier dans mon billet « méthode assilmil : diaspora, diaspora pas », il est criminel de demander à une diaspora de refuge, privée de nation, de s’assimiler. Cela ne serait rien d’autre que la poursuite de la politique de celui qui a cherché à faire disparaître cette nation. Cependant il n’en va pas de même avec une diaspora qui dispose d’une nation.

Et c’est ainsi, en écoutant Monsieur Hovsepian que j’avais envie de lui dire, « mais faites donc comme les Juifs ». S’ils ont maintenu leur identité vivante tant qu’ils étaient spoliés de leur berceau national, force est de constater qu’ils sont cohérents, eux. Ceux qui veulent rebâtir Israël rentrent en Israël et ce malgré de multiples tentatives d’annihilation. Les autres acceptant la logique de l’assimilation.

Oui, que les nationalistes arméniens soient logiques avec eux-mêmes, qu’ils rentrent en Arménie. L’excuse d’une Arménie soviétique n’est plus, la menace d’une Turquie est plus une excuse qu’autre chose. Et même si l’Arménie actuelle n’est pas la Grande, ni même celle du Traité de Sèvres, il y a de quoi faire.

30 000 km2, 10 000 de plus qu’Israël ; plus de terres arables ; bien plus de ressources en eau. Avec leur sens des affaires, la possibilité d’en faire une petite Suisse du Caucase. Avec leurs richesses culturelles issues pour partie de leur goût pour le cosmopolitisme, la possibilité d’en faire un phare culturel dans la région. Oui, mes chers Haygagan, au lieu de pleurer, de verser dans le nationalisme diasporique franchement schizophrénique puisque oubliant la réalité arménienne, faites donc comme les Juifs, bâtissez l’Arménie. Je sais, ça ne vous plait pas comme propos, à plus forte raison que les Juifs, vous n’aimez pas trop ça, mais comme il faut bien que quelqu’un vous le dise, c’est ce que fait bibi.

En vérité, je suis fasciné depuis pas mal de temps pas le nombre de points communs entre Juifs et Arméniens. Il n’y a qu’eux pour ne pas les voir. Même existence multimillénaire dans cette région ; même lutte acharnée pour exister ; face aux empires anciens, arabes ou turcs, face à l’islam ; mêmes massacres subis, suivis d’un génocide ; même refus de disparaître mais même masochisme aussi ; masochisme dont les Juifs semblent sortis à la différence des Arméniens, surtout ceux de la diaspora, car ceux du Haut-karabakh ne semblent pas vouloir abandonner un seul pouce de terrain.

Fascinant également toutes ces divisions et mésententes entre minorités historiques de la région, entre Juifs, Arméniens, chrétiens du Liban, Assyro-Chaldéens, autres syriaques, Grecs, Georgiens, et ce alors qu’ils sont tout bonnement des alliés naturels fasse aux menaces potentielles que constituent l’islam, le panturquisme et le panarabisme. Mais bon, après tout, c’est surtout leur problème...

SIL de Sassoun

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