(Après le "Chapitre 1 - ça commençait pourtant bien" ... le "Chapitre 2 - Les Roses du Rhin"... le "Chapitre 3 - ça part en cacahuète"... voici le Chapitre 4 )
La première semaine de confinement fut comme une entrée en hibernation au cours de laquelle tout s’est dédoublé, mélangé, dilaté, contracté. Tout, je, tu, les sensations, les faits. Une véritable vrille dissociative. Une entrée en long sommeil que tu ritualises en appelant tes proches pour leur souhaiter bonne nuit.
"Bon confinement à toi".
"Bon confinement à toi aussi, prenez soin de vous".
On se raconte des histoires, soit qui font peur, soit plus légères. On cite Lamartine « Ô temps, suspends ton vol ! Et vous, heures propices, suspendez votre cours ! Laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours ! ». Côté suspension, objectif atteint. Côté délices des heures propices, ce n’est pas gagné !
Les trois premiers jours, tu ne sors pas, ne serait-ce même pour faire les courses. Tu préfères assister à l'abaissement de la chape de plomb réglementaire depuis le balcon de ta Douce.
Le rideau de la mise en silence administrative du pays descend, en effet, particulièrement vite sur votre quotidien, ce qui te laisse coi.
Alors, pour compenser, vous faites l'amour.
Cela dit, tu ne manques pas d'activité, si on peut appeler cela de l'activité. Ta femme ayant opté pour le télétravail dans le salon, tu transformes le lit conjugal en poste de production, dans lequel tu passes la journée avachi à tenter de régler des problèmes de logistique, de réseau, de contacts, de changements ou d’adaptation des consignes et directives.
Tout ce temps de perdu, ou du moins à la productivité très insatisfaisante, te donne l'impression d'être bien plus en téléglandouille qu'en télétravail. Non pas que tu glandes, mais tout s’embrouille. Les temps de labeur et de repos ne sont plus assez séparés pour rythmer convenablement la journée. Et le peu que tu parviens à produire correctement te donne des migraines organisationnelles.
Alors, pour compenser, vous faites l'amour.
Entre deux contre-ordres, pour t'aider à patienter, tu redécouvres tes reflexes d’adolescent, ou ceux d'étudiant, notamment l'importance de la position allongée pour lire, pour écrire, pour rêvasser. « Laisse le temps filer, laisse le temps pisser ». A ceci près que ton corps de quadragénaire aux lombaires bien entamées supporte cette position bien moins que dans ta larvaire jeunesse.
Pour compenser, les tensions persistantes ayant du bon, tu fais l'amour.
Le balcon a désormais un gout de luxe que tu savoures avec délectation. Le temps est au beau fixe en ce début de confinement. Tu y bronzes en analysant des données entre 12h et 14h. Ton Surmoi de gauche te fait dire que « nous ne sommes pas tous égaux devant le confinement », mais le Surmoi de gauche étant un vil hypocrite, tu crains subitement qu'au vu de ce constat, l'aussi vorace que gauchisante Mairie de Paris n'invente une taxe sur les ménianes.
D'ailleurs, tout à ton hypocrisie de gauche, en bronzant sur la balustrade, et en parcourant ta revue de presse, tu te mets à applaudir les Bretons qui crèvent les pneus des bobos Parisiens ayant fui le blocus dans leur résidence secondaire de la côte atlantique. Tu sais bien que les Ploucs qui crèvent les pneus des Parigots sont certainement ceux qui, dans une situation semblable, auraient agi de la même façon que les exilés viraux en question, puisque mus par la même frousse, mais bon, tu applaudis, rêvant même de six impacts de balles sur la carrosserie des covid-traitres ayant fui la capitale. Après tout, « six balles » a toujours été le tarif pour les fêlons.
Revenu de ta torpeur, aussi ensoleillée que vengeresse, sur le mâchicoulis de ta Chérie, tu te dis que c'en est assez. L'inaction physique comme le défaut d’utilité concrète commencent à entamer ta bonne humeur. Les équipes médicales sont au charbon ; les flics font le trottoir ; les caissières tiennent les tranchées commerciales ; et toi, tel un Shadok, tu pompes, tu fais d’inutiles flexions dans le salon. « Je me sens inutile et impuissant, il n’y rien de pire pour l’esprit et le corps, ça me pompe ! »
Vous êtes le vendredi 20 mars 2020. Tu contactes ta hiérarchie. Gentiment mais fermement, tu lui expliques ta façon de considérer la situation. « Je n’ai pas signé pour rester assis sur mon canapé toute la journée ; mon dada à moi c’est le terrain, c’est l’action utile ; promis je ne vous ferai pas de procès si je chope le virus ». Rassurée par ce dernier argument, ta hiérarchie t'inclue dans une équipe d'action d'urgence sur le terrain qu’elle comptait mettre sur pied avec des volontaires. "Passes lundi chercher ton kit d'intervention".
"Ouf !" tu revis un peu. "Chérie, faisons l'amour !".
Au réveil, l'un dans les bras de l'autre, vous êtes le samedi 21 mars. Tu dois passer chez mon père pour y faire le ménage et lessiver ses fringues dans le lave-linge qui est chez toi.
Les passionnants détails de l'aventure que constituera ce trajet vous seront racontés plus bas. Dans l'immédiat, il te faut faire état des conversations téléphoniques que tu as eu ce jours-là, pendant que ta Singer tournait.
Profitant du temps d'une lessive, tu appelles des proches et amis pour prendre des nouvelles de leur confinement :
- Ton frère, gérant d’une boite dans l’évènementiel tournée vers le tourisme fulmine. Il ne parvient pas à déposer en ligne son dossier de chômage partiel. Le site a implosé. Fait pour absorber 200 demandes par jour, il fait face à un tsunami de plusieurs dizaines de milliers de demandes quotidiennes. « De toute façon, j’attends encore la validation de mon dossier de mise au chômage partiel pendant les grèves de cet hiver ; ils feraient mieux de ressortir un service minitel, ça irait peut-être plus vite » ironise-t-il.
- Ton vieux Compère dans sa banlieue Nord-Ouest te fait savoir qu’ils ne sont toujours pas entrés en confinement dans son quartier. « Ils sont tous dehors comme d’accoutumée ; je sais bien que le français est une langue étrangère par ici, mais tout de même, il me semblait que confinement était devenu un mot d’usage courant ; de toute façon tant que les flics n’auront pas les couilles de venir l’expliquer, ça restera le joyeux bordel habituel »
- « Quelles couilles ?! » s’esclaffe un vieux pote à l’Intérieur juste après. « Pour l’instant, la hiérarchie se débat avec les masques à fournir aux agents pour contrôler Paris et les directives à pondre tous les jours ; leur principale utilité est de me permettre de m’endormir quand je ne trouve pas le sommeil ; dix minutes de leur prose, et paf, je ronfle ! Mais ne t’inquiète surtout pas ! Tu vas voir ! Dans quelques jours, lorsque le public se rendra compte du bordel dans les cités, les capés de la boite demanderont de pruner les lascars esseulés qui ne courent pas assez vite, histoire d’avoir des chiffres à dealer à la presse ; puis ils demanderont de ne pas provoquer les Banlieues lorsque les premiers feux de mortier se mettront à grêler sur les gyros des rondouillards (voiture de ronde), parce que comme toujours, les tauliers se mettront alors à se chier dessus ».
- L’une de tes cousines travaillant dans un hôpital de la banlieue Nord-Est, face à la pénurie de protections, te raconte sur un ton halluciné, avoir demandé à son mari, œuvrant dans le BTP, s’il pouvait leur procurer des masques de protection respiratoire. Celui-ci, en mobilisant son réseau, a fourni à l’hôpital des tenues de désamiantage ainsi que des blouses et des masques de peintre en carrosserie. « Il faut dire que pas mal de collègues abusent ; entre les soignants qui enfilent trois blouses pour mieux se sentir protégés et les jeunes qui se portent pâles pour éviter d’attraper le virus, je ne t’explique pas le bazar ; je leur ai dit qu’ils me faisaient penser à des soldats qui s’engagent pour la solde mais pas pour faire la guerre ; mon propos leur a semblé bizarre ».
- Ton cousin travaillant à l’Inspection du travail rit jaune. Il en a gros sur la patate. « Tu te rends compte ! Les personnels soignants ou garants de l’ordre sont sur le pont, les caissières et d’autres salariés, mais aussi les employeurs sont au front, et de notre côté, notre hiérarchie ne nous veut pas sur le terrain ; elle veut que l’on contrôle les conditions de travail par téléphone, tels des ronds de cuir qui depuis Paris appelleraient les soldats sur le champ de bataille pour leur demander si leurs casques leur semblent aux normes ; tout ça par crainte que les agités du bocal syndical foutent la merde dans les entreprises ou assignent nos hiérarques en justice pour mise en danger des agents… »
« A ce sujet, tu te rappelles des deux-trois jobards borderline que j’ai au bureau, notamment du peigne-cul-syndical atteint du syndrome de l’imposteur, qui passe ses journées à jaboter tout en se frottant le nombril au sens propre comme figuré dans l’espoir d’impressionner les quelques oies blanches du service… »
« Eh bien ce Jean-foutre à la gueule aussi grande que le cul, pour justifier de ne pas avoir à effectuer ses missions, après nous avoir fait tout un numéro ridicule sur les masques pas aux normes et sur la nécessité d’un gel hydroalcoolique de compétition agissant en trente secondes, au prétexte que les gens ne se frottent pas les mains pendant une minute… a trouvé un magnifique pipeau pour se planquer… »
« Il a dit à son chef qu’il était réquisitionné par la Protection civile, le tout sans pièce justificative, et ça a marché, alors que pas grand monde n’est dupe ; Je serai à jamais fasciné par ces gens qui parviennent à croire qu’un individu qui ne fout rien de bon devant tes yeux puisse verser dans l’extraordinaire dans un autre cercle… »
« Or comme il a dû raconter côté Protection civile qu’il était surmobilisé au boulot, il a pu faire croire à sa gentille femme qu’il était réclamé de toutes parts, histoire d’avoir, comme à son habitude, des bonnes excuses pour aller picoler avec ses très rougeauds petits camarades… »
«Ce que je peux mépriser cette engeance aussi hypocrite que détestable ! Enfin j’en veux surtout à notre hiérarchie de flipettes bureaucratiques qui nous assignent à domicile, alors que nous sommes une large majorité à vouloir agir avec discernement afin de protéger les salariés mais aussi l’activité des entreprises ; Nous sommes là pour protéger bordel ! C’est maintenant que notre présence est plus qu’indispensable, que les salariés ont besoin de nous avoir à leurs côtés ! ».
Lui demandant ce qu’il compte faire, il te répond « je vais continuer à stocker des cacahuètes ». Devant ton rire d’étonnement, il précise « comme le disait Jean-Claude Vandamme, la cacahuète c’est l’énergie perpétuelle à la portée de l’homme ; or je sens que je vais en avoir besoin ».
Frousse gouvernementale, absurdité kafkaïenne, tatillonnerie administrative, corsetage des forces vives, paralysie par les jean-foutres, voilà particulièrement bien brossé par tes proches le tableau dans lequel vous êtes enfermés. Enfin, tes proches vont bien et c’est bien là l’essentiel.
Le lendemain tu te réveilles tôt, du moins involontairement. Une odeur vous assaille par les fenêtres extérieures. Quelque chose qui tiendrait du parfum de chaussettes d’adolescent, portées pendant une semaine, puis affinées six mois durant dans un vestiaire de piscine. Les voisins d’à côté, au demeurant sympathiques, ont significativement accru leur consommation de beuh depuis le début du confinement. Ils viennent d’allumer leur premier splif de ce dimanche 22 mars.
Dormant nus, faute de pyjama de nuit, vous enfilez les pyjamas de jour que vous avez adopté depuis votre enfermement. Vous déjeunez et passez la journée sur la chaine Netflix avant de vous rendre compte qu’une nouvelle série s’annonce plus prenante encore, celle de la vie des voisins.
La dose de cannabis semblant insuffisante pour les étourdir, les voisins d’à côté, bien qu’hébétés par la beuh, s’égueulent quand même. Ce ne sont pas les seuls. La famille de bobos de l’immeuble d’en face, au même étage que vous, s’y met également.
Cette famille de quadras, aux trois filles de 12, 14 et 16 ans, vous offrent déjà des spectacles occasionnels hauts en sons et lumières, spécialement lorsque les gamines profitent des escapades de leurs parents pour organiser des soirées musicales endiablées entre écoliers, et ainsi tenir toute la rue éveillée tard le soir. En substance, des emmerdeuses ordinaires. Avec le confinement ce sera un festival, le festival de la famille Quadrachiants, un clin d’œil à l’émission américaine de téléréalité qui a rendu célèbre les Kardachian : avec papa Jean-Louis Quadrachiant, professeur de son état à la mine du bobo mou ; maman Micheline Quadrachiante, glandant au ministère de la culture et aux allures de rombière dépressive ; sans oublier Gabi la Loli de 16 ans, Gaga la Sournoise de 14 ans, et la Grosse Juju de 12 ans, dont vous allez de suite connaitre l’origine du surnom.
Depuis le début du confinement, en plus de ses bains de soleil en tenue sexy, Gabi la Lolita se manifeste vers 18h par de régulières sorties du domicile en loucedé et en capuche, non pas à des fins alimentaires mais ludiques, ne récoltant pour tout recadrage parental qu’un mollasson « tu es sortie sans attestation, c’est pas bien ! » ; Juju s’illustre pas ses journées passées sur son téléphone portable, ses crises de nerf régulières, et l’absence totale de travail scolaire malgré un père professeur aux sempiternelles menaces non suivies d’effet « si tu ne fais pas tes devoirs, je devrais te confisquer ton portable » ; et Gaga se faisait jusqu’à présent remarquer par sa discrétion et l’aide domestique qu’elle apportait à ses parents, celle-ci accrochant souvent le linge lavé au balcon, ou mettant la table, les Quadrachiants aimant déjeuner et diner au balcon.
Or ce dimanche midi, Juju hurle et pleure à tout rompre, annonçant urbi et orbi tout en couinant « elle m’a traité de grosse pute ! Snif ! Snif ! Papa ! Elle m’a traité de grosse pute ». Certes Juju, se plait parfois à exposer, le soir venu, lumières allumées et rideaux ouverts, sa nudité gironde d’adolescente en manque d’attention et certainement mal dans sa peau, mais enfin tout même ! Qui peut bien être à l’origine d’une telle infamie ? Comme l’avait pressenti ma Sherlock Holmes de femme, à qui cette apparente perfection semblait suspecte, Gaga la fayotte est la coupable ! Gaga la Sournoise a manifestement pour malin plaisir, celui de provoquer sa petite sœur afin de l’entendre hurler puisque la petite Juju vocifère jusqu’à six fois par jour « sors de ma chambreuhhh ! Laisse-moi tranquilleuhhhh ! ».
Bref ce dimanche midi, tout le monde gueule. Du coup, pourquoi pas vous.
L’une des chaines d’infos diffuse un reportage sur la prise d’assaut des rayons de supermarché. Une mamie, toute ébouriffée, raconte qu’elle a rempli son cadi au hasard de ce qui lui passait à portée de mains ; et une Jacqueline à bigoudis de quartier pavillonnaire de province, toute apprêtée pour ses courses du dimanche, explique avec une fierté de fée du logis des plus ridicules, qu’elle va remplir les congélateurs de la maison avec des pizzas, des steaks hachés et des légumes surgelés.
Ta femme aux mœurs urbaines, outrée par ce comportement de sauterelles, manifeste sa stupéfaction. C’est là que tu en profites pour porter l’estocade. Tu hausses le ton, et sur celui de la dispute tu assènes :
« Bah oui ! Mais c’est à cause de ce genre de comportements hautement civilisés, que les vilaines suburbaines à la Jacqueline, perpétuent leurs gènes de criquets au détriment de ceux des jolies Elfes dans ton genre. En cas d’effondrement généralisé, avec ses coffres de congélation pleins, elle assurera la survie de sa Bidochon de famille, alors que ta descendance sera emportée par la famine. C’est nul ! »
« Quoi ! » lâche-t-elle avant de réaliser, à ton air coquin, que tes velléités de querelle n’étaient que du chiqué, et donc de sourire. Tant pis, ce ne sera pas ce jour-là que vous vous engueulerez. Retour sur Netflix.
Il n’est pas loin de minuit lorsque tu te dis, sous les vapeurs voisines du dernier splif du soir, « demain, retour au bercail professionnel, ça va faire du bien ». Du balcon, tu vois s’arrêter au coin de la rue un scooter noir, conduit par un Noir en jogging noir qui remet à une ombre noire un sachet noir. « Tiens, les dealers s’adaptent, ils livrent à domicile maintenant ».
Ce ne sera pas le seul Noir que tu verras dehors.
Ce lundi matin, tu montes à La Fourche dans ta rame de la Ligne13. Tu te dis qu’elle a été désinfectée puisque à l’odeur de bile habituelle se mêle celle de l’eau de javel. Hormis ta face de Babtou, les autres occupants sont Noirs, hommes comme femmes. Ils ont tous l’air de soldats qu’on conduit par le chemin des dames, ou plutôt des rames, à l’abattoir du devoir à accomplir aux rayons des superettes, dans les entreprises de nettoyage, de sécurité, d’aide à la personne, ou en milieu hospitalier. Les regards sont vides, pour mieux cacher leur inquiétude. Ou plutôt livides. Bienvenue à Zombiland !
Un jeune homme se démarque de ce tableau. Il s’agit d’un jeune Africain à l’air inquiet qui est monté dans le métro avec son vélo et sa sacoche « Uber Eats ». Tu en déduis que c’est un « sans papiers » et qu’il espère ainsi échapper par le métro aux contrôles de police en surface. Tu penses subitement à toute la main d’œuvre de la restauration comme du BTP, qui faute de déclaration, va se retrouver sans les allocations du chômage partiel, donc sans moyens de vivre. Cette perspective te glace. « Quelle Misère ! »
Au vu de ces visages, tu penses aux tenants de la théorie du « grand remplacement » qui ne se montreront certainement pas outrés par ce « petit remplacement » dans le métro, comme aux caisses des supermarchés. « Hypocrite engeance nationaliste ! » lâches-tu dans ton étole de « potterhead » aux couleurs de Gryfondor qui te sert de masque.
Pendant que le petit bourgeois du tertiaire fait son jogging d’un pas léger, avant sa journée de télétravail, en sous-face le petit peuple immigré à la peau sombre affronte la peur ambiante et l’ennemi invisible pour assurer, entre autres, les sorties alimentaires de tout ce beau monde.
Tu te demandes qui célèbrera ces « héros du quotidien ». En attendant cette célébration, dorénavant, tu concluras chaque sortie alimentaire en remerciant sincèrement « d’être là » le « héros ou héroïne du quotidien » que tu croiseras en caisse.
Le seul Blanc que tu rencontreras ce matin-là, sera Florian, un jeune SDF qui, à l’évidence, écume la ligne 13 toute la journée, étant donné que tu le retrouveras à chacune de tes virées.
Revenant aux joggers que tu as croisés en entrant comme en sortant du métro, tu te dis qu’il faut vraiment avoir l’esprit-totem d’un hamster à roue pour nourrir le dessein de courir ou ne serait-ce se balader dans des rues à l’ambiance aussi morbide. Plus rien ne sent réellement la vie dehors. Toi qui as besoin de tes 15000 pas par jour, tu n’as aucune envie de t’y promener, ni de t’y attarder. Toutefois tu es loin d’imaginer à quel point ces petites foulées ont pu émouvoir le sommet de l’Etat.
Effectivement, la journée de travail au bureau te fera autant de bien que l’allocution de Premier ministre t’énervera. Doudou a encore pété une durite vers 16 heures, l’heure de ses crises habituelles. Il a décidé de changer une fois de plus les règles du « loft story national » dans lequel vous êtes tous enfermés. Les amendes seront alourdies et il vous faudra indiquer vos heures de sortie sur l’attestation dérogatoire, rendant les précédents formulaires non règlementaires mais toujours utilisables par respect de l’environnement.
Blague attestataire mise à part, tu t’inquiètes de nouveau de la possibilité ou pas de porter assistance à ton père, et surtout de l’attitude des flics susceptibles de contrôler tes motifs de déplacement. Depuis le début du confinement, certains keufs à l’esprit automate s’illustrent par l’appétit ectoplasmique de bouffer le tout-venant se trouvant à portée de carnet à souche. Et contrairement au ministre des Comptes publics qui n’est pas à 200 euros de resto près, tes 135 boules, tu y tiens.
Parallèlement, tu entends dire que les conditions de déplacements pour garde d’enfants seront durcies, que ceux-ci seront interdits au-delà d’un certain périmètre. Le temps que tu apprennes, après différents sons de cloche, qu’il n’en était rien, face à la complexité d’une expédition de plusieurs centaines de kilomètres dans laquelle tu n’es pas seule partie prenante, tu décides avec leur mère, d’annuler ton weekend garde-d’enfants dans le Morbihan et leur déplacement pour les vacances de Pâques ; ta fille ayant par ailleurs, avec la psychose ambiante, une peur bleue de se rendre sur Paris. Cela te fend le cœur.
Résultats des courses, c’est le cas de le dire : les joggers ont une nouvelle attestation à remplir ; ton père s’inquiète de se retrouver seul et toi de ne pas pouvoir l’aider ; tes enfants se sentent à l’abandon et toi impuissant noyé dans la culpabilité. Au comble de la frustration, tu lâches un « je déteste les cacas nerveux de ce gouvernement et leurs changements de règles qui mettent tout le monde à cran ! ».
Désormais ta principale crainte sera les sautes d’humeur du Premier ministre.
Bref ce lundi se finit aussi mal qu’il commençait bien ! Le reste de la semaine se poursuivra dans la même détestable veine.
Professionnellement, elle sera frustrante pour toi et pleine de tensions pour ta moitié que tu entendras pester, dans le salon tout le long de la journée, contre la logistique qui ne suit pas ce qui lui est demandé.
Tes belles filles connaitront les joies de l’école en ligne, faites d’un ordinateur pour deux, de plantages récurrents et de professeurs qui, pour tuer l’ennui comme leur intrinsèque besoin de corriger des copies, les noieront sous les devoirs sans explications pédagogiques préalables, ou alors sous des « projets pédagogiques » aussi chronophages que débiles, activités scolaires qu’il te faudra exécuter avec elles.
De l’autre côté de la rue, la Grosse Juju te gratifiera de ses six hurlements à la mort journaliers, à quasi heure fixe. Et tes propres enfants te manqueront terriblement.
Pour bonus, toi qui dors généralement comme un gros bébé, tu connaitras tes premiers troubles du sommeil.
Alors, en ce vendredi 27 mars, 18 heures, pendant que ta Douce emmène ses filles chez leur père de l’autre côté de Paris, tu es aux toilettes. Tu penses à tes mômes.
D’un côté tu es très heureux de gouter à un semblant de vie familiale avec ta femme et ses filles, d’autant plus que ta moitié t’associe bien plus à leur éducation que ne le faisait la mère de tes propres enfants, et que cela se passe bien au-delà de ce que tu pouvais l’espérer, les filles apportant énergie, tendresse et joie de vivre lorsqu’elles sont là.
De l’autre côté, tu as beau n’y être pour pas grand-chose, tu t’en veux de ne pas pouvoir être un soutien pour tes enfants ; tu vis un conflit de loyauté entre tes enfants et ceux de ta compagne ; tu sais que c’est absurde mais c’est un mécanisme humain automatique.
Alors tu te mets à chialer dans les chiottes la tête baissée sur tes couilles pendantes, puis tu les sèches, tes larmes comme tes couilles.
« Quel merdier ! » Enfin, contrairement à ta femme de plus en plus bloquée intestinalement, la situation a du moins, pour toi, quelques vertus laxatives. Après t’être lustré avec le papier-hygiénique à la quasi valeur de papier-monnaie, une idée te vient, qui illustre en passant le combat entre le principe de vie et celui de morbidité. L’Eros versus Thanatos.
Tu prends une petite paire de ciseaux et tu te mets à tailler méticuleusement tes poils pubiens, avec une attention toute particulière pour ceux couronnant tes bijoux de famille. Pour t’être coupé une fois, et ayant eu ainsi l’impression de passer une lame coupante sur une baudruche au contenu d’une valeur inestimable menaçant de faire pschitt, tu t’appliques, poil par poil, avec la minutie d’un maniaque asiatique.
Pour faire passer l’impression du danger, tu imagines les délicieuses caresses de la langue que ta femme y appliquera lors de vos jeux amoureux, ceux plus débridés auxquels vous vous adonnez quand les filles ne sont pas là. Ses délicates étreintes buccales, précèdent souvent les tiennes, certes suaves mais bien plus goulues. Tu n’aimes rien tant que la voir s’agenouiller sur ton visage et t’appliquer sur ses lèvres jusqu’à sa jouissance, tout en pétrissant son magnifique petit cul de déesse gauloise et en caressant une poitrine mature dont le galbe ferait pâlir de jalousie bon nombre de jeunes femmes. Bien des sexes féminins ont un gout acide ou âpre. Celui de la tienne a pour toi, la douceur comme la saveur d’une gousse de vanille, ton plus grand plaisir étant de recueillir la liqueur qui perle sur tes lèvres lorsqu’elle se livre sur ta bouche.
Après tes larmes aux sanitaires, la soirée fut effectivement bien plus douce. Tu accueilles ta femme en la couvrant de baisers dès l’entrée et en lui susurrant dans l’oreille « Epona (ancienne déesse gauloise équestre de la fertilité) chevauche-moi que je me délecte de tes seins ».
Alors que tu t’endors, la porte du sommeil s’ouvre sur ces paroles d’Ernest Hemingway « As-tu déjà fait l'amour avec une vraie merveille de femme ? Et lorsque tu fais l'amour avec elle, ressens-tu une véritable et belle passion qui, au moins pour ce moment, te fais oublier la peur de la mort ? Je pense que l'amour vrai et authentique, crée une trêve de la mort. Penses-y ».
Des paroles auxquelles tu repenses en regardant ta merveille de femme se réveiller, et qui ont pour effet de te mettre d’en train pour l’aventure de cette journée. Celle qui vous était annoncée plus haut. En ce samedi, tu dois traverser Paris pour te rendre chez ton père.
Ne rigolez pas ! Ce Fouettard de gouvernement est à ce point parvenu à criminaliser le moindre déplacement des honnêtes citoyens, que le fait d’aller porter assistance à ton paternel revêt presque les allures d’une mission pour les services secrets.
Après avoir rempli ton attestation avec les précautions d’un démineur d’explosifs, tu files vers la bouche de métro la plus proche en regardant au loin s’il n’y a pas quelque revenant à carnet-à-souche de posté au coin de la rue. Arrivé du côté de chez ton paternel, tu prends les petites rues ne disposant pas de caméras de télésurveillance, et tu marches sur les trottoirs à l’ombre. Ta mission accomplie, en reprenant le métro retour sans une prune à 135 euros, tu soupires de soulagement comme si tu rentrais intact d’une mission en Afghanistan ou pire d’une ville infestée de morts-vivants.
C’est d’ailleurs dans ce métro que tu écoutes, sans y faire attention, à la radio, le titre qui donnera le nom de ce chapitre.
Ce titre te reviendra en mémoire, quelques semaines plus tard. Dans une interview, Jean-Louis Murat y traite la jeune chanteuse Angèle de « Chantale Goya 2.0 », chose qui t’a bien fait rire.
Cette jeune bêcheuse de la variétoche franco-belge te fait marrer. Après un premier titre sympathique aux sonorités eighties, elle t’avait hérissé le poil avec son pseudo titre féministe « balance ton quoi », où elle joue tout à la fois les procureur-juge-et-rééducatrice-de-la-gent-masculine et dont les paroles commencent par « ils parlent tous comme des animaux ». Des propos généralisateurs sexistes dignes d’un vulgaire rappeur qui commencerait un morceau merdique par « elles se comportent toutes comme des putes ». Dans son dernier titre « tout est devenu flou » elle se plaint du fait que sa célébrité a rendu sa vie floue. Un titre bien à l’image de cette génération aussi egocentrique que geignarde et de ce qu’est devenue l’industrie musicale.
Qui aujourd’hui pour nous servir une tranche de « bonheur », à part Jean-Louis Aubert ? Qui pour nous offrir un instant « d’éternel optimisme » en dehors de Mister Mat ? Et ne parlons pas de ce souffle de Liberté que l’on ne retrouve plus que dans notre discothèque estampillée années 70 ou 80.
Désormais ne nous sont envoyés aux esgourdes que névroses, egotrips et sermons à deux balles, sans la moindre touche de génie. Epanchements pathologiques pour lesquels tu refuses de payer. Après tout, chez le psy, ce n’est pas celui qui écoute le malade qui paye.
« Tout est devenu flou », un titre à l’image d’une époque aux valeurs et concepts devenus particulièrement flous. Un titre qui illustre bien la situation ambiante.
Enfin, flou ou pas, en rentrant de cette « aventure, tu te dis « mission accomplished ». Puis Vous faites l’Amour. C’est déjà ça !
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