lundi 3 août 2020

Chroniques de Guerre Sanitaire (1/9) : ça commençait pourtant bien

« Celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu’elles ne surviennent » Sun Tzu

Tout cela avait pourtant bien commencé. Fin janvier, les nouvelles étaient réconfortantes comme seules savent l’être finalement les fake news autorisées par les Autorités. Le Général Hiver avait gelé le plus gros de l’offensive virale chinoise, née semble-t-il du croisement entre une brochette de pangolin et un tartare de chauve-souris, avant qu’elle ne franchisse la Grande muraille de Chine. De quoi me laisser le temps d’anticiper, à ma dérisoire échelle personnelle, le meilleur comme le pire des spasmes de notre violente planète.

Commençons par le meilleur.

Après deux mois de blocage hivernal par les vils saboteurs des Confédérations Grévistes du Travail, nous sommes nombreux à nous réjouir de la perspective d’un retour à la vie normale avec le printemps. « Rendez-nous nos vies » était notre slogan, répondant aux imbécillités que les agités du bocal syndical ânonnaient lorsqu’ils défilaient, toutes ces interminables semaines, dans un Paris aussi paralysé qu’un cerveau de gauchiste.

Et comme la menace de la vilaine « grippette » n’a pas de quoi nous faire hurler « mon Dieu ! On va encore tous mourir », on se met à faire des projets.

Après tout, nous devions déjà tous mourir : du Bug de l’an 2000 ; de l’Anthrax en 2001 ; de la fièvre du Nil occidental en 2002 ; du SRAS en 2003 ; de la grippe aviaire en 2005 ; de la crise économique en 2008 ; de la grippe H1N1 en 2009 ; de l’épidémie d’e.coli en 2011 ; du calendrier maya en 2012 ; de la crise des missiles de la Corée du Nord en 2013 ; de la fonte des glaces en 2014 ; de l’Etat Islamique en 2015 ; et des virus Zika et Ebola en 2016.

Or nous sommes, presque tous, encore là. Dès lors, pourquoi verserions-nous dans l’hystérie alarmiste.

A plus forte raison que les Taïwanais de Chine-démocratique démontrent que l’on peut gérer la menace virale venue du Wuhan avec bien plus d’efficacité et moins de privations qu’en Chine-dictatoriale.

J’ose donc penser que notre gouvernement, celui de la 7e puissance économique mondiale, ne manquera pas d’adopter des mesures équivalentes ou bien meilleures pour protéger les plus fragiles d’entre nous tout en maintenant le pays en état de fonctionnement.

« Covid19, ma grande Nation va te défoncer, même pas peur vulgaire miasme made in China ! #ObsolescenceProgrammée » fanfaronne-je en bon frenchouille, tout en découvrant que les premiers cas atterrissent chez « Nous ».

Dans ma crise de confiance, j’imagine la belle et  rassurante ministre de la Santé, aussi tranquillisante qu’une anesthésie générale, ouvrir, non pas sa blouse immaculée de médecin sur une délicieuse nudité mature (je vous connais bande d’obsédés), mais bien le stock stratégique d’un milliard de masques, tout en mettant en branle (bande de pervers) le merveilleux système de santé que le monde entier nous envie (oh oui !). Je me dis même que l’autre face de plumeau qu’est le très verbeux ministre de l’économie sortira de son impuissance (tas de dépravés) en mobilisant les moyens industriels nécessaires et en stimulant (oh oui ! encore !) l’innovation technologique.

Un peu moins excité, je liste les mesures avec lesquelles Taïwan ou la Corée du sud parviennent à circonscrire le danger. Il est vrai que les voisins en porcelaine de la Chine éléphantesque, parfois menacés dans leurs intérêts vitaux par les soubresauts du géant asiatique, ont tiré les leçons de la crise du SRAS de 2003 puis du virus H1N1 en 2009 qui avaient frappé la région. Ils savent par ailleurs lire suffisamment bien entre les lignes de la propagande chinoise pour s’alarmer lorsqu’il le faut.

Voici les mesures en question :

·     - Filtrage immédiat aux frontières des passagers en provenance de Chine continentale dès que les autorités chinoises décrètent le confinement. Quand on y pense, une frontière c’est comme la peau, ça doit servir à filtrer les menaces pathogènes.

·      -Tests massifs de la population avec confinement strict des malades et traçage numérique des gens contaminés, chose acceptée par tout le monde puisqu’il ne s’agit pas d’un traçage généralisé et constant, attentatoire aux libertés, mais ciblé et provisoire en vue d’éviter des pertes humaines.

·      -Port du masque protégeant le reste de la population des individus porteurs non encore détectés, selon le principe basique que le meilleur moyen de se protéger d’un virus respiratoire c’est de porter un masque respiratoire. Une protection qui permet de maintenir un semblant de vie normal et surtout quasiment intact le potentiel productif du pays.

·      -Mobilisation des infrastructures industrielles et innovatrices pour produire le nécessaire à la gestion de la crise (masques, tests, outillage médical et digital) et anticiper la suite.

J’en conclue que nous ferons pareil mais en mieux car nous sommes Français et que si nous n’avons toujours pas de pétrole de schiste, nous ne manquons pas d’idées bien huilées…

Tout à ma rêverie, je m’imagine déjà, aux premières caresses solaires du printemps, me promenant avec ma Dulcinée sur les bords de Seine après le boulot, une délicieuse glace de la Maison Berthillon à la main, achetée sur l’île de la Cité, avant de nous poser dans un bar éphémère du Quai d’Orsay pour profiter de la dolce-vita parisienne.

Je m’en frotte déjà les mains, voyant mes doigts passer de ses magnifiques boucles châtain-soleil à son cou si doux ; et je me pourlèche les babines, imaginant sa succulente langue, parfumée de son mélange de tabac léger et de pastilles à la menthe « fisherman’s friend » (#PlacementDeProduit), aspirée goulument par ma bouche, entre deux tartines de tapenade arrosées de bière blanche.

Puis les jours passent, chaque jour apportant son lot d’annonces pas aussi agréablement printanières que je le souhaitais. Les seules choses qui bourgeonnent en cette deuxième quinzaine de février sont les cas de covid19. Ceux-ci émergent en divers points de la planète tels des champignons sur une vieille souche moisie qui servirait de mappemonde, notamment en Iran, dans notre Italie aussi chérie que voisine, mais également chez Nous.

Il y a d’ailleurs quelque chose de particulièrement sardonique dans cette éclosion. Le virus semble cibler de préférence les religieux : secte chrétienne en Corée du Sud, mollahs en Iran, évangélistes en France, ultra-orthodoxes en Israël, et sectateurs du ballon rond en Italie puisque les fidèles de la deuxième religion italienne semblent concurrencer les grenouilles de bénitier qui vont se contaminer dans les églises.

Comble de l’ironie, l’un des foyers français semble avoir été directement importé par les services de l’Etat via l’Armée lors du rapatriement des Français du Wuhan dans l’Oise. « Si l’Etat n’existait pas, qui vous contaminerait ? » se gaussent mes potes libéraux. A posteriori, on peut dire que ce ne sera que le début d’un long chemin de croix pour l’Eglise étatiste françoyse.

Bref, on rigole, on rigole, mais au fond, tout cela me laisse un brin circonspect.

J’ai senti poindre les premiers doutes lorsque le gouvernement, accompagné de ses aussi serviles qu’Apathiques commentateurs, se sont mis à annoncer :

·      - Que les masques étaient inutiles pour le pékin moyen mais indispensables pour le personnel médical. J’en ai conclu que ces derniers devaient avoir les bronches plus fragiles que les nôtres. Non ! Je rigole !

·      - Que le virus n’avait pas de passeport et que ça ne servait à rien de boucler les frontières. Pendant ce temps-là les pays voisins de la Chine démontraient le contraire.

·      - Que les Italiens étaient moins efficaces que nous. Mouais ! A un certain moment, il va tout de même falloir arrêter d’en vouloir aux Italiens de nous avoir fourbement dérobé la coupe du monde de football de 2006. C’était dans la foulée du coup de boule de Zizou sur Materrazi, qu’il aurait fallu déclencher une frappe nucléaire sur Rome. Prier maintenant pour qu’ils crèvent tous du Coronavirus quatorze ans après, ça fait rancunier. A plus forte raison que notre gouffre budgétaire rejoignant bientôt le leur, nous aurons très bientôt besoin de nos cousins Ritals pour aller quémander de l’argent auprès de nos cousins Germains. Soyons pragmatiques !

·      - Que la tempête virale s’arrêterait à nos frontières, comme en son temps le « nuage de Tchernobyl ». Après tout « Bis (ou plutôt Bêtises) Repetita Placent ».

Des doutes vite réprimés. Que voulez-vous face au danger, les premiers reflexes sont soit la fuite soit le déni. Dans le déni on se dit que notre gouvernement ne peut pas être mauvais à ce point. Faire de la politique c’est servir son pays. Avec tous les rapports qui s’entassent, ils doivent forcément avoir un plan, une solution, une méthode plus discrète mais tout aussi efficace que la taïwanaise. « Nous sommes l’une des plus grandes puissances mondiales, putain ! Nous avons le meilleur système de santé au monde, merde ! Etc. »

J’allais déchanter assez vite et, avec le foyer viral qui commençait à embraser l’Est de la France, je devais me rendre à l’évidence que dans mon beau pays, gouverner ce n’est ni prévoir ni réagir en conséquence, mais dépenser une énergie et « un pognon de dingue » pour sauver la face du gouvernement. Le tout en nous laissant la douloureuse finale.

Rien de bien surprenant de toute façon. Notre président n’avait-il pas annoncé dès sa campagne présidentielle que ce qui doit l’emporter c’est le souffle révolutionnaire transformateur français, seul réel génie politique national. Transformer la France, transformer le Monde. « Parce que c’est notre projet ! » Ils ne doivent exceller que dans les challenges d’ampleur galactique. « Parce que c’est notre projet ! »  Faire la nique à une vilaine pandémie ne doit pas être digne de leur magnificence. Ça ne les pousse pas au dépassement. « Parce que c’est notre projet ! »

De communiqué en communiqué de presse de Dame Si Bête, le clown de foire gouvernemental en pyjama officiel et à la face de brocolis cramé, aux propos relayés quasiment mot pour mot par des medias aussi complaisants que subventionnés, l’évidence s’impose : gouverner se réduit à communiquer, commenter, en somme jacasser, tout en laissant-faire-n-importe-quoi laissant-passer-n-importe-qui…

A plus forte raison que les rumeurs de pénurie de masques, de respirateurs, de lits d’hôpitaux dans le Grand Est, commencent à poindre. Quand tu penses que le président de la région Grand Est se trouve être médecin de formation, tu te dis que l’histoire aime à se montrer taquine.

Aussi, plutôt que doux, le printemps s’annonce chaud bouillant. En rigolant avec les copains, on se dit que ça annonce peut-être les huit semaines de canicule estivale qui  nous frapperont dans quelques mois.

Par conséquent, début mars, je me suis mis à anticiper le pire.

Oh je vous rassure, je ne suis pas du genre à paniquer violemment. Je préfère de loin paniquer tranquillement, de façon organisée. 

Contrairement au gouvernement qui découvre ce dont il a besoin au fur et à mesure de l’avancement de la crise, je liste le nécessaire, en tenant compte des mouvements de panique ayant déjà eu lieu en Asie, Australie, Italie. Je tiens surtout compte du fait que la race humaine peut s’avérer partout extrêmement primitive et donc prévisible.

Je tiens compte également des derniers mensonges du gouvernement n’annonçant pas de confinement immédiat, ou plutôt l’annonçant à la normande, « p’tèt ben qu’oui p’tèt ben qu’non », notre Premier ministre en étant un beau spécimen, puisque même sa barbe-zèbre arbore désormais une coloration normande, « p’tèt ben qu’brune, p’tèt ben qu’blanche».

De fait, en ce début mars, où des bruits de couloirs de l’administration comme des grandes entreprises annoncent un confinement de six semaines à partir de la mi-mars, les menteurs qui nous gouvernent nous invitent à mener une vie normale. Le président donne l’exemple en allant au théâtre. Et la classe politique, tous bords confondus, bavant sa soif de mandats, manifeste sa hâte de voir les Français braver le virus en allant veauter pour les municipales…

Je me suis demandé pourquoi le gouvernement mentait de la sorte. Est-ce qu’il se garde plusieurs options ? Est-ce tout simplement parce qu’il croit vraiment dans ce qu’il nous raconte au fur et à mesure, un peu comme s’il pensait tout haut ? Toutes choses qui ne sont pas plus rassurantes. Car soit le Gouvernement se ment à lui-même, ce qui démontre une certaine incompétence, soit il nous prend cyniquement pour des cons, comptant sur notre mémoire de poisson chirurgien bleu (#HommageàDoris) pour oublier ses mensonges successifs.

Et puis ! Quelle est donc cette manie de gouverner au conditionnel. On ne leur apprend plus que l’on gouverne, soit au présent, soit au futur, mais jamais au conditionnel. Tas d’apprentis gouvernants !   

Quoi qu’il en soit, ne croyant plus rien de ce que les Autorités nous racontent, je liste le nécessaire pour ma pomme, ma femme et mon vieux père.

Je liste, j’achète par petites quantités tous les jours, puis je stocke chez mon papa, et chez moi, assez de packs d’eau, de sachets de riz, de pates, et de poisson en conserve,  pour tenir un mois. Un brin honteux, je me constitue également un stock stratégique de papier hygiénique.

Il me faut maintenant convaincre ma chère et tendre de prendre des dispositions similaires.

Je ne sais pas encore où je passerai mon confinement, chez elle ou chez moi.  Cela fait deux ans que je crèche bien plus souvent chez ma douce compagne que dans mon nid d’aigle ou plutôt nid de mésange situé dans la proche banlieue parisienne.

Son chez elle, un joli appartement ensoleillé avec balcon, se trouve à une heure de chez moi dans un quartier populaire parisien comme je les aime, mixé socialement et ethniquement mais bien parisien au lieu d’indéterminé. Je m’y rends presque tous les soirs. Le plaisir de nous endormir l’un contre l’autre est tel que toute séparation de plus de 48 heures nous est pénible. J’aime tant la voir à mes côtés lorsque je m’éveille. Nulle autre vue pareille ne m’émerveille autant que son crin châtain-soleil brillant au réveil ; ses boucles de cheveux que je peux caresser jusqu’à épuisement. Et ses yeux ! Mon Dieu ! Ses yeux ; des yeux bleus dont je contemple émerveillé tout coucher comme chaque lever. Mais aussi, les plus efficaces de toutes les pilules bleues ; à peine je les gobe du regard que me voilà avec la barre.

« Oui, je suis profondément amoureux de ma femme, et alors ! Je sais, c’est rare ! Mais ce n’est pas mon problème ! C’est le vôtre ! Na ! ».  Et dire qu’il aura fallu que j’attende 45 ans pour que toutes les mièvreries auxquelles j’ai toujours cru, m’explosent dans l’âme et prennent enfin chair. Comprendre finalement ce que « trouver sa moitié » veut dire ; cette âme sœur qui, loin de t’amoindrir, te permet de te découvrir tout entier, d’être entièrement toi, tout ce que tu attendais d’être. Être né pour aimer ainsi. C’est comme ça ! Ma femme est devenue tous mes jours de printemps, toutes les fleurs que j’ai dans les yeux à chacune de nos retrouvailles. « Nos » ; « Nous ». J’aime tellement dire ce mot « Nous » depuis « Nous ».

Mon nid de mésange offre toutefois l’avantage de se trouver juste à côté de chez mon père âgé de 82 ans, à qui je devrai porter assistance pour les courses, les factures, le ménage, etc. D’ordinaire je me rends chez lui tous les deux jours en quittant le bureau situé non loin de là.

Or en cas d’épidémie galopante et de confinement, il me faudra limiter les visites pour éviter de ramener des germes tout en me rendant disponible chaque fois que nécessaire. J’ai perdu ma mère d’un cancer foudroyant de l’estomac, l’hiver dernier au Portugal, et j’ai déjà assez de difficulté comme ça à faire le deuil malgré la distance des rapports que j’entretenais avec ma génitrice. Aussi j’ai tout sauf envie de perdre mon paternel dont je suis proche. Cette simple éventualité me ronge le sang. Je finis par me dire que je trancherai au dernier moment, selon les conditions du confinement. En cas de restrictions sévères de déplacement, j’opterai pour mon repère.

Je fais part à ma femme de mes états d’âmes. Elle est d’accord avec moi. En me caressant le visage, elle me dit, « tu verras bien et tu décideras en conséquence ».

De son côté ma Chérie doit prévoir la venue de ses deux filles adolescentes, en garde alternée, une semaine chez leur père, une semaine chez elle. Comment cela se passera-t-il pendant le confinement ? Nous deux, amoureusement confinés, ça ne manquera pas d’être délicieux, mais avec deux adolescentes en plus, c’est susceptible de déraper. Non pas que ses filles ne soient pas aimables, bien au contraire. Chacha l’ainée et Titou la cadette, sont des mômes ayant les côtés adorables de leur mère, mais elles n’en restent pas moins des adolescentes avec des tensions liées à leur âge et celles propres à leur génération d’egocentriques habitués à toutes les facilités. Comment vivront-elles l’enfermement avec nous. Bref, tout cela ne va pas sans susciter quelques inquiétudes à prendre en compte.

Parents et enfants. La quarantaine est l’âge béni où, tout en se sentant tellement plus libre qu’à n’importe lequel des âges précédents, on s’oublie assez pour se soucier principalement de nos parents comme de nos enfants.

Et Dieu sait que je me fais également un sang d’encre pour mes propres enfants. Ceux-ci habitent avec leur mère en Bretagne, non loin du cluster viral morbihannais qui fait parler de lui depuis peu de jours et qui les taraude. Je passe déjà chaque jour à faire le deuil de leur éloignement et absence. Mais là, m’inquiéter à distance est une véritable torture morale. La fonction d’un père est de protéger et de rassurer. Or ne pas être auprès d’eux pour le faire est émotionnellement assez difficilement supportable. Qui plus est, j’avais prévu d’aller les voir à la fin du mois de mars. Tout comme ils devaient venir chez moi pour les vacances scolaires de pâques. Je sens que tout cela va tomber à plat avec le confinement.

J’enrage littéralement avant de lâcher prise en respirant profondément. Après tout, depuis mon divorce d’avec leur mère un tantinet instable, je leur dis souvent que vivre consiste à s’adapter au changement. « La vie n’est que mouvement » comme le disait Montaigne, ou plus récemment le Docteur Gerry Lane dans le film « World War Z ». Ce référentiel les fait souvent rire, « Tu as raison, papa, nous ne sommes pas des Zombis ». Je me rassure en me disant que nous nous appellerons plus souvent. Nous trouverons des moyens de rester en contact et de rire ensemble en attendant de pouvoir nous embrasser de nouveau.

En attendant de trancher, il me faut donc convaincre ma Douce de stocker du ronderche.

Accueillant mon intention de l’un de ses « quoi ! » emblématiques, elle poursuit goguenarde, en me lançant un « mais tu ne penses qu’au Q ma parole !». Je rétorque en rigolant « Oui ! Je ne pense qu’au tien ! Mais en l’espèce, il s’agit plutôt de PQ !».

« Ah non ! Je refuse de rentrer dans cette logique de siège, d’anticiper ce qui pourrait manquer à cause d’éventuelles hystéries collectives. Je suis une Parisienne, une Intra-muros, et à Paris, non seulement, il n’a jamais rien manqué, mais je te parie qu’il ne manquera rien », me dit-elle en riant avant de poursuivre.

« Et puis, où veux-tu que je stocke dans mon trois pièces, avec un frigo d’appart parisien digne d’un mini-bar ? Il est fait pour contenir une semaine de bouffe. Pas plus ! Enfin ça me saoule de faire comme la foule. Je ne vais tout de même pas me disputer des boites de thon dans les rayons ! J’ai une dignité moi !  »

Je lui réponds que c’est l’une des raisons pour laquelle je l’aime tant mais voilà, on va quand même trouver de la place pour quelques petits stocks tactiques que je constituerai tranquillement dans les prochains jours. Gouverner sa maison, comme un pays, c’est prévoir.

Une semaine après, voilà chose faite ou presque.

En apprenant que l’ibuprofène serait à l’origine de l’hospitalisation de patients jeunes et qu’il serait à proscrire, le paracétamol étant à privilégier, je me dis que tous ces cons se rueront sous peu dans les pharmacies pour dévaliser les rayons de doliprane. Le Con étant prévisible au moins 48 heure à l’avance, je décide de nous prévoir deux boites chacun au cas où, en les prenant tranquillement, deux drageoirs par ci, deux drageoirs par-là, histoire d’en laisser aux autres.

Le lendemain, le mardi 10 mars, en sortant du bureau, je me rends compte que je n’en ai pas pris pour mon père. Je rentre donc dans une pharmacie pour lui en prendre deux boites. Devant moi, dans la file d’attente se trouve à l’évidence une cagole de cité avec sa poussette. Lorsque vient son tour, celle-ci commande un lot de sérums nasaux ainsi que huit boites de doliprane en lançant à la pharmacienne « vaut mieux en avoir en réserve, ça peut servir » le tout accompagné de petits tremolos inquiets dans la voix. La pharmacienne ne moufte pas et emballe les huit cartons de médicaments en accompagnant son geste d’un mouvement ruminant de la mâchoire.

J’écarquille les yeux en me disant, ces gens-là sont aussi graves que la pharmacienne est incapable de mettre le haut-là. Il ne reste plus que deux drageoirs de paracétamol sur le présentoir. La primate de cité s’en va. C’est à mon tour. Ayant honte de prendre les deux dernières boites, je lui en demande une seule, en me disant que j’en achèterai une autre ailleurs.  L’apothicaire me tend le drageoir en disant « il faut que j’en recommande, ça part vite aujourd’hui, je ne comprends pas pourquoi », le tout en m’offrant la vivacité de l’éclat oculaire d’une génisse charolaise. Je prends la boite pour mon père en disant « merci » tout en ayant très envie de lâcher un « t’es un peu teubée, toi aussi, non ? ».

Avant d’arriver chez mon vieux, je trouverai une officine où j’achèterai la deuxième boite, épisode là aussi haut en couleurs.

La pharmacie  à deux pas de chez mon papa a bien organisé les choses. Elle a effectué des traçages au sol sur le trottoir comme à l’intérieur de l’établissement, garantissant ainsi une distanciation physique de deux mètres entre chaque client.

Lorsque j’arrive, deux personnes se trouvent devant moi. Je n’ai personne derrière moi pendant une minute. Puis trois personnes arrivent. Les deux dernières suivent le marquage, mais celle juste derrière moi semble plus attirée par mon postérieur que par la nécessité de garder ses distances. S’ajoute à cette proximité, la respiration forte de quelqu’un qui a couru. Son souffle chaud s’abat sur ma nuque.

La personne en question est une grande Africaine ressemblant à Aya Nakamura, la Castafiore malienne qui fait un tabac, auprès d’un public constitué des rebuts zupestres de l’éducation nationale, avec ses clips aux images grimées au dernier degré, et aux chansons écrites en petit nègre suburbain à base de borborygmes indiquant clairement que sa musique s’écoute bien plus avec le cul qu’avec la tête.  

Je mets son besoin de me coller sur mon magnétisme animal ou alors sur mon séant musclé de Babtou aux zestes de sang bantou qui ne manquera pas, peut-être, de lui rappeler, à la fois, une allure tribale familière, mêlée d’exotisme  blanc. Sauf que là, mon absence de célibat comme le climat sanitaire ne s’y prêtent pas. J’ai donc tout sauf envie de danser le collé-serré au cours d’une Covid-party improvisée.

L’un des clients de devant ayant été servi, un marquage au sol se libère devant moi. J’avance de deux mètres, me défaisant alors de cette proximité proche de l’emprise aussi embarrassante que déplacée. C’était sans compter sur le mimétisme de cette cousine. Elle me recolle derechef à tel point que j’ai pour ainsi dire sa buée sur l’intérieur de mes lunettes.

« Mazette ! Si ça se trouve, elle est en train de m’embrumer de coronavirus ! Ça ne va pas du tout, ça ! » me dis-je en tchipant intérieurement, et en pensant à la sécurité de mes proches comme à la Sécurité Nationale (#LOL).

Me tournant vers ce morceau de sparadrap qui refuse de me lâcher la grappe, je me permets de lui signifier, sur un ton bienveillant mais ferme : « n’y voyez aucune offense mais si je tiens à maintenir une certaine distanciation physique, dans le respect des marquages au sol, ainsi que des gestes barrière, ce n’est pas pour rien ».

La réaction du sparadrap est quelque peu déconcertante. Mon injonction dans un langage, visiblement, un peu trop soutenu, la laisse coite, dans ce qui ressemble à un véritable KO débout, les mains recroquevillées sur la poitrine, le menton incliné sur le côté, et le regard aussi éteint que celui d’une carpe restée trop longtemps sur l’étale d’un poissonnier.

J’ai bien envie de lui dire « ne vous frappez pas de la sorte » mais j’ai peur de finir de lui déclencher un AVC. « J’aurais peut-être dû ponctuer ma phrase d’un ‘wesh’ ou deux » me dis-je. Je m’admoneste en me traitant de « grosse brute » au moment où le pharmacien, qui a visiblement assisté à la scène du coin de l’œil, m’invite à le rejoindre en caisse.

« Je vous en prie, Monsieur, venez, c’est à vous » me dit-il avec un sourire complice qui illumine la finesse de ses traits Éthiopiens et dont la blouse blanche souligne la gracilité de sa silhouette d’Elfe africain.

Je le rejoins, achète ma boite de paracétamol, et repars en jetant, un brin inquiet, un dernier regard sur la dame toujours figée telle une statue de sel.  

Une statue aux formes athlétiques mises en valeur par une combinaison moulante en skaï noir et un gilet en peluche blanche qui lui recouvre les épaules. Un détail manque de me faire éclater de rire. Elle porte des chaussettes blanches, en raccord avec le gilet, dans des claquettes noires aux deux lanières d’empeigne recouvertes d’une ridicule fourrure synthétique blanche. « Au moins tout est raccord » glousse-je intérieurement. Les claquettes-piscine-chaussettes-blanches, soit le comble du mauvais goût teuton, mis à la mode dans nos banlieues par une armada d’influenceuses pour Youteubées. De quoi souligner le caractère définitivement « horribilis » de « l’annus 2020 ».

Son regard reste étrangement figé. Si ça se trouve, elle se dit qu’elle vient d’être, une énième fois, victime, d’une infâme agression raciste. A moins qu’elle ne soit « dans son comportement » comme le chante sybillinement Aya Nakamura, ou ne rumine « le seum » (un désarroi mêlé d’acrimonie) que lui aura suscité ma remarque.

Tout en méditant sur la force de frappe psychologique des phrases subordonnées, j’oublie ce mannequin pour prêt à porter de cité, et me dis « Mission accomplished ! ». J’ai les deux boites de doliprane de mon paternel.

Dans les jours qui suivent, comme il fallait s’y attendre, des ruptures de stocks de paracétamol sont à déplorer. Pays de teubés prétentieux !

 

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