(Après le "Chapitre 1 - ça commençait pourtant bien" ... le "Chapitre 2 - Les Roses du Rhin"... le "Chapitre 3 - ça part en cacahuète"... le "Chapitre 4 - tout est devenu flou"... le "Chapitre 5 - la comédie des pouvoirs"... le "chapitre 6 - quand les masques tombent"... voici le chapitre 7 de votre feuilleton sanitaire estival )
L’autopsie au marteau piqueur de nos facteurs de morbidité culturelle, ayant été effectuée, traitons du positif. Oui ! Laissons de côté les hypocondriaques, les pusillanimes, les bureaucrates, les vieux messieurs bavards des plateaux télé, et tous ceux qui cherchent à illustrer ce vieux constat de Fréderic Bastiat au sujet de l’Etat, cette « grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde ». Soulignons plutôt ce dont nous pouvons être fiers :
Notre bon sens, celui de la solidarité, notre capacité d’initiative, notre volonté de faire, notre ingéniosité, notre vitalité bien française.
Une fois compris que les autorités avaient failli, nous sommes arrivés à cette même conclusion formulée, en d’autres temps, par le président américain Ronald Reagan « dans la crise actuelle, l'État n'est pas la solution à notre problème ; l'État est le problème ». Or si l’Etat est le problème, la solution c’est « Nous ». Nous nous sommes donc désynchronisés des mauvaises vibrations émises par le gouvernement, pour nous prendre en main, en nous focalisant sur la responsabilité individuelle et la solidarité collective.
« Nous » avons redécouvert l’autogestion. Tout était en mode « auto » d’ailleurs.
Les premiers concernés, à savoir, les personnels soignants, ont fini par envoyer bouler les carcans administratifs qui corsetaient leur capacité d’action. Ce faisant, ils sont parvenus à accomplir ce pour quoi ils sont faits, sauver des vies. Sauver des vies, avec les moyens du bord, en recourant à la solidarité, en improvisant des solutions, en faisant preuve d’un engagement total.
Quant au commun des mortels, il aura expérimenté l’autodiscipline, l’auto-travail, l’autoformation, l’auto-information, l’autoprotection, l’auto-divertissement, le tout relevé d’une bonne dose d’autodérision.
L’humour aura été une sacrée médecine douce. Dès le début du confinement, un feu nourri de blagues s’est mis à fuser sur les réseaux sociaux. Cette pluie de mèmes a commencé avec les amusants « ordres de mobilisation générale à rester sur son canapé ». Puis parmi ceux qui m’ont le plus fait rire, nous aurons eu :
· « D’habitude le matin, je prends mon café au bar ; or ce matin je l’ai pris avec ma femme ; elle a l’air sympa »
· « Une pensée pour les maris infidèles qui devront rester enfermés avec leur femme pendant plusieurs semaines »
· « Troisième jour de confinement ; ma femme me dit d’aller faire un tour ; et qu’elle paiera l’amende »
· « Bien des parents sont en train de comprendre que le problème n’est pas l’enseignant »
· « Je vous assure que si les écoles restent fermées trop longtemps, les parents trouveront le vaccin avant les scientifiques »
· « La voisine gueule tellement fort sur ses gosses que moi aussi j’ai fini par ranger ma chambre »
· « Si on m’avait dit qu’un jour j’aurais dû me signer un mot pour m’autoriser à sortir de chez moi »
· « Confinement, je ne sais pas si nous en sortirons plus grands ; mais une chose est sûre, c’est que nous en sortirons plus gros »
· « Qu’est-ce qu’on était contents, le 31 décembre, tous à fêter l’arrivée de cette année de merde ! »
De mon côté, avec des proches, nous nous sommes lancés dans un concours de contrepèteries. Pour les amateurs voici notre compilation. Faites-vous plaisir, c’est gratuit :
· Incroyable! En ce 30 mars, on m'informe que notre gouvernement « arrive à pied par la Chine ». Il est vrai qu'avec ce confinement, on ne parle plus que « de pâtes et de Chine »...
· Le « poids de la Chine dans la prospection du germe suscite une thèse aberrante ». D'aucuns racontent qu'au tout début : « le germe a contaminé la suspecte dite "patient 0" ». Et que depuis: « quand elle se mouche elle tousse ». Son mari s'en est alors allé voir le médecin disant : « docteur, voyez mon grand souffle ! - seul le jus de sapin apaise mon angine - j'ai grand besoin d'un vaccin dans les régions où je me trouve en ce moment ». Le docteur lui répond que « un parasite s'est figé dans le vaccin » mais que dieux merci, « la chirurgienne a les mains sûres ».
· Dans le BTP, ce début mai, on sent bien que le promoteur a très envie « de pétrir le béton à la tonne ».
· Les « analystes poussent au relâchement social », au cri de « les berges sont à vous » !
Ce qu’elles ont pu faire comme bien, toutes ces blagues échangées sur les réseaux sociaux.
« Réseaux sociaux ». Ils n’ont jamais autant mérité leur nom que pendant cette période de confinement. Ils ont souvent été les garants du lien. Ces outils numériques nous ont permis de garder attache, d’échanger nos humeurs, des conseils pratiques, et des informations.
Pendant que la télé débitait des discours aussi formatés qu’une norme pondue par un crane d’œuf de la bureaucratie européenne, les « réseaux » élargissaient le canal d’information. Le sens critique nous aidant à faire le tri entre le bon grain et l’ivraie, sur internet comme sur les médias ayant pignon sur rue. Cela fait d’ailleurs plus d’une quinzaine d’années que j’ai pu ainsi quitter le carcan informatif franco-français grâce au Web.
J’ai de fait la chance d’appartenir à cette génération intermédiaire qui a connu à la fois l’émergence de la pluralité médiatique à partir des années 80 et qui a bénéficié d’un bagage scolaire de qualité suffisante pour lui permettre de déterminer à peu près ce qui tient la route sur un vaste champ informatif.
A contrario, de la génération ORTF (ancienne télévision d’Etat) pour qui tout ce qui sort d’un canal est une vérité certifiée, et des plus récentes générations qui avalent beaucoup trop de choses sans le moindre filtre, ni vérification.
« Je l’ai vu sur Youtube » est effectivement une phrase que j’entends aussi bien dans la bouche des ainés découvrant Internet, que chez nos gamins aux cerveaux déformés par la société et le délabrement scolaire, sans oublier les cancres de ma propre génération.
Bon ! Ce n’est pas pour autant qu’il ne m’arrive pas de prendre des vessies pour des lanternes, mais cela m’impose tout du moins une démarche informative plus active que passive.
Quoi qu’il en soit, j’ai pu accéder, sur les réseaux, à des analyses, à des synthèses sur les débats médicaux ; visionner les vidéos non tronquées du professeur Didier Raoult et me faire ainsi ma propre opinion ; ou encore découvrir certains travaux de l’anthropologue médical suisse Jean-Dominique Michel dans lesquels il questionne aussi bien la réelle portée de cette épidémie, tout sauf apocalyptique, que les enjeux politico-industriels-pharmaceutiques qui peuvent se jouer dans cette crise sanitaire.
J’ai pu également me tenir informé en temps réel des actes de vandalisme, de pillage, d’affrontements entre bandes rivales, de guet-apens, d’attaques de commissariats dans les quartiers couardement abandonnés à la voyoucratie ; mais aussi des consignes données à la police visant à « laisser les dealers tranquilles » (le 3 avril à Marseille) ou à « éviter les émeutiers ». Des faits dénoncés par Linda Kebab, la remarquable syndicaliste policière à la République chevillée au corps ; notamment dans son tweet du 22 avril : « Ordre sur les ondes police - suite au phénomène de violences urbaines (#Emeutes), il y a lieu d’éviter tout contact avec les perturbateurs (le mot pour délinquants) – mais verbalisez bien les braves gens qui vont faire une course sans attestation #Covid19france #lâcheté #honte ».
J’ai appris de surcroît que les cas de Covid19, et la mortalité qui va avec, étaient 60% plus importants dans les quartiers populaires, notamment ceux de Seine-Saint-Denis, que dans les beaux quartiers des départements environnants : moins de télétravail ; plus d’emplois exposés, ou nécessitant la prise des transports en commun ; promiscuité plus importante dans des appartements où logent trois générations ; et une jeunesse écervelée qui allait souvent se contaminer en faisant n’importe quoi en bas de la cité avant de ramener le virus dans le foyer. Voilà de quoi expliquer ce fait.
Oui ! De l’humour, de l’information, du lien nous ayant permis de faire face au reste des évènements…
Etant arrivés à la conclusion, malgré le discours gouvernemental, que le masque était la solution, nous nous sommes débrouillés pour nous en procurer. Dès le début du confinement, en dépit de l’interdiction de leur mise en vente, les visages portant des masques, qu’ils soient chirurgicaux ou de chantier, était nombreux aussi bien dans la rue que dans les magasins. Nous avons été un certain nombre à en déduire qu’il y avait un marché noir du masque respiratoire. Il faut dire, que des petits malandrins les volaient dans les hôpitaux, dans les entrepôts de banlieue, ou directement dans les véhicules des personnels de santé, avant de les revendre sous le manteau.
Ne mangeant pas de ce pain-là, j’ai utilisé un bon vieux chèche de l’armée pour protéger mes voies respiratoires lors de mes sorties. Après tout, s’il filtre l’eau dans la jungle et protège du sirocco, il doit faire l’affaire face au coronavirus.
D’autres débrouillards, grâce à des tutos échangés sur Internet, ont appris à faire des masques en tissu, avec des chaussettes, avec des filtres à café « Melitta », et même à coudre des masques. Mon énergique belle-mère nous a confectionné un jeu de masques pour chacun d’entre nous.
Et parce que nous sommes Français, nous avons tenu à donner de l’allure au port du masque, soit en pendentif à l’oreille gauche pour les plus dénués de dignité, soit en bracelet au poignet chez les gens de gout.
Face à l’inefficacité gouvernementale, la débrouille et l’entraide sont devenus les facteurs clefs. Entre amis, nous nous appelions plus souvent que d’ordinaire, afin de vérifier si tout le monde allait bien, si l’un d’entre nous avait besoin d’aide, de quoi que ce soit en particulier. Bien des gens firent les commissions pour leurs voisins.
Dans certains quartiers, des habitants se sont même mis à faire les courses pour les personnels de santé de leur voisinage « puisque vous passez vos journées à prendre soin de nos malades, nous avons décidé de faire vos provisions pour vous permettre de vous reposer ». J’ai trouvé cette initiative magnifique !
En parlant de courses…
Ah ! Si Edouard Philippe apprenait que les sorties au supermarché étaient parfois l’occasion de revoir des proches. « Rendez-vous au Carrouf (petit surnom affectueux pour l’enseigne Carrefour) à 16 heures, rayon huile d’olive et vinaigre ». Non seulement il fallait bien en faire des réserves, pour mieux assaisonner les salades que le gouvernement nous servait. Mais surtout, vu que l’on risquait de se faire verbaliser bêtement pour avoir discuté avec un proche dans la rue, autant le faire à l’abri des rayons. Après tout, la largeur des allées commerciales permettait de préserver les gestes barrières. Hi! Hi! Hi!
L’adaptation est toujours la clef de l'évolution ! Et le moins que l’on puisse dire c’est que la majorité d’entre nous s’est bien adaptée.
Nous nous sommes adaptés au télétravail. Adaptés car ce qui s’annonçait une facilité, ne le fut pas vraiment. Petite démonstration :
Il est 6h30, tu te réveilles d’humeur peu enthousiaste malgré le son funky de la sonnerie de ton téléphone. Tu tentes de chasser cette disposition d’esprit en plongeant le nez dans les cheveux de ta femme. C’est pire encore. Ce doux parfum agit comme une fragrance de paradis te donnant tout sauf envie de rejoindre la réalité. Vous vous agrippez l’un à l’autre. « Je ne veux pas y aller ; et si on restait sous la couette ». Le sens du devoir est le plus fort. Vous vous laissez tomber du lit.
Les commissures des yeux encore pleines de croutes du sommeil, tu allumes ton ordinateur afin de faire partie des premiers à se connecter au réseau de la boite, faute de quoi tu passeras ta journée à ramer sur ta galère électronique. « Le monde confiné des télétravailleurs appartient à ceux qui se lèvent tôt ». Tu allumes ta cafetière et tu vas prendre ta douche avec cette remarque autodérisoire en tête. En peignoir et le café du matin encore brûlant, tu sautes à yeux-joints dans le halo lumineux de ton écran d’ordinateur. Voilà ton nouveau rituel de début de journée.
Très étrangement, se met à poindre le regret des couloirs du métro et des rames bondées qui, mine de rien, s’avèrent être un sas utile de compression matinale et de décompression vespérale, entre ton domicile et ton travail.
La matinée se poursuit, entre le silence de ta solitude électronique et les manifestations de désarroi de tes gamins en autoformation. Le cliquetis de ton clavier marque le pas des secondes. Et les plantages de ton ordinateur comme de celui de tes gosses, rythme non pas les récréations, mais les pics de frustrations. Contre mauvaise fortune bon cœur, tu mets à profit les bugs informatiques pour appeler tes collègues afin de glaner des consignes, partager tes difficultés ou maintenir le lien.
Il est midi. Tu manges devant tes tableaux de reporting, avec la télé dans le dos dans laquelle les mêmes pantins mâchent le tout dernier ballot de foin gouvernemental. Si tu laisses la téloche allumée, c’est parce que tu espères quelque chose de tonitruant ; la découverte d’un vaccin ou la fin anticipée du confinement. Mais non, rien ne se produit. Tu finis par ne plus prêter attention aux speakerin(nes) qui mâchent dans leur coin.
L’après-midi est du même acabit, et le soir venu, alors que le ras-le-bol se fait sentir, ainsi que les douleurs musculaires et tendineuses générées par une journée passé courbé sur ta table de salle à manger, ton chef, qui a des objectifs de management à distance à valoriser, te case à 18h30 une conftél d’une heure qui ne sert à rien. Il y a ceux qui énumèrent en vain les mêmes difficultés journalières. Ces autres qui d’ordinaire profitent des réunions traditionnelles pour se faire mousser, et qui accaparent le temps de parole. Personne n’écoute car comme d’habitude chacun s’écoute. Mais le chef prend note. Le chef est heureux.
Les hiérarques des structures privées sont tombés en pamoison devant le télétravail. Ils sont allés de découverte merveilleuse et trouvaille fabuleuse. « Formidable ! C’est le travailleur qui fournit désormais les moyens de production à son employeur ». Quand il ne fournit pas, carrément, sans compensation financière, son ordinateur personnel, sa connexion internet, l’imprimante, le papier et les cartouches d’encre, le salarié met, à minima, à la disposition de son patron, espace de travail, électricité et eau. « Que de belles économies de faites ! ». Auxquelles s’ajoutent celles des frais de transport, de repas, etc. Tu as l’impression d’être revenu aux temps des Canuts lyonnais, le métier à tisser, remplacé par la machine à te connecter sur la Toile.
Les manitous de la Bureaucratie publique, aux tableurs Excel leur servant de cervelle, ont fait les mêmes constats, avec un bonus en plus ; « Formidable ! Nous avons plus de livrable ». Avant le confinement, bien des questions se traitaient, vite fait bien fait, en aparté, entre deux portes, à la machine à café, ou en fumant une clope. Pendant le confinement, la plupart des questions et des demandes, même les plus dérisoires, se traitent par courriel, et nécessitent par conséquent la production de notes. C’est ça le « livrable ». Tout plein de petites notes insignifiantes qui peuvent rentrer dans des cases Excel et qui vont permettre aux bureaucrates-en-chef de prétendre qu’ils ont accru la productivité de leurs équipes. « Voilà qui est bon aussi bien côté primes qu'avancement de carrière ! ».
Cerise sur le gâteau, lorsque tous ces e-contremaitres, du privé comme du public, ont appris que grâce à des logiciels espions, capables de surveiller jusqu’aux mouvements de la souris d’ordinateur, ils pouvaient fliquer comme jamais auparavant la productivité des travailleurs à domicile, ils ont eu la trique du siècle.
En y repensant. Avant tout ça, tout méfiants qu’ils étaient devant l’autonomisation du travailleur, il fallait passer un entretien digne d’une commission d’enquête parlementaire pour avoir droit à un ou deux jours de télétravail. Là, pour tenter de passer deux jours au bureau, il faut pleurer tel un réfugié politique devant les enquêteurs de l’OFPRA.
Merveilleux n’est-ce pas ? Avec le temps, ils prendront conscience des dégâts sur le collectif de travail, sur la saine émulation, sur la sociabilité, sur la vitalité d’une entreprise devenue une coquille vide. Ils finiront par lire des analyses qui expliqueront que l’humain est un animal social qui ne donne le meilleur de lui-même qu’en interconnexion avec les autres. Ils se rendront compte que ‘un ou deux jours de télétravail ça va, mais que quatre ou cinq, bonjour les dégâts’. Mais pour l’instant ils kiffent.
Et pendant ce temps-là, « Nous » nous adaptons. Fin de la démonstration.
Il est 19h30, encore une journée de tâcherons télématiques qui se termine. Nous allumons Netflix histoire de déconnecter un peu devant une série, avant d’aller préparer le diner. Tout hébétés sur notre canapé, nous avons le sentiment de nous retrouver prisonniers du film « un jour sans fin ». Un film des années 90 qui raconte l’histoire d’un personnage prisonnier d’une journée qui recommence indéfiniment à l’identique à chaque sonnerie du réveil.
Les filles de ma femme nous rejoignent, tout en manifestant la même hébétude. Titou la cadette nous annonce que sa prof d’anglais a demandé aux élèves de la classe de réaliser une horloge en carton, ressemblant à celle de Big Ben, en précisant que les aiguilles devront être faites avec des « attaches parisiennes ».
« Quoi ! » manifeste ma femme. « Où veut-elle que je trouve du carton, des décorations et des attaches parisiennes en plein confinement ? Elle plane cette enseignante ou quoi ? Et puis je n’ai pas le temps ! Je bosse ! Je sens qu’on va passer une bonne journée demain entre les demandes du boulot et celles de ta prof ».
Hormis les profs qui planent en effet, et les glandu(e)s qui n’ont pas donné signe de vie tout le long du confinement, une grande partie d’entre eux a fait preuve d’une belle ingéniosité, sans bénéficier de la moindre aide pratique des très tatillons garde-chiourmes des Inspections d'Académie. On a pu ainsi classer les barbacoles en différentes catégories :
· Ceux qui ont déjà du mal à se servir du rétroprojecteur, et qui ont découvert dans l’urgence, avec plus ou moins de réussite, les outils électroniques qui allaient leur permettre de garder un semblant de contact pédagogique avec leurs élèves. Ils ont surtout découvert le chahut électronique pendant les visioconférences de classe. Les gamins s’envoyaient des défis ou des blagues avec leurs portables dans le but de scruter les réactions sur les visages de leurs camarades qui apparaissaient à l’écran ; d’autres pourrissaient la séance avec des petits bruitages ; et les plus filous faisaient des captures d’écran avant de retoucher les images avec des ajouts moqueurs qu’ils partageaient après sur WhatsApp.
· Les enseignants hyperconnectés qui assuraient question visio-classe, envoyaient des mots d’encouragement, faisaient du soutien en ligne, ou étaient joignables des élèves comme des parents. Un prof de math a particulièrement brillé en diffusant sur sa chaine Youtube des cours en ligne. Il est devenu une star auprès des élèves mais aussi des parents en panique devant les questions de leurs mômes. « Va sur la chaine du professeur Yvan Monka, je suis sûr qu’il y a une vidéo qui explique tout ça très bien ! va ! va ! laisse-moi avec mon satané tableur Excel ! »
· Et puis, les profs intermédiaires, se connectant essentiellement pour envoyer les cours, des exercices, des contrôles en ligne, ou proposer des activités ludiques en pensant bien faire, en pensant occuper utilement les élèves alors qu’ils occupaient surtout les parents. C’est le cas de la prof d’anglais de Titou avec son horloge.
Je sors des apéritifs italiens et une bouteille de « Spritz » achetée la veille, en disant que nous réfléchirons à cette horloge anglaise en mangeant italien.
Manger étranger, fut l’un de nos rituels d’évasion pendant le confinement. Chaque semaine, nous improvisions un thème. Cette semaine-là nous invitons l’Italie à notre table.
Pendant que je prépare des assiettes de salade italienne, avec du melon, du jambon cru de Parme et de la mozzarella, ma femme et ses filles improvisent un covidapéro via WhatsApp avec leur grand-mère et leur tata rigolote. Grâce à la caméra du téléphone, on peut se voir quelques minutes, échanger des brèves de confinement et trinquer ensemble. C’est déjà ça même si j’avoue qu’il y a quelque chose de frustrant à devoir se voir à distance par absence de choix. Le virtuel c’est bien, le réel c’est bien mieux !
Le repas pris, nous nos adonnons à l’un de nos moments de détente favoris de fin de journée ; regarder les vidéos les plus drôles du moment glanées par les filles sur Internet.
Ce soir Chacha l’aînée nous fait découvrir la vidéo de la personne déguisée en tyrannosaure qui sort ses poubelles. Nous nous la repassons en boucle tellement elle est drôle. Titou la cadette nous montre celle de la petite fille qui n’en peut plus et qui se suicide d’un coup de « Nerf » en pleine face (des pistolets à pression envoyant des balles en mousse).
De notre côté nous décidons de les rendre folles avec l’une des récentes trouvailles du Net, la dictée qui rend fou. Prenez une feuille et un stylo :
« Monsieur Lamère a épousé Mademoiselle Lepère. De ce mariage, est né un fils aux yeux pers. Monsieur est le père, Madame est la mère. Les deux font la paire. Le père, quoique père, est resté Lamère, mais la mère, avant d’être Lamère était Lepère.
Le père est donc le père sans être Lepère, puisqu’il est Lamère et la mère est Lamère, bien que née Lepère. Aucun des deux n’est maire. N’étant ni le maire ni la mère, le père ne commet donc pas d’impair en signant Lamère.
Le fils aux yeux pers de Lepère deviendra maire. Il sera le maire Lamère, aux yeux pers, fils de Monsieur Lamère, son père, et de Mademoiselle Lepère, sa mère.
La mère du maire meurt et Lamère, père du maire, la perd. Aux obsèques, le père de la mère du maire, le grand-père Lepère, vient du bord de mer et marche de pair avec le maire Lamère, son petit-fils. Les amis du maire, venus pour la mère, cherchent les Lamère, ne trouvent que le maire et Lepère, père de la mère du maire, venu de la mer, et chacun s’y perd ! »
Il est 22 heures. Les filles vont se coucher. Chacha a visio-classe demain à 8h30. « Visio-classe à 8h30 ! En plein confinement ! Non mais pourquoi ?!» râle-t-elle dans son pyjama Totoro tout en rejoignant sa chambre.
« En guise de conclusion de cette soirée italienne, ça te dirait de danser » me susurre ma Rose céleste. Je souris tout en répondant « oui ». Elle tapote sur son portable et quelques instants après, via Youtube, elle lance sur l’écran de la télé une chanson dont je reconnais de suite l’air ainsi que les paroles :
« Tra le mie braccia dormirai,
Serenamente
Ed è importante questo sai
Per sentirci pienamente noi »
(Désolé mais l’italien, c’est beaucoup trop beau pour être traduit ; aussi débrouillez-vous)
« L’emozione non ha voce » de Adriano Celentano est la chanson avec laquelle notre gondolier avait bercé notre promenade dans les canaux de Venise.
Nous dansons enlacés, sa tête posée contre mon torse, de la même adorable façon qu’elle le fit après notre premier baiser. Ce que j’ai pu bénir nos retrouvailles et ces hasards de la vie qui nous auront menés dans les bras l’un de l’autre. Cette magie, appelée rencontre, destin ou Amour, en laquelle je me suis toujours efforcé de croire, malgré les gifles de la vie. Cette foi qui m’a toujours enlevé l’envie de m’inscrire sur une application de rencontres en ligne. M’inscrire sur Meetic ou Tinder aurait été comme trahir mon âme. Toutes les rencontres que j’ai faites, même sans issue, auront au moins gardé le parfum de cette exigence. N’y voyez aucun jugement de ma part, seulement une forme de respect ou de fidélité pour ce que je m’efforce d’être. Que d’instants fabuleux depuis que nous nous sommes embrassés dans tous les sens du terme.
« Un jour une personne entrera dans ta vie, et elle te fera comprendre pourquoi ça n'a jamais marché avec quelqu'un d'autre » Bell Hooks.
La chanson se termine et ma stoïcienne adorée me glisse dans l’oreille ces paroles de Sénèque. « La vie ce n’est pas d’attendre que les orages passent ; mais d’apprendre à danser sous la pluie ». C’est assez bien vu, à ceci près, que mon stoïcisme s’efface peu à peu devant une violente crise de priapisme.
Voilà ! Voilà ! Tout ça pour dire que nous avons su trouver de nouvelles formes de divertissement, d’évasion, même si toutes ces innovations ne suffisaient pas toujours.
Certains ont préféré trouver refuge dans l’évasion chimique, celle du cannabis, et autres calmants. Les achats d’anxiolytiques et d’antidépresseurs ayant augmenté de 20% au début du confinement. Et pour rester dans le domaine de l’automédication, compte tenu de la perte de confiance dans les autorités médicales d’Etat, d’aucuns se sont procurés des tablettes d’hydroxychloroquine au cas où.
Histoire de revenir sur le cannabis et nos capacités d’adaptation, les trafiquants de drogue ont démontré de notables capacités d’adaptation. Non contents d’avoir su répondre à un brutal choc de la demande, de longues files de consommateurs ayant été observées au début du confinement devant les « points de vente » de certaines cités ; les dealers sont parvenus à organiser un système de livraison à domicile. Ils ont même su provoquer ce qu’il faut d’émeutes et d’affrontements avec les forces de l’ordre pour éloigner la police de leurs territoires. C’est qu’ils sont doués ces animaux-là pour pisser du cocktail-molotov tout autour de leurs fiefs ! Très doués ! A tel point que lorsque l’un d’entre eux, dans sa course-poursuite avec les forces de l’ordre, finissait par s’encastrer dans le véhicule, ils parvenaient à mettre le feu à plusieurs banlieues de France et de Navarre. Oui ! Très doués ! Vous dis-je !
Si ça ne tenait qu’à moi, je légaliserais le cannabis et règlementerais sa vente dans l’espoir de couper l’herbe sous le pied de la voyoucratie des cités. Le milliard d’euros tiré de ce commerce servirait au moins, via les taxes récoltées, à régler les factures de la prévention, de la prise en charge sanitaire des intoxiqués, et de la répression des trafics. J’ai beau connaitre les dégâts imputables à ce poison, je vois au moins une raison logique à la légalisation ou du moins à la dépénalisation de sa consommation. Le cannabis étant moins dangereux que l’alcool, soit on prohibe l’alcool, soit on déprohibe le cannabis. CQFD.
Enfin, le shit étant de la merde, avec ma Mie nous optons pour le doublement des doses de câlins. C’est si bon les câlins ! Toutes ces heures passées, peau contre peau, à faire danser la fleur de mes doigts sur la douceur de son duvet d’Elfe châtain. « Les câlins c’est la vie » me dit-elle. Je plussoie.
Ajoutons à cela un peu de méditation nocturne à la fraiche, pour essayer de se vider la tête ou au contraire regarder les pensées traverser la voute de nos esprits un peu comme on joue avec la fumée d’une garo. « Si tu ne peux pas aller à l’extérieur, va à l’intérieur » comme dirait le bouddhiste du coin.
Avouons toutefois, que le bon vin et le chocolat, le bon vin pour ma chérie et le chocolat pour bibi, ça aide énormément. Ce que j’ai pu m’empiffrer de barrettes « Kinder Maxi » ou « Kinder Country ». De quoi gonfler tel un « Kinder Surprise ». « Grazzie mille Maestro Ferrero ! »
En résumé ! Nous avons tout fait pour tenter de garder une part de contrôle dans une situation qui nous échappait ou dont on nous enlevait le contrôle.
Les sciences, y compris humaines, enseignent que les individus ou les groupes, qui s’en sortent le mieux, sont ceux qui se sentent utiles, qui gardent une activité ayant du sens, qui préservent leurs liens sociaux, et surtout, qui ne perdent pas le contrôle de leur existence. Bon nombre d’expériences effectuées ainsi bien sur les animaux que sur les humains démontrent cela :
· Sur l’importance du lien social et le poison que constitue l’isolement, il est démontré que l’un des moyens de provoquer une dépression chez les animaux de laboratoire est l’isolement (l’autre est la punition incontrôlable). A l’image du hamster mâle qui se laisse mourir après le décès de sa compagne, un veuf humain a 40% de probabilités en plus de mourir dans l’année qui suit la mort de sa femme selon une étude britannique. Toute une flopée de publications médicales américaines démontre le lien entre isolement social et maladies cardiovasculaires ou décès prématurés. Les ravages occasionnés dans les Ehpad par l’isolement de nos ainés, a été une démonstration particulièrement frappante.
· Sur l’impérative nécessité de ne pas subir une situation si l’on veut rester en bonne santé, nous avons cette expérience effectuée sur les rats par le docteur Henri Laborit au milieu du siècle dernier. Dans un premier temps un rat est placé dans une cage séparée en deux compartiments reliés pas un tunnel. Un courant électrique est envoyé dans le plancher 4 secondes après un signal sonore. Le rat apprend vite la relation entre le signal et la décharge électrique. Pour y échapper, il doit passer dans le compartiment d’à côté qui fonctionne de la même façon. Son apprentissage lui donne un semblant de contrôle sur la situation, et à la fin de l’expérience qui dure plusieurs jours, on constate que le rat est en bonne santé. Dans une deuxième variante de l’expérience, la porte entre les deux compartiments est fermée et le rat subit les chocs électriques sans pouvoir agir ; impuissant, il s’inhibe et développe diverses pathologies tels que des ulcères et de l’hypertension. Enfin dans une troisième variante, deux rats sont placés dans la même cage sans issue ; sauf qu’au lieu de subir individuellement les chocs électriques, ils se mettent très vite à se battre l’un contre l’autre, lutte qui ne met pas un terme aux chocs dont ils sont victimes, mais qui leur permet de préserver leur état de santé ; en dehors des traces de griffures et de morsures, ils vont plutôt bien. Conclusion, un être doté d’un système nerveux est fait pour agir ou réagir, la résignation étant pire que la fuite ou la lutte. Cela est bien évidemment valable pour l’animal humain, au vu des mouvements violents observés pendant le confinement dans certains pays (EUA notamment) ou à son issue (en France).
· Le besoin de contrôle, même théorique, pour rester en bonne santé physique mais aussi mentale, est illustré par cette autre expérience. Deux groupes de sujets humains reçoivent des casse-tête à résoudre et un travail de correction de texte à réaliser. Les deux groupes doivent exécuter ces tâches sous un fond sonore particulièrement stressant. La différence entre les deux groupes réside dans le fait qu’un groupe a le contrôle et l’autre pas. Le premier dispose de tables de travail munies d’un bouton permettant d’éteindre le bruit et l’autre non, ce groupe n’ayant pour tout choix que celui de subir le bruit. Résultat : le premier groupe accomplit ses taches sans problème, alors que le deuxième échoue lamentablement. Elément intéressant supplémentaire : étonnement, les membres du groupe disposant du bouton d’arrêt n’ont pas appuyé dessus. Conclusion : la perte de contrôle amoindrit les capacités physiques et mentales ; à contrario, la simple idée d’avoir le contrôle, ici la possibilité de pouvoir arrêter le bruit, suffit amplement à restaurer les capacités.
En impactant ces ressorts animaux et humains avec leurs décisions, nos gouvernants ont provoqué des dégâts sanitaires mais également politiques.
En nous privant de lien social, le gouvernement nous a affaiblit physiquement. En nous mettant en cage sans possibilité de fuite, il a semé les conditions de l’inhibition ou de la lutte. En nous privant des boutons (masques, tests, moyens hospitaliers adéquats, discours clairs et responsables) qui pouvaient nous donner le sentiment d’avoir le contrôle sur la situation, il a assombri notre esprit.
Pour preuve supplémentaire, les populations qui s’en sortent le mieux, sont celles qui restent pragmatiques, lucides, actives dans les prises de décisions, celles qui gardent un semblant de contrôle.
Et dire que, plus largement, les rouages de l’Etat n’ont toujours pas compris les raisons de la défiance qui monte à son égard à la vitesse d’une fusée d’Elon Musk. Quand on n’a plus confiance dans l’Etat ; quand il s’avère un problème plus qu’une solution ; pourquoi participer au maintien de cette illusion par le vote ou tout autre forme de participation.
Puisque nous sommes à même de juger ce dont nous avons besoin ; puisque nous démontrons notre capacité à juger et à agir plus vite et mieux que l’Etat ; pourquoi ne pas vouloir décider directement à sa place, au plus près des échelons concernés par les problèmes posés, selon le principe de subsidiarité.
C’est l’un des enseignements tirés de l’épidémie de choléra qui a frappé la ville de Zurich à l’été 1867. Elle a eu pour conséquence politique l’établissement de la démocratie directe en Suisse. Pas mal d’éléments sont comparables. Une épidémie qui éclate, des décisions sanitaires qui suscitent de la méfiance, des inégalités qui deviennent criantes, suivis d’une volonté populaire de participer activement aux questions de la Cité.
Chez Nous aussi, en France, « Nous le Peuple » voulons que l’Etat agisse moins mais mieux ; « Nous » voulons avoir voix au chapitre directement, bien plus souvent, comme en Suisse ou aux Etats-Unis d’Amérique.
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