« Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir » Johnny
(Après le "Chapitre 1 - ça commençait pourtant bien" ... le "Chapitre 2 - Les Roses du Rhin"... le "Chapitre 3 - ça part en cacahuète"... le "Chapitre 4 - tout est devenu flou"... le "Chapitre 5 - la comédie des pouvoirs"... le "chapitre 6 - quand les masques tombent"... le "chapitre 7 - autogestion"... le "chapitre 8 - les raisons de la colère"... voici le dernier chapitre de votre feuilleton sanitaire estival)
Mardi 2
juin 19 heures. Je viens de m’asseoir dans le métro sur l’une des places
autorisées. Des étiquettes visant à garantir les distances de sécurité
indiquent les sièges à laisser vides et donc ceux que l’on peut occuper. Je
rentre du bureau en pensant au long weekend que je viens de passer avec mes
enfants à Vannes. En fait c’est mon deuxième weekend avec eux depuis la fin du
confinement.
Dès
l’ouverture de nos cages le 11 mai, j’avais filé dans le Morbihan le samedi 16 mai.
Dans mon sac se trouvait un dossier de voyage inhabituel : les billets de
train ; l’attestation dérogatoire de déplacement de plus de 100 km ;
le livret de famille ; le jugement de divorce ; l’attestation de
domicile de la mère de mes enfants ; un courriel indiquant que je verrai
mes enfants à son domicile ; en somme, de quoi démontrer ma bonne foi, en
cas de contrôle. Et bien évidemment mon masque. Or je n’ai eu droit à aucun
contrôle, ni à l’aller, ni au retour ; pas même à celui des billets, les
contrôleurs évitant les voyageurs comme des pestiférés.
A
l’arrivée, mon petit prince me saute dans les bras. Ma princesse a quant à elle
du mal à m’embrasser. Travaillée
par un fond anxieux, et sidérée par la situation, mon adolescente nous fait un
début de phobie sociale, refusant de sortir de la maison, d’aller au collège,
ainsi que les contacts physiques. En insistant un peu, on a pu faire quelques
promenades champêtres, le temps de faire connaissance avec une autre épidémie
sévissant dans le Morbihan. Le frelon asiatique. « Pas de chance ! Encore un truc asiatique ». Je vous jure
que ça fait tout drôle d’être frôlé par une guêpe de la taille d’un pouce
faisant un bruit de Mirage 2000 au décollage. J’ai rarement vu mon fils courir
aussi vite. Il paraît que cela fait partie des gestes reflexes de survie face à
ce missile vivant.
Le
deuxième weekend, celui de la Pentecôte, on a pu pousser jusqu’aux plages, et
gouter aux joies des absurdités administratives post-confinement. Si la plage
de la commune de Baden était autorisée, celle, non loin de là, de la jolie
presqu’île de Conleau, était interdite. Des barrières avec des pancartes
marquaient cette interdiction. Interdiction absurde que la population du cru a
envoyé balader en déplaçant les barrières et en profitant de la plage dans le
respect des distanciations physiques désormais digérées. Une façon de signifier
aux Autorités que l’on préfère les gestes barrières aux barrières
administratives inutiles. D’autant plus qu’il faisait un temps magnifique. Ce
furent de bien belles journées de promenade et de baignade au goût de pas assez,
mais nous faisant néanmoins beaucoup de bien. Habitués à passer du vide au trop
plein émotionnel, du manque au pas assez de temps passé ensemble, nous nous
disons, en nous embrassant devant la gare au moment du départ, « Vivement la prochaine fois ! »
Retour
dans le métro ce 2 juin 19h15. La rame se remplit au fur et à mesure qu’elle
remonte vers le nord de la ligne 13. La vie a bien repris dans le métro. Il y a
encore bien moins de monde qu’avant le confinement mais ça repart. J’ai vu
d’ailleurs, la vie reprendre progressivement, un peu avant le déconfinement.
J’y
repense.
Un peu
comme les hirondelles annonçant le printemps, les Romanichels de l’avenue de
Clichy ont annoncé la sortie de l’hiver réglementaire, en réinstallant sur le
trottoir, dès le lundi 4 mai, les nids à mendicité que sont leurs matelas. Dans
la même semaine, bien des magasins, jusque-là cadenassés entrouvraient leurs
rideaux de fer pour recevoir des cartons de marchandises que l’on pouvait voir
s’amonceler à l’intérieur.
Plus de
salariés se sont mis à emprunter les transports en commun, les trottinettes ou
les vélos. Notamment les jeunes parisiennes, jupes légères retroussées par le
vent, offrant leurs cuisses polies au reflet du dieu Soleil qui s’est toujours
trouvé si beau en ce miroir. Un détail s’ajoute à cela. Beaucoup plus de jeunes
femmes que d’ordinaire ne semblent pas porter de soutien-gorge. En plaisantant,
j’ai mis ça sur le compte du confinement, l’impossibilité de s’en procurer
pendant deux mois, ou le fait d’avoir dû transformer ceux qu’elles avaient en
masques respiratoires, comme le proposaient certains tutos. Que nenni ! Il
s’agit d’une nouvelle mode, celle du « No
Bra ». A la bonne heure !
Même si toutes ces poitrines sans soutien, ne sont pas toujours belles à
voir, en cette reprise de vie, des seins aux tétons orgueilleux sont une
parfaite célébration de la fertilité et du triomphe de l’Existence.
Plus de
tétons sont donc de sortie, mais pas seulement. Les lascars du tiéquar se
réveillent également comme des ours émergeant de leur hibernation. Je le
constate le vendredi 8 mai, en faisant des courses en fin d’après-midi. Au
moment où je passe devant l’entrée du Square Ernest-Chausson, deux gaillards en
sortent. L’un deux, l’air renfrogné dit « viens, on va acheter de la beuh, j’en ai marre de fumer du shit » ;
le deuxième au visage souriant, et dont le regard suit la jupe courte d’une
fille aux tétons qui pointent, répond « laisse béton ta beuh, téma ça, c’est ça que je veux voir ».
En somme,
ce vendredi 8 mai, l’appel de la jungle urbaine est le plus fort. Ça se balade
et ça discute dans tous les coins à l’ombre des platanes des avenues. Seuls, en
bande, ou en couple osant enfin se tenir par la main sans craindre une amende
pour un quelconque saugrenu motif, la vie sociale reprend ses droits.
La police
a beau sillonner les avenues de Clichy et de Saint-Ouen ce vendredi-là, en
poussant parfois des petits coups de sirène, rien n’y fait. Le dentifrice sort
inexorablement du tube sans que l’on puisse le faire rentrer. Les prostituées
chinoises de La Fourche pointent d’ailleurs le bout de leur nez masqué, faisant
semblant d’attendre le bus, un sac de courses à la main, afin de leurrer les
condés.
Je rentre
de mes emplettes, les bras chargés de pots de lavande, de terreau, et de jardinières
vides, que j’ai l’intention d’installer sur le balcon. Lorsque j’ai vu que
l’une des fleuristes du quartier avait rouvert, je me suis rué dessus.
Je suis
accueilli par ma femme qui me dit que Titou et Chacha ont quelque chose à me
dire. A peine sa phrase terminée que les filles survoltées m’annoncent que
« c’est la guerre !».
« Comment ça, une autre ?
Macron a parlé ? » me dis-je tout en me lavant les mains. Elles
m’expliquent que pendant mon absence, « les connasses d’en face se sont foutues de notre gueule ! ».
Ma femme
m’explique que Titou écoutait de la musique avec son casque sur le balcon,
lorsque l’envie a pris aux trois gamines Quadrachiant de se moquer en riant de
façon aussi gratuite que stridente tout en pointant du doigt Titou avec son
casque. Titou tout à sa musique n’a pas compris de suite qu’elle était l’objet
des moqueries. Tout comme ma femme, occupée à cuisiner, n’a pas fait plus
attention que ça aux longs cris de hyènes des blondinettes déjantées d’en face.
Les envoyant paître en leur offrant son majeur, Titou s’en est alors allée
raconter sa rencontre du 3e type, et à sa mère, et à sa sœur. Voyant
Chacha et ma femme approcher du balcon, les guenons en question se sont alors
carapatées dans les fourrées de leur appartement. « C’est la guerre, tu comprends ! C’est la guerre ! »
Je leur
réponds que « pourquoi pas, mais que
l’on va d’abord procéder à une reconnaissance du champ de bataille ».
Il est 19 heures et les Quadrachiants ont invité un couple d’amis à diner sur
le balcon. La fille de ce couple, du même âge que Juju joue dans la chambre de
celle-ci. Je dis alors aux filles que nous procéderons en deux phases. La
première servira à marquer le casus belli.
La deuxième consistera en un magnifique tir de barrage. « Avez-vous déjà entendu parler des Orgues de
Staline ? Non ! Eh bien ils vont tonner ce soir ». Elles me
regardent mi-interrogatives mi-habituées à mes fantasques élucubrations.
« A fourberie bobo, fourberie ninja
et demi ! ».
Nous
allons dans le salon et nous ouvrons les portes fenêtres qui donnent sur le
balcon. Les Quadrachiants sont sur le leur avec leurs amis. Nous n’avons pas de
contact visuel direct mais nous pouvons voir ce qui s’y passe dans le reflet
des vitres. Ils mangent tranquillement, le bruit des couverts ponctuant les bribes
de discussions qui parviennent jusqu’à nous. Nous nous asseyons tranquillement
sur le canapé. Les hostilités peuvent commencer. Je prends ma voix la plus
tonitruante, et je claironne en jouant l’indignation « Ah ça je ne suis pas d’accord ! Qu’ils
n’aient aucune autorité sur leurs filles c’est leur problème ! Mais si
elles se mettent à provoquer ou insulter Titou et Chacha, ça ne se passera
certainement pas comme ça ! Qu’ils vivent comme ils l’entendent, cela ne nous
regarde pas ! Mais s’il y a attaque, il y aura riposte ».
Ma femme embarrassée,
me dit qu’ils regardent de notre côté, et les filles ne voient toujours pas où
je veux en venir. En tout cas, ma voix a tellement tonné que Juju a ouvert les
portes fenêtres de sa chambre afin de savourer au balcon, en compagnie de sa
copine et de ses sœurs, le fait d’être à l’origine de mon éclat de voix. Exactement
ce que je voulais. « L’adversaire
est fixé, il ne reste plus qu’à l’arroser ! Suivez-moi les
filles ! ».
Nous nous
levons et passons dans notre chambre parentale, qui donne également sur le balcon. Nous ouvrons la porte fenêtre
mais laissons les volets fermés. Je me mets alors à singer la voix de Juju, et
lance de façon stridente une série de « Mais papa, elle m’a traité de grosse pute ! Ouinnn ! Papa, elle
m’a traité de grosse pute ! Ouinnn ! Elle M’a Traité De Grosse Pute ! ».
Mon tir
de barrage de Katiouchas, rugissantes et mordantes, s’abat impitoyablement sur
le balcon d’en face. Titou et Chacha ont le plus grand mal à étouffer des éclats
de rire. Elles ne s’attendaient pas du tout à un tel numéro. « Cheh! Cheh! » lâche Titou. Juju et
ses frangines sont frappées en pleine tête devant leur copine et ses parents.
Juju pique un phare à éclipser un soleil couchant.
Ne pouvant
pas identifier l’origine exacte de l’attaque, ni le responsable de l’outrage, tout
en s’étouffant avec cette double dose de Cheh,
elles battent en retraite. Les morveuses d’en face rentrent à l’intérieur et
ferment rageusement les portes fenêtres. Les parents Quadrachiants de leur
côté, gênés au possible, ont le nez dans leur assiette. Je me permets un petit « Mission accomplished ! ».
Maintenant
que l’ennemi se trouve éparpillé façon puzzle, nous décidons de passer le reste
de la soirée à regarder un film à la demande sur notre box Internet. Nous
optons pour « The Bohemian Rapsody »
en hommage à Freddy Mercury. Nous rions ; nous pleurons, et nous chantons
à tue-tête entre autres « I Want To Break
Free ». Les filles connaissent toutes les chansons par cœur. « Vous avez de la chance ! Vous aviez
droit à de la vrai musique à l’époque de votre jeunesse » lâchent les
filles.
Ma femme
n’est pas peu fière de cette remarque « Je suis bien contente que mes filles partagent mes gouts musicaux ».
Je commence par acquiescer avant de me ressaisir. « Oui mais non en fait ! Les tubes de notre jeunesse devraient leur
paraître ringards et non top cool ! ». Ma femme me regarde
avec son air « que va-t-il encore me
sortir? ». Je poursuis « Bah
oui ! Elles devraient avoir leurs propres tubes qu’elles passeraient en
boucle pendant des jours ! Arborer des tee-shirts de groupes en vogue, au
lieu de piquer les chemisettes Queen, Guns n’Roses ou Metallica de leur parents ».
En rigolant, les filles rétorquent « tu
nous vois avec un tee-shirt Maitre Gims ou PNL ? Bonjour la honte ! C’est
pas notre faute si on n’a rien que de la zic à la Wish (bazar
chinois en ligne, ne vendant que de la camelote, devenu un adjectif pour
souligner la piètre qualité de quelque chose) ». « C’est pas faux
mais c’est bien triste de n’avoir que du son PQ » me permets-je en
conclusion.
Le
lendemain, avant que ma femme ne raccompagne ses filles chez leur paternel, et
que je n’aille voir le mien, en nous servant pour la dernière fois d’une
autorisation de sortie dérogatoire, je commence à rempoter ma lavande sur le
balcon. Jean-Louis Quadrachiant sort à ce moment-là fumer sur le sien. Il
m’adresse un « bonjour »
poli. Auquel je réponds tout aussi poliment. « Soit de l’hypocrisie bobo ; soit une façon de me remercier d’avoir
abattu la foudre sur ses gamines à sa place, ce qui ne m’étonnerait pas »
me dis-je.
Voilà qui
tombe bien, si j’ose dire. La foudre sera le thème de ce samedi 9 mai, puisque
dans la soirée de samedi, Taranis le Grand (le dieu gaulois de la foudre)
offrira à Jupiter-le-Petit de l’Elysée, un festival son et lumière de tous les
Enfers. Des heures de coups de foudre s’abattant sur les toits de Paris pour célébrer
la fin du confinement.
Célébration
ou mauvais présage ? Une question que je ne peux m’empêcher de me poser
tant notre président enchaîne les catastrophes et autres accidents d’ampleur
industrielle depuis le début de son mandat : bruits de casseroles en
cascade, mobilisations populaires sans précédents, blocages à gogo, incendies
et explosions en série au sein de notre patrimoine millénaire, et maintenant une
pandémie menaçant de nous ruiner. « Il
fut un temps, chez les Celtes et les Germains, où on offrait la tête du roi en sacrifice dans l’espoir d’apaiser les
dieux » me dis-je en rigolant. Il n’était pas rare en effet que nos
ancêtres procèdent à ce genre de royal sacrifice humain lorsque le Ciel leur
tombait sur la tête. Toujours en délirant gentiment, j’imagine un bûché dressé
pour le 14 juillet place de la Concorde, notre souverain élu attaché à l’Obélisque,
au sommet d’un boisseau de bois de ce maudit platane qui manque chaque année de
m’étouffer avec ses très allergènes pollens. « Ah ça c’est
sûr ! Ça aurait du panache de voir partir en fumée notre souverain
élu ! Un monarque qui redonnerait enfin ses lettres de noblesse au sens du
sacrifice ! La plupart du temps c’est nous qui nous y collons en matière
de sacrifices ».
Après la
foudre, le ciel bleu de ce dimanche 10 mai ouvre le cycle des festivités.
D’un côté,
un gouvernement qui fête une victoire à la Pyrrhus, et 40% de Professeurs, de
syndicalistes, d’hypocondriaques, et autres foutriquets subventionnés qui
cherchent un moyen de ne pas retourner à la normalité dès lundi.
De
l’autre, ma Chérie qui fait jouer lors du petit-déjeuner méridien, une jolie
chanson de Pierre Perret, tout en planifiant notre reconquête de la liberté
surveillée que nous offre le gouvernement : « Ouvrez ! Ouvrez
la cage aux oiseaux ; regardez-les s'envoler c'est beau ; les enfants si vous
voyez ; des p'tits oiseaux prisonniers ; ouvrez-leur la porte vers la
liberté ! »
« Après ton prochain weekend dans le Morbihan,
nous pourrions en profiter pour sortir un peu pendant le Pont de
l’Ascension ? J’ai promis aux filles un McDo en bord de Seine »
me suggère-t-elle. « Excellente
idée ! » réponds-je. Chose que nous faisons le jeudi 21 mai, en
prenant nos menus à emporter chez le McDo de Chatelet qui fait face à la
fontaine des Innocents. Nous les dégustons tranquillement sur les quais, les
yeux dans la Seine, non loin du Pont Neuf. Pendant ce temps-là, la police fait
des rondes afin d’éviter les effets d’attroupement.
Une
magnifique journée que nous rejouons le samedi 23 mai. Rien de tel qu’un pont
de l’Ascension ensoleillé pour grimper également la Butte Montmartre. Ma très féminine
Lady en profite pour s’acheter du maquillage bio au Monop’Beauty de la rue des
Abbesses et lécher les vitrines de cette même rue. Le square Jehan Rictus et son
« Mur des Je T’aime » est
fermé. « C’est bien dommage ! ».
Mais un cafetier de la rue Vieuville propose des verres de sangria à emporter.
« Oh! La bonne idée ! » Une
fois montés les escaliers de la rue Drevet et de la rue du Calvaire, nous
constatons que la place du Tertre est désertée de ses artistes, caricaturistes
et croqueurs habituels, ce qui est bien triste. Il y a du monde mais pas le
moindre touriste. Nos délicieuses glaces de chez « La Goutte de Lait » en main, nous nous dirigeons vers les
marches en amphithéâtre qui dévalent la butte depuis le perron de la basilique
du Sacré Cœur, dans l’espoir de les déguster assis, tout en contemplant l’inlassable
spectacle visuel qu’offre la ville des Lumières. Nous les savourerons
finalement en marchant. Une compagnie de CRS garde les marches. Il y est
interdit de s’asseoir. Ce n’est pas grave. « We’ll be back ! Nous reviendrons ! »
En
rentrant, un autre spectacle mignon s’offre à nous. Les gamines musulmanes du
quartier sortent par grappes, habillées de leurs robes « gandoura »
aux couleurs satinées, rose fuchsia, bleu électro, abricot fluo, achetées pour
la fête de l’Aïd qui tombe également ce weekend. Elles se promènent toutes
souriantes, ou s’arrêtent devant les pâtisseries du quartier dont les vitrines
regorgeant de douceurs orientales. Quelques instants plus tard, je ressors de
la pâtisserie devant laquelle un groupe d’entre elles s’était arrêté, avec un
assortiment de gâteaux. « J’adore
les Makroud ! Je t’ai pris
des cornes de gazelle mon Amour », fais-je savoir à ma Chérie qui fume sa
clope dehors. Les makroud viendront s’ajouter au stock de grabidou que j’aurais
fait pendant le confinement.
Et comme
le bonheur, ça se savoure avec une bonne rasade de crème chantilly surplombée
d’une cerise confite, Juju-de-Munch n’était pas là de tout ce long weekend pour
nous casser les oreilles. Il est vrai que depuis mon pilonnage, elle n’ouvre quasiment
plus les fenêtres pour nous faire son cinéma. Son père lui a offert un nécessaire
de tricot pour l’occuper. Voir une môme de 12 ans tricoter pour se calmer a
quelque chose de désopilant. Ils nous auront décidément tout fait. Mais là,
rien, ni tricot, ni rugissements. Que du bonheur donc !
Cependant,
le lendemain, Lundi 25 mai, une nouvelle séquence, bien moins gaie, va s’enclencher.
George
Floyd, un afro-américain, décède lors d’une arrestation aux Etats-Unis. Ayant
perdu son travail pendant le confinement, shooté aux médicaments, et après
avoir tenté d’acheter des cigarettes avec un faux billet, il résiste ce jour-là
à son interpellation. L’un des policiers Derek Chauvin, le mal nommé, appuie
son genou sur le cou de « Big Floyd » pendant 8 longues minutes,
jusqu’à ce que mort s’ensuive. Cette mort provoque l’embrasement de l’Amérique,
ou du moins réactive toute la violence latente que l’Aigle américain couve parfois
en son nid. Une partie réclame justice et pose la question des « violences policières » ; Une
autre pose la question du racisme avec le slogan « Black Lives Matter », « la vie des Noirs compte » etc. Pas grand monde ne pose la
question de la surreprésentation de certaines minorités dans la délinquance, ni
de leur violence, à laquelle la police américaine répond, la plupart du temps,
de façon proportionnée, mais bon...
Pendant
que l’Etat de droit américain s’occupe de Derek Chauvin en l’inculpant ; qu’une
partie de la police et des autorités mettent le genou à terre en signe d’apaisement ;
des jeunes Noirs des « ghettos »
mais aussi des petits Blancs des « campus »,
se lancent séparément ou conjointement dans des opérations de pillage
commercial ou de vandalisation culturelle. Des vitrines aux statues, en passant
par les matelas des sans-abris en pleurs, tout y passe, sous des prétextes tous
plus débiles les uns que les autres. Dans ce grand défouloir, sans queue ni
tête, me vient, encore une fois, l’image des rats de Henri Laborit.
Les démagogues du monde entier en profitent pour attiser les
flammes dans l’espoir de tirer les marrons du feu, ce qui me fait venir à
l’esprit cette sentence de Charles Péguy « la guerre contre la démagogie est
la plus dure de toutes
les guerres. »
Ce qui
nous ramène surtout de nouveau à ce soir du 2 juin, dans le métro parisien. Il
est 19h20 et ma rame s’arrête à la station Saint-Lazare. Il y a des Noirs plein
le quai. Contrairement à d’ordinaire, ils sont très jeunes. Il ne s’agit pas
vraiment de travailleurs. On dirait des lycéens ou des jeunes étudiants. Je
commence par penser qu’il s’agit d’un premier arrivage de jeunes touristes
afro-américains. « Chouette! Les
affaires du secteur touristique vont pouvoir reprendre ». Je retire
assez vite mon doigt de ma cavité oculaire. Il s’agit de Renois bien de chez
nous. « Peut-être une sortie
scolaire de masse qui rentre en Seine-Saint-Denis ». Eh ben non !
Je
descends à La Fourche. Sauf que tous les jeunes Renois de la rame descendent en
même temps que moi. Ils sont des dizaines. Je ne comprends décidemment pas. En
surface je vois là-aussi, que les trottoirs sont remplis de Noirs qui semblent
descendre vers la Porte de Clichy dans le calme. Je reste là à observer
quelques instants. Ils ont tous des tee-shirts noirs et certains portent des
pancartes « Black Lives Matter ».
« Y’aurait-il une manifestions
noiriste de prévue dans le coin ce soir ? » me dis-je ; puis
je rentre au moment où je vois les premiers fourgons de police se diriger à
vive allure vers la Porte de Clichy.
En
poussant la porte de chez Nous, je raconte à ma chérie ce que je viens de voir,
et je demande aux filles si elles ont vu passer un appel quelconque sur les
réseaux sociaux. Chacha et Titou me répondent que non. Je regarde alors de mon
côté et apprends assez vite, qu’une manifestation, aux appels passés sous les
radars, organisée par le collectif « Adama Traoré », a lieu en ce
moment devant le Tribunal de Paris qui se trouve Porte de Clichy. Nous dinons
devant les images que commencent à produire les chaines d’infos en continu.
Je me dis
que « cette opportuniste de Assa
Traoré, aux toiles d’araignées bien tendues, a bien joué son coup ».
Elle me fait penser à Karaba la Sorcière et sa troupe de robots fétiches
qu’elle dirige de sa voix de stentor (Cf. les aventures de
« Kirikou »). Les premières images d’échauffourées sont diffusées à
la télé. D’autres le sont sur Internet.
Les gosses des cités, sous influence du « Gang Traoré »,
commencent à casser et à incendier ce qui leur tombe sous la main aux cris de
« Justice pour Adama ».
Adama le malfrat, décédé après une course poursuite avec des gendarmes. Non
loin de là, Camélia Jordana, une beurgoise
écervelée, et pouffe du PAF (Paysage Audiovisuel Français) de son état, qui se
la joue « voix du ghetto »,
entonne en anglais le chant des extrémistes noirs américains « Black
Panther » : « Revolution has come ! Time to pick up the gun ! » ;
« Il est temps de prendre les armes
et de faire la révolution ». Quelque Anars blancs en peau de lemmings,
confondant anarchie et anomie, tout contents de marcher au pas derrière la
voyoucratie, soit le pouvoir le plus illégitime qui soit, participent au bordel
ambiant. Quelle pitié et un million d’euros de dégâts dont la facture ne
sera pas adressée au « collectif »
ayant organisé cet incendie !
L’incendie
se poursuivra dans les jours suivants avec tout son cortège de cinglés et
d’idiots utiles de la voyoucratie ânonnant les slogans « violences policières », « contrôles au faciès », « racisme systémique », « négrophobie d’Etat ». Une ancienne
garde des Sceaux, qui m’a toujours donné le sentiment de suinter la haine du
Blanc, parlera du nouveau parrain du Gang Traoré, KarAssa la Sorcière, comme
d’une « chance pour la France »,
légitimant ainsi sa haine et sa lutte contre notre pays. A la suite de
Christiane Taubira, nous verrons la gauche régressive, passer carrément du
communautarisme au tribalisme.
Me voici
du coup perdu dans mes muettes diatribes:
« Pauvre fous ! Des fautes dans le passé,
comme tous nos frères humains, nous en avons commis, avec parfois, il est vrai,
plus d’application ou d’efficacité. Toutefois à notre crédit : L’abolition de
l’esclavage c’est Nous ! La lutte pour l’égalité des Droits, sans oublier
les devoirs, c’est Nous ! l’Universalisme c’est Nous ! La soif de
progrès social et humain, c’est surtout Nous ! Et c’est pour ces raisons
que vous venez chez Nous ! »
Certes, rien n’est parfait, rien ne le
sera jamais. Des dérives racistes sanctionnables, dans la police comme
ailleurs, il y en a. Cependant s’il y a plus de Noirs et
de Maghrébins contrôlés par la police, ce n’est pas à cause d’un « racisme systémique » poussant les
policiers à « contrôler au faciès ».
C’est bien évidemment parce qu’il y a une plus grande proportion
d’individus Noirs et Maghrébins impliqués dans les faits de délinquance et de
violence (60% de la population carcérale). Une surreprésentation qu’il revient
malheureusement à la police et à la justice de traiter. Surreprésentation qui
peut générer un prisme déformant. Lorsqu’un policier passe ses journées à
courir derrière des délinquants noirs ou maghrébins, il peut arriver qu’il en
vienne à oublier le fait que « si beaucoup trop de délinquants sont
Noirs et Maghrébins, l’écrasante majorité des Noirs et des Maghrébins sont
d’honnêtes citoyens méritant le même respect que les autres ». Il se
peut même que ce prisme déformant soit accentué par l’angélisme ou le manque de
moyens de la Justice qui remet dans la rue le malfrat que le flic a eu du mal à
serrer. Un prisme déformant que les cadres de la police doivent bien évidemment
travailler à endiguer.
Voilà !
A moins d’accuser la réalité de racisme, la vérité, aussi désagréable soit elle
pour les premiers concernés, est celle-là ! Une vérité, cela dit en
passant, qu’il revient aux premiers concernés d’aborder plutôt que de la
rejeter sur les « Blancs », la « Police » ou la « Société ».
Comme le chantait NTM « laisse pas traîner ton fils, si tu veux pas
qu’il glisse, ramène le vice ». Nier cette réalité, c’est au mieux de la lâcheté
aussi angéliste qu’irresponsable, ne rendant service ni à ces populations ni à
la société dans son ensemble, ou au pire de la démagogie gauchiste aux visées
insurrectionnelles tout à fait détestable et que tout réel républicain se doit
de combattre.
En
parlant de lâcheté, le ridicule sinistre de l’Intérieur, qui trouvait normal d’éborgner
des agités en « gilet jaune »,
tente de caresser cette agitation africaine dans le sens du poil. Il pense peut-être
imiter son président, lorsque ce dernier caressait les pecs de la mafia bronzée
sur l’ile de Saint Martin. Décidément on nage plutôt en pleine « négrophilie d’Etat ».
Non
content de ne pas rappeler Assa Traoré à ses responsabilités ; de rappeler
à tous les citoyens que dans un état de droit, aux multiples recours en cas
d’abus, on ne se rebelle pas contre les forces de l’ordre ; il se contente
de dire qu’il ne sanctionnera pas la violente manifestation du 2 juin car
« Il faut comprendre l’émotion
suscitée par la mort de George Floyd », destituant ainsi l’autorité de
la Loi.
Je
marmonne, « Ce guignol n’aura même pas envisagé un petit canon à eau pour refroidir les ardeurs de la
tribu Traore ou éteindre les incendies devant le Tribunal de Justice,
rien ! Je t’en foutrais de l’émotion, imbécile ! L’émotion d’une
famille de petites frappes aux méthodes de malfrats, qui salissent le combat
légitime contre le racisme et l’éternelle vigilance contre l’arbitraire ! On voudrait se faire éjecter du
gouvernement comme d’un avion de chasse, non pas en plein vol mais à l’arrêt
sur le tarmac, que l’on ne s’y prendrait pas autrement ».
Il insiste en appelant à « une
tolérance zéro contre le racisme dans les forces de l'ordre », sans appeler,
« en même temps » à une « tolérance zéro » contre la délinquance qui exaspère policiers
et habitants, et qui gangrène notre république, en générant entre autres de
plus en plus de tensions ethniques.
Je pense à ce vieux poème de Sophia de Mello
Breyner Andresen « inselvamento », « ensauvagement» :
« Este é o tempo
Da selva mais obscura
Até o ar azul se tornou grades
E a luz do sol se tornou impura
Esta é a noite
Densa de chacais
Pesada de amargura
Este é o tempo em que os homens renunciam. »
Traduction en français :
« Voici venu le
temps
De la jungle la plus
obscure
Où même l’air azur se
fait barreaux
Et l’éclat du soleil
devient impur
Voici venue la nuit
Dense des chacals
Lourde d’amertume
Voici venu le temps
où les hommes renoncent »
Vendredi
5 juin, 20 heures. Je sors du bureau. Je prends une place dans ma rame de
métro. L’heure de pointe est passée. Elle est quasiment vide. J’ouvre mon livre
du moment. Trois stations après, deux quidams entrent et s’assoient sur des
places à côté des miennes. Ils semblent pris dans une conversation passionnée
qu’ils reprennent à peine assis. La vivacité de leurs propos me fait lever les
yeux de mon bouquin.
Un grand Maghrébin
d’une cinquantaine d’années portant l’un de ces costumes aux couleurs ternes
qu’affectionnent les petits comptables ; et un Noir du même âge habillé
d’un costard d’un bleu criard comme les aiment les vendeurs de photocopieurs.
Très vite la teneur mais surtout le ton de leurs propos me hérissent le poil.
« La France ceci ; les Français
cela ». Ils me jettent de temps à autre un coup d’œil. Ils semblent me
prendre pour l’un des leurs. Après trois mois de bronzage intensif sur le
balcon de ma Douce, la méprise est permise.
A les
écouter, ce n’est pas tant la situation sanitaire et économique qui est inquiétante,
que « la place des Noirs et des
Arabes en France ». Ils ont bien un avis sur les « masques inutiles » et les « vaccins vecteurs d’un complot de domination
mondiale par les compagnies occidentales », qui me font glousser
intérieurement. Contrairement au reste qui me fait réagir entre parenthèses.
Le Magrébin
embraye : « L’Etat français ne
veut pas de nous dans ce pays » (c’est pour ça qu’il vous laisse
entrer à coup de centaines de milliers, me dis-je) ; « il passe son temps à nous empêcher de
pratiquer notre religion » (ah bon !) ; « regarde, il y en a qui veulent interdire à
nos femmes de porter le masque, car avec le voile, ce serait un moyen d’imposer
la burqa » (quelques idiots le pensent en effet, mais à part ces
quelques agités, tout le monde s’en fout).
Le Noir
abonde en vrac : « Oui !
Tous les jours, nous subissons des humiliations, des micro-agressions ; on
veut nous empêcher de monter dans la société, comme si on voulait nous
maintenir dans une sorte d’esclavage ; ce n’est pas pour rien qu’ils ne
veulent pas enlever les statues de Colbert, ils en sont encore au Code
noir ; c’est pour ça que nos gosses tombent sous les coups de leur
police »
« Wouah ! Carrément ! Le
délire ! » me dis-je. J’adore ces jérémiades au sujet des « micro-agressions ». Ce vocable
recouvre toutes ces universelles moqueries que chaque village ou quartier porte
sur celui d’à côté. Fascinant de constater à quel point de plus en plus
d’immigrés récents, au narcissisme chatouilleux, pataugent en pleine
susceptibilité, voire hypocrisie, se montrant incapables de faire la part des
choses. Tous les immigrés de l’intérieur, ayant monté à Paris ou dans les
grandes villes de province, y ont eu droit : les « Bougnats » d’Auvergne à la gueule
noircie par le charbon qu’ils transportaient, les « Ploucs » de Bretagne et leurs « Bécassines » de femmes « baragouinant dans leur patois », etc. Puis ce furent les
immigrés de l’extérieur : les Polacs, Ritals, Espingoins, sardines
portugaises, etc. Cela n’a pas empêché ces immigrés, de l’intérieur comme de
l’extérieur, d’avancer au lieu de geindre. Apparemment ça coince parmi les
derniers arrivés. On n’est pas obligé d’apprécier ces
« micro-agressions ». On est en droit de ne pas avoir à subir des blagues
ethniques, plus ou moins fines, en permanence. Mais enfin bon ! Il ne faut
pas pousser non plus. Et surtout, comme tous les autres avant eux, il faut
avancer.
« C’est pour ça que nos gosses tombent sous les coups de leur police ». Portenawak !
Heureusement que la plupart des Noirs ne tiennent pas à être confondus avec des
malfrats tels que ceux du « Gang Traoré », et se sentent insultés
quand les démagogues procèdent à cet amalgame. Comme si je devais me sentir
solidaire du chanteur portugais du groupe NTM, Bruno Lopes, quand il se faisait
incendier pour avoir scandé « mais qu'est-ce, mais qu'est-ce qu'on attend pour
foutre le feu ? », ou encore du Jérôme Rodrigues,
l’emblématique « Gilet jaune »
d’origine portugaise qui a perdu un œil dans des affrontements avec la police.
Comme si je devais aller tout cramer parce que mon compatriote Cédric Chouviat
a été victime d’un tragique accident en résistant à son interpellation. Eh bien non !
« Quant à l’esclavage, qu’il aille le
combattre en Afrique ou dans le monde arabe où il demeure une réalité »
me dis-je.
Le Magrébin
conclue « La France n’est plus ce
qu’elle était ; sa puissance décline ; et je ne vois plus trop ce
qu’elle a à nous offrir ; l’air devient irrespirable pour nous dans ce
pays ». Lorsqu’il dit cela, il se tourne vers moi, comme pour me
prendre à témoin, et me demande mon assentiment, « n’est-ce pas Monsieur? Qu’en pensez-vous? »
Surpris
par cette interpellation à brûle-pourpoint, je cligne nerveusement de l’œil
gauche, mon livre toujours ouvert sur mes genoux. Je maugréais intérieurement
en me disant « ah ces gens qui
mollardent à l’apéro dans la soupe qu’ils dégusteront au diner ; comme si
les pays qu’ils ont dû fuir avaient plus d’opportunités et de dignité à leur
offrir ». Je le regarde tout en cherchant une réponse appropriée. Je
lui sers celle-ci : « d’ordinaire,
je n’ai rien contre une petite disputatio entre gens de qualité, mais au vu de
vos opinions, je crains de n’avoir trop de choses désagréables à vous dire en
retour ; or je ne voudrais pas gâcher votre début de soirée que je vous
souhaite excellente ».
Je suis
assez satisfait de ma réponse. Elle est bien plus convenable que le premier jet
qui m’était venu à l’esprit : « j’en
pense que d’argumenter avec un imbécile, c’est comme de jouer aux échecs avec
un pigeon ; il finit toujours par renverser les pièces du plateau, et chier
partout en prétendant avoir remporté la partie ».
Les deux
acolytes me regardent d’un œil torve, comme s’ils venaient de démasquer un
« sioniste », puis baissent
les yeux sur la couverture de mon bouquin « Son Excellence Eugène Rougon » d’Emile Zola. C’est bavard au
possible mais ses descriptions des parvenus du pouvoir, aussi cinglantes
qu’amusantes, me font passer de bons moments. Je replonge d’ailleurs mon nez de
« sioniste » dedans. Nos
deux pleureurs africains n’osent plus trop l’ouvrir en présence de l’ennemi
« sioniste ». Deux stations
après, ils se lèvent pour descendre de la rame. Je lève les yeux vers eux et
leur souhaite « une excellent soirée ».
Ils ne répondent pas. « J’aurais
peut-être dû glisser un shalom dans la salutation ou bien hurler – Israël
vivra ! Israël vaincra ! » me dis-je en ricanant comme un vieux Juif.
En les
voyant partir, je ne peux m’empêcher de me rappeler de cette citation de Lao
Tseu « les arbres ayant plusieurs
racines sont souvent les plus résistants » en y ajoutant, ‘mais il nous
faut croire que les ronces du désert n’en ont aucune’.
En me disant
cela, j’espère que nous n’avons pas déjà atteint un point de bascule, un peu
comme les Romains. Tout comme l’Europe actuelle, l’empire romain recevait la
visite de deux types d’immigrés. Ils les appelaient « barbares » à
l’époque #MicroAgression. Des Barbares attirés par le mode de vie romain, qui
s’installaient dans des terres à défricher et qui défendaient les frontières de
l’empire. Et puis une deuxième catégorie de « barbares », uniquement
attirés par le pillage et la destruction. Nous savons tous comment cela s’est
terminé.
J’espère
que mon pays, et plus largement, ma civilisation, saura toujours attirer des
gens ayant envie de nous rejoindre parce qu’ils souhaitent vivre et bâtir à
l’abri de nos valeurs ; et apprendra avant qu’il ne soit trop tard à se
débarrasser de ceux qui s’imposent à nous pour nous piller en espérant nous
détruire.
La
dernière phrase du Maghrébin aigri me revient en tête, « l’air devient irrespirable pour nous dans ce
pays ». « Irrespirable », il n’a pas totalement tort. La
cage à rats pue de plus en plus l’urine, à l’image de bien des rues de mon
merveilleux Paris. Et si on changeait un peu d’air d’ailleurs. Une idée me vient.
Je ferme
mon bouquin. Je n’ai plus la tête à lire. Pendant que ma rame de métro remonte
la ligne 13, je consulte vite fait mon fil d’actualités sur mon téléphone. La
cote de popularité de Doudou la Flipette ne cesse de grimper. « Ce pays est foutu ! Nos vieux
jouisseurs ayant échappé à la Covid-19 doivent peser dans sa cote autant qu’ils
pèseront dans la dette ». On parle également de plus en plus de la
saisonnalité du virus. Comme tous les virus respiratoires, tels que la grippe,
il a désormais de fortes chances de nous offrir une nouvelle mutation chaque
automne. Ce qui présente la question du vaccin sous un nouvel angle. Tout comme
le vaccin de la grippe n’éradique pas celle-ci, il est à parier qu’il en ira de
même des vaccins contre les coronavirus. « J’espère juste
que ces vaccins concoctés à la va vite ne nous transformeront pas tous en Zombies
comme dans World War Z » me dis-je en rigolant intérieurement. Je vérifie
deux trois autres choses avant de descendre à La Fourche.
En
rentrant, j’embrasse goulûment ma femme-trésor. Je ne lui raconte pas mon
échange avec les deux « barbaresques »
du métro. Je lui dis « ça te dirait
qu’on aille avec les filles respirer l’air du large, le weekend prochain ?
Si tu t’arranges avec leur père, on pourrait partir à La Baule le vendredi 12
juin au matin et revenir le lundi 15 au soir ? Les prévisions météo ne
sont pas fameuses mais je fais confiance au microclimat baulois pour ne pas
nous décevoir. »
Elle
sourit mais m’indique que si Chacha n’a plus à se rendre au collège, Titou a
deux jours d’école de prévus la semaine du 15, dont notamment le lundi 15. Je
lui réponds « entre nous, on s’en fiche
de leur semblant de ritualisation de la fin d’année ; et puis le ministre
a dit que l’école n’était obligatoire que sur la base du volontariat des profs
comme des élèves ». Elle rigole, et en signe d’acquiescement appelle
les filles, « Chacha, Titou, on a
quelque chose à vous dire ». « Annonce-leur la nouvelle » me demande-t-elle.
« Les filles, ça vous dirait d’aller rendre visite à papy à
l’Ehpad ? ». Les filles me répondent d’un air surpris « mais qu’est-ce que tu racontes, on n’a pas de papy à l’Ehpad ».
« Oui, je sais » avec un clin d’œil,
« mais c’est ce que vous direz à
l’école la semaine prochaine pour justifier le fait que nous partons à La
Baule ». Les filles exultent « Ouais ! »
« En attendant La Baule » me dit ma
femme, « après avoir raccompagné les
filles chez leur père demain après-midi, on pourrait se balader dans Paris ».
Ce
chouette programme de concocté, nous dînons devant un film qui sera supplanté
par l’aspect tragi-comique du cinéma des voisins d’en face. Il est 22 heures et
Juju hurle encore. Apparemment sa sœur, Gaga la sournoise, lui a chapardé ses
écouteurs, et elle le fait savoir à toute la rue. Sa mère n’est pas là. On la
voit peu depuis le déconfinement. Je l’ai vu, une fois, quitter en pleurs la
chambre de sa fille après une énième crise. « Elle a dû installer un lit de camp dans son bureau et doit se reposer au
boulot de son confinement éprouvant » ai-je dit une fois, sans avoir
vraiment envie de rire.
C’est le
père, Jean-Louis Quadrachiant qui gère. Il ferme la fenêtre, mais bien que
fermée, on l’entend lâcher enfin. « J’en
ai plus qu’assez ! Tu nous as fait passer trois mois d’enfer, à ne pas
vouloir sortir, à ne pas vouloir travailler, à ne rien vouloir faire ! On a tout essayé avec toi parfaitement en vain ». Sa fille l’interrompt en
hurlant « mais ce n’est pas de ma
faute, c’est elle qui me cherche encore une fois ! ». Son père rétorque « arrête de chercher des prétextes ! Tu as passé le weekend de
l’Ascension seule chez ta grand-mère et tu lui as fait vivre le même enfer » ;
puis en se tournant vers Gaga la Sournoise, il lui dit « quant à toi, tu arrêtes d’emmerder ta
sœur ! ». Juju hurle de plus belle « Taisez-vous ! Taisez-vous tous ! ». Hurlements
auquel le père met un terme avec un soufflet au visage. « Paf ! »
« Ah, quand même ! » me dis-je, « comment
peut-on laisser un enfant aussi longtemps enchaîné à ses caprices, prisonnier
de ses velléités de toutes puissance ? Quelle souffrance pour lui comme
pour les autres ». A partir d’un certain moment, la bienveillance, servant
de cache sexe à la permissivité, devient un abandon, une maltraitance, en tant
qu’elle empêche l’enfant de grandir. Je me dis « Les enfants ont autant besoin d’attention et de tendresse que de
recadrage, y compris à l’aide d’une tape éducative en dernier ressort ;
après tout si l’Autorité publique dispose de forces de l’ordre, il est
impératif que l’Autorité parentale dispose de la même force de dernier recours ».
Nous
faisons comme si nous n’avions rien vu, nous efforçant de fixer la télé,
histoire de préserver la dignité de Juju et de son père. L’abcès ainsi crevé,
les choses se calmeront progressivement.
De notre
côté, nous prendrons dès le lendemain nos billets pour La Baule et réserverons
un hôtel en bord de baie. D’ordinaire, à cette époque, le choix manque, mais ce
n’est pas le cas ici, signe que l’activité touristique reste atone.
En
attendant de goûter aux délices baulois, nous nous baladerons au cours de ce
weekend dans un Paris où les restaurants et troquets auront pris possession des
trottoirs et places de parking. C’est certes embêtant pour les automobilistes
et les habitants qui peuvent subir le bruit. Mais ça donne un charme méridional
et chaleureux à un Paris qui en manque souvent. Le Paris, « vie dehors »,
est vraiment un spectacle agréable à savourer.
« Paris !
Paris covidisé ! Paris confiné ! Mais Paris libéré... en terrasse ! » semble être le cri de
ralliement libérateur. Il aurait pu être poussé par cette jolie mamie
parisienne qui, à la terrasse d’une brasserie du quartier des Batignolles,
savourait avec une délectation toute communicative, un plateau d’huîtres
accompagné d’un bon vin blanc. Il fallait voir le bonheur qui irradiait son visage.
Vendredi
12 juin, 10h36, notre TGV part pour Nantes où nous devrons prendre un train régional
dix minutes après pour La Baule. « Oups !»
Arrivés à Nantes, le train à destination de La Baule n’est pas affiché. Après
quelques minutes à chercher des explications, un responsable de gare nous
explique, ainsi qu’à une cinquantaine de personnes dans la même situation, que
le site de la SNCF nous a vendu des places dans un train qui n’existe pas.
« Génial ! L’offre de
trains a beau avoir été réduite, on trouve encore des trains fantômes »
est la boutade du jour. Nous apprenons par la même occasion, une nouvelle
expression, « se trouver en rupture
de correspondance ». Il est 13h30. Les responsables de la gare de
Nantes, nous offrent des plateaux repas, pendant qu’ils s’échinent à nous
trouver une solution. Ils finissent par affréter un train à destination du Croisic
vers 15 heures qui nous dépose à La Baule à 16 heures. « Quelle aventure ! » mais « A nous la Baule ! »
Ah !
La Baule, cette sublime baie tournée plein sud, cette plage interminable de nacre
blanche, sa muraille d’immeubles de standing servant de palissade protectrice
aux jolies villas lovées dans les pinèdes.
Et puis
cette douceur de vivre propre à la bourgeoisie bretonne, celle des vieilles
familles. Discrétion, bienveillance, le tout dans l’affirmation d’un bon goût certain.
« Il n’y pas à dire, la Haute
Bourgeoisie sait se bâtir des petits coins de Paradis » m’avait dit
une fois mon vieux Compère lors de vacances conjointes à La Baule. Certes, il y
a quelques fils à papa qui aiment descendre la « De Gaulle »,
l’avenue centrale de La Baule, dans la berline décapotable de leur paternel,
musique à fond, tout en ayant l’air de petits « riches’cons », mais comme
aucune jeunesse n’est parfaite...
J’aime La
Baule ! Non loin de là, la charmante côte sauvage du Pouliguen ; les
reflets féériques du coucher de Soleil embrasant la surface des marais salants ;
Guérande la médiévale, maitresse du Sel ou Le Croisic plus halieutique et
populaire.
Jean-Michel,
le gérant de la meilleure crêperie de toute la bordure extérieure de la
galaxie, nous accueille chez Ar Poul Gwen avec son éternel sourire breizhilien. C’est l’un de mes rituels à
chaque venue.
Je remporte
par ailleurs mon pari. Il pleut un peu partout sauf à La Baule. « Toujours faire confiance au microclimat
baulois ». De longues balades et quelques coups de soleil emplissent
notre boite à souvenirs. De même qu’un évènement impromptu. L’arrivée avec
fracas du Sergent Ragnagna…
Titou a
ses toutes premières menstrues. Elle est toute honteuse et sa mère un peu
gênée. « Pourquoi ça ? »
lui dis-je, tout en gardant pour moi « ah !
Ce vilain côté obscur du fond patriarcal judéo-chrétien qui entache de honte la
divine magie de la vie offerte à la femme ». J’ajoute « C’est au contraire une belle nouvelle !
Elle entre dans le club des Dames ! D’ailleurs si tu me le permets, je
propose que l’on fête ça au restaurant ; après tout, pourquoi les garçons
auraient-ils droit dans bien des cultures à des rites fêtant leur entrée dans
le monde des hommes, et par les filles ». Ma femme approuve cette idée.
« Regarde » lui dis-je, « en face de l’hôtel, il y a un restaurant de
plage qui s’appelle ‘Chez Monica, le clan des mamma’ ; ça tombe à point
nommé, de plus c’est une
excellente pizzeria, tout ce qu’aime Titou ». Et dans la foulée, je m’en vais réserver une table pour notre
dernier dîner à La Baule.
Les
pizzas étaient succulentes, et le service dans ce restaurant familial au
top ! Comble de la chance, un magnifique soleil vespéral aura inondé de
lumière tout notre dîner. C’était parfait ! Et en guise de bouquet final,
Titou eut droit, de la part de sa maman, à un magnifique trochet de « niniches » de chez Manuel,
les sucettes incontournables du confiseur baulois. « Après tout, ce n’est pas parce que l’on devient femme, qu’il n’en faut
pas moins oublier de cultiver l’enfance ! Mon bébé ! Elles
grandissent si vite » lâche ma Chérie avec émotion.
Oh
oui ! Ce fut un bien long weekend, riche en air frais, souvenirs et
émotions.
Lundi
après-midi, nous savourons un dernier bain de mer oculaire, les yeux perdus
dans l’horizon, avant de nous diriger vers la gare. Je pense à mes enfants qui
se trouvent à moins de cent kilomètres de là et à mon père qui doit pester
contre le gouvernement avec les copains de son square habituel, enfin ouvert.
Les filles dégustent de délicieuses gaufres au caramanuel (le caramel au beurre salé de Manuel). Celle de Titou
est recouverte de chantilly et de petites cerises confites. Souvenez-vous
« le bonheur se déguste avec une
bonne rasade de chantilly couronnée de cerises confites ». C’est de
Titou que je tiens ça.
Notre TGV
retour part en fin d’après-midi. Nous nous installons dans notre « club
4 ». A peine le temps d’avaler notre encas que mon radar détecteur de
déplaisants s’alarme. « Je suis
maudit ! Pourquoi le ou la relou de derrière, c’est toujours pour moi ?». Cela fait rire ma femme qui a compris.
Cette
fois-ci, nous avons droit au prosélytisme des parents parfaits. Maman-parfaite,
Papa-parfait et Bébé-parfait sont donc derrière nous. Maman-parfaite a besoin
d’un peu de calme pour rédiger un rapport-parfait ; alors elle emmène en
voiture bar son ordinateur d’employée-parfaite, tout en laissant Bébé-parfait à
Papa-parfait. Papa-parfait ouvre des livres-parfaits pour Bébé-parfait et, bien
fort dans le compartiment, donne lecture d’iceux avec une voix ridiculement
infantile.
« Quel livre veux-tu lire ma Chérie ?
Trotro ! Ah mais je t’ai déjà lu des Trotro ! Tu aimes Trotro !
Oui mais j’aimerais bien qu’on change un peu ! Je te propose de commencer
par un Tchoupi à la ferme » Après le chapitre couleurs, bâtiments,
tracteurs, outillage, voici celui des animaux de la ferme. « C’est quel animal, celui-ci, ma chérie ? Un ? Un m ? Un mou ? Oui ! Un
mouton ! Et quel son fait le mouton ? Oui ! Un mouton ça fait bêêê !
La poule ça fait cot-cot ! Le canard ça fait coin-coin ! ». Tous
les animaux de la ferme résonnent pendant quelques minutes dans le compartiment.
Après cela, c’est au tour des cahiers à gommettes. « Alors ? Alors ? Où va-t-on coller la pastèque ? (…) Et
le chiffre 2, au-dessus de quel nuage de points le colle-t-on ? Oui bravo
ma Chérie ! ».
Cela fait
deux heures que ça dure. Les gens autour, écouteurs sur les oreilles, tout en
jetant un coup d’œil de temps en temps, sourient ou lèvent les yeux au ciel
devant le très théâtral surjeu narcissique de Papa-parfait. Personne n’a envie
de l’épingler devant sa fille en lui demandant de baisser d’un ton. Moi non
plus d’ailleurs. Je me contente d’aller marmonner aux toilettes « c’est quoi tous ces gens qui passent leur
temps à semer leurs narcisses dans le jardin des autres ; incapables de
clôturer leur nombril ; incapables de lire une histoire à leur fille en
chuchotant, leur apprenant au passage la discrétion ».
Lorsque
je reviens, je constate que Maman-parfaite est de retour. Elle remarque que les
livres à gommettes ont été remplis. « Ah !
Vous avez fait cette activité également ! C’est bien ! C’est bien »
souligne-t-elle d’un ton professoral. « Oui ! Ma fille a appris plein de choses avec Moi pendant que tu
étais occupée » ajoute Papa-parfait fier de lui.
Je
soupire. Je soupire mais je m’en fous. Je suis trop bien là. Ma femme se love
dans mes bras et se laisse emporter par le bercement du train. Les filles ont
leurs casques sur les oreilles. Titou écoute de la musique tout en envoyant des
messages à ses copains-copines. Chacha fait défiler avec son pouce son fil
d’actualités Instagram en rigolant de temps à autres.
Regardant
par la fenêtre le Soleil qui se couche, je repense à tout le bazar ambiant en
me disant que « l’avenir n’est pas
tant ce qui arrivera, que ce que nous en ferons ».
D’ailleurs,
avec les premières étoiles qui pointent au firmament, je me mets à rêver de
conquête spatiale. A plus forte raison que les fenêtres de tir se multiplient
en direction de la planète Rouge. « Formidable ! ».
Tout d’un
coup, je souris intérieurement « en
parlant de virus et de Mars, m’est avis que notre espèce terrestre va bientôt
pouvoir enrichir sa flore microbienne avec tous les microbiotes stockés dans le
sol gelé martien ; je sens qu’on va rire ! ».
Puis je
laisse le mot de la fin à Tite Live « Le
Soleil ne s’est pas encore couché pour la dernière fois »
To Be Continued – Ad Vitam Aeternam
« Les
personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute
ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne
saurait être que fortuite. »