«Macron nous a dit deux gros mois»
Comtesse de Contrepet
(Après le "Chapitre 1 - ça commençait pourtant bien" ... le "Chapitre 2 - Les Roses du Rhin"... le "Chapitre 3 - ça part en cacahuète"... le "Chapitre 4 - tout est devenu flou"... le "Chapitre 5 - la comédie des pouvoirs"... le "chapitre 6 - quand les masques tombent"... le "chapitre 7 - autogestion"... voici l'avant-dernier chapitre de votre feuilleton sanitaire estival )
Nous voici le dimanche 19 avril. Il est trois heures du matin. Pas moyen de trouver le sommeil. Je sens même comme une brûlure acide dans la gorge. « Bah ça alors ! Je fais du reflux gastrique maintenant ! Portenawak ! ». Bien qu’agacé par cela, je me lève tout doucement en espérant ne pas réveiller ma Douce qui a elle aussi le sommeil léger ces jours-ci. Pas de chance. Elle se retourne vers moi et me demande « où vas-tu ? ».
Pris dans la torpeur brumeuse de la nuit, et la brûlure dans l’œsophage, j’éructe un truc stupide. « J’aurais bien besoin d’une petite pipe mais comme t’es trop fatiguée pour me sucer, je vais me branler dans le salon, ça me détendra peut-être ». Interloquée, entre surprise et sommeil, elle me jette un « quoi ?! » comme on jette un oreiller au visage d’un malotru. Les idées un peu moins acides, je lui réponds « je plaisante mon Amour! Je n’arrive pas à dormir ; et plutôt que de tourner dans le lit comme toupie, je m’en vais lire un peu dans le salon ».
Je l’embrasse sur le cou et j’embarque avec moi « Pulsions », l’excellent roman graphique de Kyan Khojandi. J’ouvre le premier chapitre. Voilà qui tombe à point nommé. Il traite de la masturbation masculine. Après deux chapitres, je finis par m’assoupir et reviens me coucher auprès de ma Belle.
Cela fait deux semaines que j’ai du mal à dormir. Trouble qui s’accentue depuis le 13 avril, date à laquelle le Président de la république a annoncé, encore une fois, au conditionnel, la date du 11 mai comme horizon prévisionnel du déconfinement. « Horizon » le bien nommé. « Horizon : ligne imaginaire qui s’éloigne à mesure que l’on s’en approche ».
Il faut dire que le discours présidentiel, bien qu’assommant, était à dormir debout. Pour sûr il était joli. Toutes les figures de style libres et imposées y étaient : un semblant d'humilité, de la pommade, un horizon de sortie de crise, du réalisme mâtiné de mensonges, notamment sur les tests, qui seraient inutiles à grande échelle, soit le même baratin que pour les masques, baratin servant à masquer la pénurie de tests ; mais également des perspectives un brin positives.
Très joli jusqu'au moment où je me réveille de la séance d’hypnose collective et que je réalise que nous venons de prendre un mois de taule supplémentaire, des milliers de morts, et quelques dizaines de milliards de dette en plus, parce que les petits génies du gouvernement n'ont ni commandé ni fait produire le nécessaire à temps ; parce que la fine équipe qui gère la crise comme dans un pays sous-développé, a trois bons mois de réactivité de retard.
Et me voilà fulminant dans le salon « Par la malepeste ! Ce n'est plus un gouvernement ! C’est un interminable accident industriel ! Et après ça, de tels visionnaires, osent conclure leurs discours d'un : "dans les prochaines semaines, je tâcherai de dessiner le chemin vers un projet français fait de jours heureux". Mazette ! Chapeau l'artiste ! Y a pas à dire, le pouvoir est une drogue aussi néfaste moralement que mentalement. Elle vous fait planer si haut que non seulement elle vous déconnecte des réalités d'en bas mais aussi des vôtres. Les gars, ils ont beau avoir merdé sur toute la ligne, avoir démontré leur incapacité à gérer le naufrage actuel, ils n'en continuent pas moins de se voir comme des phares, persistent à croire qu'ils peuvent nous dessiner des caps vers des horizons merveilleux. La vache ! Je vous en foutrais des dessins moi ! Tiens ! Si au moins ils autorisaient l'ouverture des commerces de loisirs créatifs, sans oublier les jardineries, nous pourrions occuper nos journées, justement à dessiner par nous-mêmes, et surtout à fleurir un peu les horizons de nos fenêtres et balcons. Nous en avons grandement besoin ! ». Fin du monologue purgatif.
Pour en revenir à mes insomnies, les troubles du sommeil sont rares chez moi. Je dors comme un bébé. Les dernières atteintes à cette paix hypnique, ont eu lieu, pour des raisons évidentes, pendant les quelques mois qui ont suivi la naissance de mes bébés. Surtout du deuxième. Ses allergies alimentaires et les douleurs dont il était victime jour et nuit, nous ont empêché de dormir, lui, sa mère, et moi, plus de 30 minutes d’affilée, pendant plus de six mois. Je me rappelle encore, être allé travailler avec des vertiges de fatigue à assommer un skipper du Trophée Jules Vernes. Six mois de 50e rugissants produits par les hurlements de douleur de mon fils, à voguer dans le brouillard le plus complet, sans halte ni repos, déchiré par l’impuissance et la culpabilité de ne pas pouvoir soulager sa peine, jusqu’à ce qu’un diagnostic correctement posé nous permette enfin d’entrevoir une escale hospitalière. J’ai totalement revu, après ça, la notion d’aventure humaine. L’ultime grande aventure est indéniablement la parentalité. Elle nous pousse souvent à tester notre stabilité, en dérobant sous nos pieds, aussi bien le sol que les flots.
Parentalité qui n’est pas sans lien avec mes agrypnies actuelles. Mes enfants me manquent de plus en plus. Ne pas pouvoir les voir me sape le moral chaque jour un peu plus.
Mais ce n’est pas tout. Certains troubles de la sexualité sont également à mettre au rayon nouveautés physiologiques. Je vois que j’ai toute votre attention.
D’ordinaire, je n’éjacule pas systématiquement. Non pas du fait d’une quelconque infirmité. Je tiens cette habitude de ma découverte, dans ma curieuse et asiatique jeunesse, du tantrisme, du taoïsme sexuel et d’autres chinoiseries rigolotes. Le contrôle du périnée permet de jouir sans jaillir. L’avantage premier qu’offre le fait de ne pas péter le bouchon de mousseux à chaque manipulation du récipient, est que tu n’as pas à attendre de recharger ton canon pneumatique pour pouvoir t’en resservir. Du coup, si j’ose dire, mon sextoy est toujours au garde-à-vous lorsque l’envie nous prend.
Or, depuis quelques semaines, le besoin de goupillonner prend le dessus. Comme si cela me servait à libérer des tensions. Le « coitus more ferarum » ayant de son côté pris tout son sens primal. Ce n’est pas que ce soit désagréable mais comme j’ai toujours préféré l’envie au besoin, cette nécessité d’avoir les couilles aussi vides que celles d’un acteur porno à la retraite, commence à me courir sur le haricot.
Et ce n’est qu’un début. Dix jours de montée en tension démarrent cette nuit-là.
En fin de matinée de ce 19 avril, après m’avoir laissé me reposer, ma Douce me réveille tendrement, le parfum de ses cheveux précédant la douceur de ses lèvres. Sensations gâchées quelques minutes plus tard, par les premières effluves de shit des voisins d’à côté et les premières vociférations de Juju-la-sale-gosse : « Mais Ferme Ta Gueule et Sors-De-Ma-Chambre ! ».
Vociférations qu’elle poursuivra de plus belle au déjeuner en pourrissant ses parents parce qu’ils refusent de lui offrir un chien. « Mais tu as déjà un lapin et un chat, pas toujours compatibles ; je crains qu’un chien en plus ne complique la cohabitation de l’ensemble » lui dit son père. Juju-la-Banshee, prend son assiette, se lève de table, rouge de rage, tout en hurlant « c’est toujours comme ça ! On ne me fait jamais plaisir ici ! ». « Cette mioche c’est le ‘Cri de Munch’ » me dis-je. Les parents de Juju se regardent impuissants. « Ils sont au bout de leur vie » soulignent Titou et Chacha.
Nous assistons à la scène en petit-déjeunant. Après celle-ci, nous allons faire des courses au Monoprix de La Fourche pour nous détendre un peu. Pas de chance, ma Chérie voit rouge, ou plutôt, à défaut de rouge, elle est verte, et broie du noir faute de pouvoir en boire : « M’enfin ! Je ne trouve plus mon pif ! » Ne comprenant pas tout de suite, je lui demande si elle n’a plus d’odorat, l’un des symptômes du coronavirus. « Mais non ! Où est passé mon bon petit Pinot-Noir ? Il n’y a plus rien en rayon ! Les pochtrons du quartier ont fait une razzia sur le pinard ! Il n’y a même plus de Pouilly ! »
Ma réponse, décidément un tantinet maladroite, n’arrange pas son désarroi « je t’avais bien dit d’en prendre quand il y en avait et de faire des petits stocks ».
« Voilà une remarque qui me fait une belle jambe ! Avec tout le boulot que je vais avoir cette semaine, mon petit verre du soir, aurait été bien réconfortant » répond-elle toute désappointé. Entendant la voix de Juju-la-harpie résonner dans ma tête, « je ferme ma gueule » et je lui fais un bisou.
Au retour, dans l’espoir de compenser un peu, nous sirotons une petite bière sur le balcon aux sons du quartier. Le chant des oiseaux est aujourd’hui couvert par les pépiements des poussins humains. Ca piaille joyeusement de partout.
Les bouts-de-choux font des allers-retours en trottinette dans la rue livrée à leurs jeux. Notre tranchée d’immeubles se trouve ainsi égayée de leurs éclats de rire. Un peu plus loin d’autres jeunes font une partie de badminton.
Les minots de l’appartement du dessous s’en donnent à cœur joie, également, pris qu’ils sont dans une intense partie de jeux-vidéo. Ils sont choux eux-aussi. Leurs parents, un couple de Marocains, font partie des voisins les plus agréables de l’immeuble. Leurs enfants, deux jeunes adolescents, sont aussi polis que souriants ; vifs mais discrets ; recadrés tranquillement mais immédiatement par leurs parents à la moindre incartade. Je crois que la pire invective que j’ai entendu lors de leurs parties vidéoludiques a été « tricheur ! ». Je les trouve même, parfois, un peu trop calmes pour de jeunes garçons, les soupçonnant, dans mes délires au quinzième-degré, de travailler leur capacités de taqîya afin d’infiltrer et porter au plus haut de l’Etat le coup fatal d’un quelconque complot djihadiste.
Rien à dire ! Les gosses ne manquent pas mais les pires pestes de la rue sont certainement les filles Quadrachiants. Juju marquera d’ailleurs sa présence en gueulant régulièrement dans la soirée.
Un peu plus tard, ce sera la jeune occupante d’une ancienne chambre de bonne, située au-dessus de l’appartement des Quadrachiants, qui donnera de la voix avec son copain. Une vingtaine d’années, plutôt grande, brune, pas vilaine mais l’air truffe, occupant ce studio depuis le début de l’année 2020. On la remarque surtout du fait qu’elle aime téter sa clope à la fenêtre en petite culotte. Ce soir du 19 avril, elle fume d’ailleurs en petite tenue, avec son copain, lui aussi en slip. Celui-ci passe chez elle de temps en temps, y compris pendant le confinement. Ce soir, ils regardent longuement le soleil se coucher sur les toits de Paris. Le spectacle est en effet des plus jolis. Je parle du coucher de soleil et non de son mec en slip. Il a beau ne pas être vilain, lui aussi, son cache-sexe échancré lui donne une allure ridicule.
Beauté du spectacle, ou pas, vers 23h30 ils s’enguirlandent. Elle lui dit « j’en ai marre, tu passes tout ton temps à me rabaisser ! ». Il lui répond « c’est toujours la même chose avec toi ; si on ne te répète pas vingt fois par jour que tu es la plus belle ou la plus géniale, tu nous pète une crise ».
Surprise dans sa somnolence par ces éclats de voix, et après avoir relevé un peu la tête, ma femme la repose sur mon torse. Tout en continuant de lui caresser les cheveux et le dos, je me dis « ah ça! J’avais bien senti que cette jeune femme aimait attirer l’attention ».
Le lundi pointe le bout de son nez et nous ne verrons plus le jeune-homme en kangourou de tout le restant de la semaine.
Au matin, je prends mon café devant les infos.
J’apprends que l’Allemagne commence à déconfiner le peu qu’elle avait confiné. Apparemment, la seule pénurie qu’elle subit est celle de malades. Je ris jaune.
Pendant ce temps-là, chez nous, la classe politique parle de « pacte républicain ». Je maugrée dans ma barbe « en général, quand la classe politique se met à parler de pacte républicain c’est qu’elle commence à avoir peur que les fourches s’approchent de ses fesses bien dodues ».
Une maxime de Sun Tzu me vient à l’esprit : « La guerre est semblable au feu, lorsqu’elle se prolonge, elle met en péril ceux qui l’on provoquée ». Nos politicards doivent commencer à sentir le péril en leur demeure. Ce qui ne les empêche pas de continuer de se regarder le nombril ou de se tripoter la nouille. Constat qui me fait venir en tête, une autre maxime martiale, celle que l’on peut lire dans « Hagakure » le recueil japonais de sagesse samouraï : « pour connaitre nos insuffisances, regardons ce que font les hommes de talent, mais peu d’entre nous agissent ainsi ; nous préférons admirer nos propres réalisation et passer notre temps à nous justifier » Moine Kônan.
Puis, toujours aux infos, d’autres abordent la nécessité de lever un impôt Coronavirus. Je marmonne encore, « mais oui! Mais bien sûr! Après la Covid-19 passons au Covid-T-poches! Le meilleur moyen de redresser le pays est certainement d’appliquer une petite saignée en même temps que la perfusion! Bravo les Docteur Knock!». La plupart des membres du gouvernement indiquent qu’ils n’envisagent pas cette option-là. Ils privilégient le remboursement de la dette par la croissance, ce qui est un sacré pari. Toutefois, comme je ne crois plus grande chose de ce qu’ils annoncent, je conclue mon marmonnage avec cette sentence de mon Benjamin Franklin chéri « en ce monde rien n'est certain, à part la mort et les taxes », ainsi que par le titre latin de ces chroniques ‘Vae Victis in Virum’, ‘Malheur aux vaincus par le virus’.
Ma femme est, de son côté, déjà aux prises avec les premières galères télématiques de sa journée. Je pars de mon côté labourer le terrain de mon champs professionnel. Je la retrouve le soir, sans son petit verre de rouge à la main, et toute tendue.
Le lendemain, rebelote. Je suis en télétravail, et j’entends depuis la chambre qui me sert de poste productif, ma femme qui rouspète une bonne partie de la journée : soit devant son écran, soit à la visioconférence de 11 heures ou à la confetél de 17 heures. Elle n’est pas la seule. Depuis les haut-parleurs de son ordinateur, j’entends tous ses collègues qui pestent à qui mieux mieux. En face, Juju-la-hurleuse bat des records de crises de nerfs. Et à 18 heures, c’est notre Titou qui craque. L’un de ces profs, de ceux qui ne donnent signe de vie que pour bombarder les élèves de devoirs, vient de leur envoyer par mail toute une myriade d’exercices à faire pour le lendemain même heure. « Mais j’ai déjà plein d’exos dans d’autres matières pour demain, moi ; comment je vais faire ? ».
Bon ! D’un côté, elle n’a pas tort. Après s’être retrouvés en PLS (posture latérale de sécurité, indiquée lors d’un malaise, et devenue depuis peu une expression courante pour souligner le désarroi) par l’annonce du confinement et l’apprentissage électronique que cela impliquerait ; face à la reprise qui s’annonce, pas mal de profs se réveillent et se mettent à pilonner les gamins de devoirs, sans concertation ou en se croyant le seul prof de la classe. De l’autre côté, comme pas mal d’élèves, notre Titou décroche un peu. Au téléphone, ma fille m’avoue également avoir pris pas mal de retard dans certaines matières. Les premières semaines de confinement se sont traduites pas deux heures de boulot scolaire par jour et dix heures de Netflix. Avec la pression qui remonte d’un coup, leur fragile tuyauterie, mise sous tension par l’enfermement, explose. C’est ce qui se passera le lendemain.
Ce mercredi matin, Titou n’a pas trop envie de s’attaquer à l’Everest d’exercices qui l’attend. Elle se dit qu’elle passerait bien la matinée à dessiner et lance une série d’impressions de personnages manga qu’elle veut reproduire. L’imprimante est dans la chambre. Tout en travaillant sur mon écran, je vois la machine débiter des portraits de Naruto. Soudain, retentit l’alarme de défaut de cartouche d’encre. « Ouille ! » Titou entre dans la chambre pour prendre discrètement le jeu de feuilles et constate le plantage. « Oups ! » Ma femme qui vient de lancer elle aussi une impression et qui fait le même constat beugue, se reboote, puis lâche « c’est pas vraiment des devoirs, ça, mais surtout, comment vais-je faire pour imprimer les tableaux que je dois sortir cette après-midi ? ». La tension monte.
Je me propose d’aller acheter une cartouche dans l’une des superettes du coin. J’en trouve une, en effet. En faisant la queue à la caisse, je remarque une personne qui discute avec le gérant du magasin. Un brassard indiquant « Inspection du Travail » me donne la fonction de cette personne. Je pense à ce que mon cousin m’avait dit au début du confinement et me dis que finalement un certain nombre d’entre eux a pu remplir leurs taches. Cet agent mesure la distance entre les clients et le caissier, vérifie la mise à disposition de masques, de plexiglas de protection et de gel hydroalcoolique aux postes de caisses. Je remarque dans les yeux du personnel une forme de soulagement. Dans le regard, certes un peu plus tendu du gérant, se trouve également la satisfaction de ne pas se retrouver livré en solitaire à la règlementation. L’échange est tout à fait courtois malgré l’aspect directif et pressant des questions de l’agent d’Inspection. Une cliente âgée, derrière moi, qui a fini par lire, elle aussi, l’indication sur le brassard, interpelle l’agent et lui dit « Ah ! Vous êtes de l’Inspection du travail ! Ça fait du bien de vous voir ! J’avais fini par me demander si vous existiez encore ». L’agent, au visage partiellement dissimulé par son masque chirurgical, sourit du regard à la vieille dame.
Je rentre avec la cartouche. Je trouve ma femme en train de motiver notre Titou, et de l’aider à s’organiser afin qu’elle puisse effectuer le travail demandé. Titou repart dans sa chambre, peu heureuse mais en ordre de bataille. « C’est nous les parents, qui devrions avoir droit à la prime de 1000 balles, pas les profs! Non seulement on se tape notre boulot mais également le leur! Merci pour la cartouche d’encre mon Amour ! » Conclue ma Chérie avant de s’attaquer aux messages qui pendant ce temps-là se sont accumulés comme briques en chute désordonnée dans le vieux jeu « Tétris ».
Le jeudi et le vendredi, ce sera pareil. Titou qui doit finir chez sa mère son horloge anglaise cartonnée, pour pouvoir partir avec, le lendemain chez son père, et la déposer sous enveloppe, la semaine prochaine, dans la boite aux lettres du collège, bâcle son exercice. La pression remonte. Sa mère a beau lui expliquer que les élèves sont évalués pendant le confinement sur leur implication, elle ne voit pas l’intérêt de finasser. Comment lui en vouloir. Je m’en mêle en expliquant sur le ton de l’humour que « les profs sont d’anciens fayots qui aiment les fayots, donc si tu veux les avoir à la bonne, n’oublie pas de fayotter ce qu’il faut ». Ma Titou rigole et décide d’agrémenter son « horloge bidon en carton aux attaches parisiennes » avec des gommettes anglaises et d’autres décorations. « Mission Accomplished ! ».
Il est 18 heures. Ma femme manifeste une énième fois son ras-le-bol du télétravail. « Marre d’être enfermée ! D’avoir mal au dos, aux épaules et à la nuque ! Je veux retrouver mon poste ergonomique ! Je veux voir mes copines du boulot ! Je veux rigoler le midi au resto d’entreprise avec elles ! »
Titou qui passe par là plussoit, « moi aussi, je veux revoir mes potes ».
Je zappe vers 18H30 sur les chaines d’info en continu. Pas de débat contradictoire ce soir ; que du blabla. Je manifeste pour la énième fois mon agacement devant ces bavards institutionnels. D’aucuns me sortent carrément par les yeux :
· La Françoise Degois, aussi pénible à regarder avec son nez de singe nasique, qu’à écouter avec ses brèves de comptoir socialiste, qui vantait fin février la merveilleuse organisation jacobine à la française, pérore aujourd’hui sur le monde d’après, en souhaitant une organisation jacobine mondiale à la française.
· Ou encore l’immonde Daniel Cohn-Bendit. Il y a quelque chose de tout bonnement insupportable d’assister à la moindre leçon de morale de cet ancien pédomane, qui non seulement ne s’est jamais repenti de ses turpitudes passées, mais pire, s’est contenté de les justifier, en 2001, par l’air du temps sexuel propre à l’époque d’alors, comme si tout le monde avait pataugé dans la même fange que ce porc. « Mais virez moi cette merde immonde de l’écran, bordel ! ». Je zappe ce Détritus #TuHorsDeMaVue.
Plus généralement je repense à cette vanne autodérisoire qu’un vieux pote Béninois adressait à ses congénères. Kodjo avait l’habitude de dire « je crois que pour que l’Afrique avance, il serait bon que l’on y interdise la danse pendant une génération ou deux ». J’y pense parce que je me dis que pour que mon pays avance, pour qu’il sorte enfin de la description qu’en faisait Jules César, il serait peut-être bon que l’on interdise aux plus verbeux des Gaulois, les débats d’oisifs oiseux à la télévision pendant deux ou trois générations.
Pendant que je finis de zapper en bougonnant, Chacha l’ainée, impériale comme à son accoutumée, finit d’exécuter son travail scolaire, sans un bruit, allongée à la romaine dans son lit. Une vrai ninja, furtive au possible. On l’avait presque oublié jusqu’au moment où on l’entend rire. « Les gens sont vraiment bêtes ma parole ! ». Elle conclue sa journée de travail scolaire en regardant les bêtisiers du jour sur Instagram ; scénettes qu’elle partagera avec nous après le repas.
Encore une journée tendue de passée. Et surtout un repas de plus sans verre de vin pour ma Chérie. Pendant que les filles se détendent dans leur chambre devant leurs écrans, ma femme a opté pour un bain. Sur le canapé, je me dis « j’espère que le rayon pif sera approvisionné demain ». En levant la tête par la baie vitrée du salon donnant sur le balcon, je remarque que la jeune étudiante d’en face, danse langoureusement, en lingerie, à la fenêtre.
Elle a visiblement fixé son téléphone sur l’un des ouvrants, et tout en profitant de la lumière tombante pour habiller sa pavane, elle se fait un TikTok. Il s’agit de l’une des récentes applications mobiles à la mode. Grâce à des filtres et des effets vidéo, chacun et chacune peut produire des vidéos sympas sur fond musical. Elle n’a décidément pas l’air bien futée. Sa gestuelle est ridiculement maniérée, mais elle n’est pas désagréable à regarder. Je remarque toutefois que la forme de ses fesses a quelque chose de masculin.
Au moment où je me dis qu’elle doit faire cette vidéo à destination de son homme-slip, dans l’espoir qu’il vienne ce weekend, ma femme entre en peignoir dans le salon, et remarquant où mon regard se perd, m’assène, sans le moindre coup de semonce, avec ce regard bleu acier qu’elle réserve aux confrontations armées « t’as envie de la rejoindre c’est ça ? ».
Un soupire me prend, en même temps que le constat que son bain ne l’a pas totalement détendue. Ce vendredi 24 avril a beau être la Saint Fidèle, je sens que je ne vais pas être pour autant à la fête.
Je lui réponds un truc qui se veut plus fin que la nuit du 19 avril : « les yeux sont faits pour regarder ; toutefois, regarder n’est pas admirer ; admirer n’est pas désirer ; et désirer n’est pas encore convoiter ; nous sommes tous riches de nos différents filtres ; et comme je tiendrai toujours à demeurer le plus complet possible ; ce n’est pas près de changer ; comprenne qui pourra ».
Elle a beau me connaitre, elle me regarde peu convaincue. Mon ton un peu agacé doit y être pour quelque chose. A moins que ce ne soit cette peur instinctive chez la femme d’âge mûr, d’être abandonnée par son homme, en pleine crise du milieu de vie, pour la première jeune gourgandine venue. Il est vrai que les zizis de mon âge peuvent se montrer aussi débiles que le moquait Pierre Desproges : « ce n’est pas parce que l’homme est assoiffé d’amour qu’il doit se jeter sur la première gourde venue ».
N’étant pas en état, de plaisanter ou d’argumenter, et ayant surtout pris sa scène comme une gifle, je me lève et je m’en vais chier.
Sur le trône, je me dis que pour connaitre les femmes comme si l’une d’entre elles m’avait fait, je suis certain de toute façon, que la péronnelle d’en face doit jalouser le cul de ma femme ainsi que son allure à faire tourner la tête à bien de jeunes hommes. Elle aurait bien raison de toute façon. Le cul de ma femme est bien plus bandant que le sien. Et je ne dis pas ça parce que c’est le cul de la femme dont je suis follement amoureux.
Après un gros caca, une bonne douche et quelques minutes à sécher à la fraiche sur le balcon, nous nous retrouvons, un peu en froid, un peu désolés, mais avec cette irrépressible envie de nous serrer l’un contre l’autre.
« Dans le naufrage de tout, la tendresse reste à flot » me chuchote à l’oreille Victor Hugo.
Nous nous réveillons ce samedi 25 avril comme nous aimons tant le faire, enlacés. Je me rappelle au réveil que je devais passer chez mon père. J’y vais après que nous ayons réussi à faire quelques courses, parvenant au passage à dégotter deux bonnes bouteilles de rouge. J’y vais en même temps que ma femme part déposer ses filles chez leur paternel. Nous nous engouffrons tous dans le métro, les filles lestées de leurs sacs chargés d’affaires scolaires et autres. Parmi celles-ci, le fameux Big Ben en carton.
Après nous être séparés à la station Saint Lazare, je poursuis mon chemin sur la ligne 13. Quatre faits sont à noter lors de ce trajet :
· La fréquentation de la ligne est moins monochrome ; il y a plus de Blancs que d’habitude ; il y a plus d’usagers tout simplement, signe d’une forme de reprise.
· Je n’ai toujours pas croisé le moindre policier ou contrôleur dans le métro chargé de vérifier nos attestations de circulation, ce qui en fait décidemment l’un des derniers espaces de liberté. Si je pensais, un jour, dire cela de la ligne 13.
· Pour preuve de cela, je croise une nouvelle fois, Florian, le jeune mendiant qui écume la ligne.
· Ayè ! J’ai failli tuer mon premier moustique de l’année sur la ligne 13. La présence de ce fléau marque en général l’installation des beaux jours. Là j’avoue avoir été un peu surpris. Au moment où elle s’est posée sur mon bras, allez savoir pourquoi, j’ai pensé à cette vilaine fouine d’Aymeric Caron. Mais si ! Rappelez-vous l’hurluberlu « antispéciste », qui expliquait récemment, qu’il nous fallait nous mettre dans la peau des femelles moustiques qui nous piquent, parce qu’elles « portent en elle l’angoisse de la perpétuation de leur espèce ». Je ne sais pas si ce genre d’argument d’agité du bocal conceptuel est susceptible de convaincre les millions de victimes humaines des maladies véhiculées par ce parasite volant. En tout cas, ce moustique doit la vie à Aymeric. Au moment où l’autre débile me sort de l’esprit, la piqueuse en question s’est déjà bien gorgée de mon sang. Or moi aussi j’ai des principes à la con comme Caron. A partir du moment où un moustique a pris mon sang, il devient de mon sang, or on ne tue pas les gens de son sang. Non, je déconne ! Au moment où je m’apprête à abattre ma main sur cette pompeuse, repue, cette salope s’envole. Vive Saint Aymeric, le saint patron des parasites volants et rampants. The Lord of the Bugs !
Une fois arrivé chez mon père, je constate qu’il va bien lui aussi. Comme tout le monde autour de moi, il rouspète. Pendant que je fais le ménage chez lui, il m’explique qu’il en a « plein le cul de la covid ». Je vous le réécris avec l’accent portugais. Vous allez voir que c’est plus chantant. « Lou couvid par-ci ! Lou couvid par-là ! Lou couvid partout ! J’en ai plein lou coul dou couvid ».
Il m’explique que les informatées le rendent malade. Même pas un match de football à la télé ou à la radio pour penser à autre chose. En y pensant, il est vrai que les responsables sportifs auraient pu maintenir les matchs de football et autres, au moins à huit-clos. Ces sports de compétition ont des effets cathartiques et défouloirs non négligeables pour toute une partie de la population. De plus, mon père en a ras-le-bol du petit clapotis des banalités inutiles débitées à la télévision. Comme un automatisme familial, il place l’un des mantras du clan. « Ton grand père avait pour habitude de dire qu’il y a deux grands types d’individus, ceux qui parlent plus qu’ils ne font, et ceux qui font plus qu’ils ne parlent ; là j’ai l’impression que c’est la première catégorie qui dirige ce pays ». Je suis bien d’accord avec lui.
Quelques heures plus tard, je retrouve ma délicieuse femme, souriante, un verre de rouge à la main. Je l’accompagne avec une bière portugaise, histoire de conclure le thème du jour.
Nous passons, une soirée tranquille à nous dorloter. Pas de quoi faire passer, cependant, le mal de crâne carabiné qui me tenaille la tête, ou les douleurs musculaires et tendineuses qui font parfois grimacer ma Chérie. Je souffre en silence et elle aussi.
Le silence est rompu vers 23 heures par des voix qui résonnent dans la rue. Ce n’est ni celle de Juju, ni celle de l’étudiante du dessus. Nous avons du mal à en déterminer l’origine jusqu’à ce qu’elles s’approchent de notre immeuble. « Bah ça alors ! Voilà du totalement inédit ! » me dis-je. En guise de dernière surprise du jour, deux nécessiteux mendient à tue-tête de rue en rue. Des gens ouvrent leurs fenêtres et leur tendent ou jettent des piécettes. On les entend remercier les uns et les autres. « C’est vrai! Comment faire autrement? Putain de misère! Saleté de guerre sanitaire ! » me dis-je encore.
Cette image me tambourinera les tempes une bonne partie de la nuit, et me poursuivra une partie de cette journée de dimanche, au cours de la lecture du livre que j’ai commencé hier dans le métro en me rendant chez mon père.
Il s’agit du « Je brûle Paris » de Bruno Jasienski, de la littérature apocalyptico-bolchévique ne manquant pas de poésie et assez en phase avec ce confinement. Paris, une crise économique, des espoirs contrariés, une épidémie, suivie d’une myriade de tentatives révolutionnaires. Et un jeune auteur qui passera tragiquement de ses douces et naïves rêveries communistes au glaçant cauchemar stalinien, soit, en somme, du socialisme rêvé au socialisme réel.
Alors que je lis, je remarque que je suis souvent obligé de revenir sur les paragraphes déjà parcourus. J’ai du mal à me concentrer. Je perds le fil. Je me rends compte que j’absorbe mal. Que plus globalement, j’absorbe de moins en moins ce que je lis, ce qu’on me dit, ce que je vois.
Pour me connaitre assez bien, c’est le signe que je suis fatigué et que je me ferme peu à peu afin de tenter de digérer un trop plein. « Fermé pour travaux » est souvent la pancarte qui s’affiche sur mon regard à ces occasions-là. Chose qui peut perturber mon entourage. D’ordinaire attentif à eux, à ce qu’ils disent ou font, je semble soudainement m’en désintéresser. Ce n’est pas vraiment le cas mais mon regard fermé comme une huitre donne cette impression.
Je me rends compte que mon Amour doit le constater et doit se poser des questions. Elle doit se demander si elle y est pour quelque chose ; si je lui en veux encore pour la scène de vendredi soir. Or pour ne rien arranger, en corolaire de cet état, j’ai de moins en moins envie de parler. Les mots sortent plus difficilement, plus maladroitement, font dans ce genre de cas, plus de mal que de bien. « Ferme ta gueule » est souvent ce que je me dis dans ces instants. A tort d’ailleurs car cela ne fait qu’empirer les choses.
Ma méditative torpeur est interrompue par Jean-Louis Quadrachiant qui, histoire de se faire remarquer, met de la musique à fond, des standards du jazz manouche, toutes fenêtres ouvertes. « Punaise! Quand c’est pas ses connasses de filles, c’est le père ! Qu’il est con ce Bobo! Pas moyen d’avoir un peu de calme !». Il me fait penser à tous ces adoleschiants qui se baladent dehors avec des transistors ou leur téléphone à fond, comme dans les années 70, histoire de partager avec le tout-venant, leur bon gout musical de merde. Dire que ma génération a découvert et a adopté le « walkman » justement pour gouter discrètement, entre soi ou entre potes, sans l’imposer aux autres, notre propre bon gout musical de merde. Quelle époque régressive décidément !
Avec ma femme, nous décidons d’aller faire quelques courses. Elles se font plus silencieusement que d’ordinaire. Et elle m’observe, en effet, de manière interrogative.
A 20 heures c’est moi qui observe, pour la énième fois, de façon interrogative, les gens, parmi lesquels ma Douce, qui applaudissent à la fenêtre. Ce rituel me fait rire depuis le début. Rire mais pas seulement. Il y a quelque chose de malaisant dans l’affaire. Comme d’aucuns, ma très sociable moitié, pratique ce phénomène collectif comme un rituel de sociabilité. Mais d’autres le pratiquent autrement. J’ai bien vu qu’il s’agissait pour beaucoup de voir qui était encore là dans la rue, de voir, surtout parmi les plus jeunes, s’il y a « de la bonnasse à la fenêtre ou au balcon ». Mais surtout, il s’agit non pas tant d’applaudir les soignants que de s’applaudir soi-même, un peu comme des auto-encouragements. « Allez les gars, encore deux semaines à tenir ; on peut le faire, yes! Tous ensemble! Tous ensemble! »
Lundi, nouvelle cascade de galères professionnelles pour ma Moitié. De mon côté, je m’en vais braconner sur mes terres. J’espère que l’activité de terrain me fera du bien, mais comme je rentre bredouille, ce ne sera pas le cas. Je rentre et m’affale sur le canapé ; ma femme s’y trouve déjà. Je me défoule sur les Kinder Maxi ; ma Chérie reprend un deuxième verre de rouge. Nous allumons Netflix et restons comme momifiées devant la télé une bonne partie de la soirée.
Mardi 28 avril, 17 heures. Après une journée de télétravail débutée fort tôt, j’ai la mauvaise idée de faire une pause pour m’informer au sujet des annonces que le Premier ministre devait faire aujourd’hui. Il devait présenter devant l’Assemblée sa stratégie de déconfinement. Grand mal m’a pris ! C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ou plutôt la décharge de canadair qui fait exploser le verre de la table de chevet.
Après avoir fait mousser la crise historique, qui en passant aura touché la couille gauche de bien de pays sans en faire bouger la droite ; après s’être défaussé sur les avis changeants des experts ; après s’être foutu de notre gueule en nous vendant le bobard selon lequel leur confinement aurait sauvé 60 000 vies ; notre général Doudou de la « 7e compagnie », nous présente une usine à flatulences technocratiques aussi irrespirable qu’opaque : déconfinement encore et toujours soumis au conditionnel ; en plusieurs étapes ; avec des zones rouges ou vertes ; et limité dans un espace de 100 km pendant presque un mois supplémentaire.
« Formidable ! » Voilà de quoi continuer d’entretenir le climat anxiogène et me faire penser à Clemenceau lorsqu’il constatait « qu’il est plus difficile de faire la paix que la guerre », y compris « sanitaire ».
Je bous littéralement.
« Punaise ! Chez nous, on n’a pas de Elon Musk capable de nous catapulter sur Mars, mais nous avons des technocrates qui nous pondent des propulseurs bureaucratiques à trois étages ; mais on s’en bat les rétrofusées de votre engin ! Non mais quelle bande de Charlots ! C’est pas fichu de mettre la pression sur les Chinois pour obtenir des masques gratos en mettant le nez de ces derniers sur tout le merdier qu’on leur doit ! Par contre, pour continuer de nous emmerder, il y a du monde ! Pire, ça se fait balayer par une première vague qu’ils n’ont pas vu venir, mais ça mythifie une hypothétique deuxième dans l’espoir de montrer qu’ils gèrent ! Résultat, le déconfinement s’annonce encore plus compliqué que le confinement ! Que l’on nous fournisse des masques, des consignes claires, et que l’on nous foute la paix sanitaire ! Quand vais-je pouvoir voir mes enfants ?! »
Ma femme qui m’entend pester dans la chambre vient aux nouvelles. Mauvaise idée. Elle en a plein la tête de son côté. M’écouter vitupérer contre Doudou la Flipette va l’agacer, ce qui par ricochet va m’énerver.
« Te voilà de nouveau à râler contre le Premier ministre et tout ce qui ne va pas dans le pays » lâche-t-elle irritée. Ce qui déclenche une riposte monologique massive.
« Excuse-moi d’aimer passionnément notre pays et de ne pas me satisfaire de la médiocrité ou de la lâcheté politique dans lesquelles il s’enfonce. Où est passé le génie français, notre noblesse nationale ? Où est passé ce pays de grands ingénieurs, agronomes, architectes, capitaines d’industrie ou grands commis de l’Etat, sans oublier les merveilleux jardiniers qui ont ordonné et embelli la France ? Où est passée cette farouche énergie provinciale qui irriguait naguère jusqu’aux sommets de la capitale ? Tout semble s’être dissous dans les jacasseries boutiquières des marchands de Paris. Je veux retrouver le souffle libérateur et porteur de la France de mon enfance ! Et surtout j’en ai marre de ce gouvernement de menteurs et de pusillanimes ! Dire que cette flipette d’Edouard-Philippe a déclaré qu’il ‘assumait’ ! Assumer quoi putain ! Assumer les 18 000 morts de plus qu’en Allemagne ! Assumer avec son chéquier personnel les dizaines de milliard de dette supplémentaire qu’on laissera à nos mômes ! Assumer le fait que l’histoire retiendra que non seulement la République En Marche a mis le pays à l’arrêt mais qu’elle ne sait pas comment le redémarrer ! Assumer ! Je leur en foutrais ! ».
« Ah oui ! C’est vrai que toi tu sais mieux qu’eux ce qu’il aurait fallu faire » lance-t-elle de façon cinglante
La tête en ébullition, et les yeux brillants de colère, je rétorque tout en fermant la fenêtre afin que les voisins n’entendent pas notre engueulade : « Oh là là ! Sans nécessairement péter plus haut que mon cul, je me serais peut-être contenté de faire comme les gouvernements qui ont fait mieux que nous, notamment en Asie. De toute façon je ne leur en veux pas tant d’avoir pris dans l’urgence les décisions qu’ils ont cru bonnes au vu des informations qu’ils avaient et des moyens à leur disposition. Je leur en veux de nous avoir menti, et de continuer de nous prendre pour des cons. Cela étant dit ! Si c’est pour me prendre la tête que tu es venue dans la chambre, tu aurais pu t’abstenir… »
Vindiou ! Je me rends compte à cet instant, qu’une seconde de plus et je concluais mon monologue de façon reflexe avec le tonitruant « Laisse-moi Tranquille et Sors de la Chambre ! » de Juju-la-sale-gosse.
Parvenant à préserver ma dignité de justesse, je conclue ma diatribe d’un « excuse-moi mais j’ai besoin d’aller éteindre l’incendie à la salle de bains ».
Je me lève et je vais dans la salle d’eau m’asperger le visage. Dans le miroir je contemple l’un des rats au museau griffé de l’expérience de Laborit. « Fait comme un rat », je m’assois sur le rebord de la baignoire en tentant de retrouver mon calme.
Après quelques minutes, le visage de ma femme apparait dans l’embrasure de la porte. Elle me fixe tendrement ; s’approche ; me touche le bras ; et avec ce regard que seule elle sait porter sur moi, me dit : « tes petits te manquent, c’est ça ? »
La violence de l’évidence me fait fondre en larmes. Après deux longues minutes de fuite lacrymale, je lui réponds que « Oui ! Je n’en peux plus de ne pas pouvoir les serrer contre moi ! Chaque jour qui passe, je dois faire le deuil de cet éloignement ! Je vois bien leur tristesse sur l’écran lors de nos appels vidéo et ils sentent bien la mienne ! Ils sont des éponges et moi aussi !» Elle me caresse la tête.
Je continue « l’enfermement c’est déjà pénible ; absorber tes tensions, celles des filles, ainsi que les miennes, ce n’est pas toujours évident ; ajoute à cela l’impossibilité d’évacuer mes tensions avec le meilleur outil que j’ai, la marche ; mais surtout le fait de ne pas savoir quand est-ce que je pourrais revoir mes bébés avec un déconfinement repoussé à des ‘si’, ‘en fonction de’ et ‘pas trop loin’ ; j’en ai marre de ces jean-foutre !»
Elle dépose tout doucement une série de baisers sur mon front en me disant « je n’aime pas te voir dans cet état ; je sais que cela fait maintenant plus de deux ans que tu enchaines les épreuves particulièrement difficiles ; mais je suis certaine que tu trouveras une solution ; excuse-moi de t’avoir pris à rebrousse-poil ».
Ses derniers mots me font redescendre comme dans les toboggans arc-en-ciel des dessins animés de mon enfance. Les nuages chargés d’électricité qui encombraient ma voute crânienne se dissipent. Les yeux encore larmoyants, j’esquisse un début de sourire, avant de lui dire « Je n’aime pas hausser le ton sur toi non plus ; ni te voir t’énerver ; je préfère de loin t’entendre jouir ».
Il est tellement vrai que j'exècre tout conflit avec les gens que j’aime. Ça m’écorche littéralement le cœur.
Elle me rend mon sourire et m’entraine dans la chambre afin de transformer les raisins de la colère en délicieux dessert.
Dans ses bras, résonnent en moi, ces mots du poète italien Cesare Pavese « Tu seras aimé le jour où tu pourras montrer tes faiblesses sans que l'autre ne s'en serve pour affirmer sa force ». Je me rends compte, comme jamais auparavant, que je vis enfin ce jour-là.
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