vendredi 21 août 2020

Chroniques de Guerre Sanitaire (9/9) : y a-t-il une lumière au bout du tunnel ?

« Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir » Johnny

 

(Après le  "Chapitre 1 - ça commençait pourtant bien" ... le "Chapitre 2 - Les Roses du Rhin"... le "Chapitre 3 - ça part en cacahuète"... le  "Chapitre 4 - tout est devenu flou"... le "Chapitre 5 - la comédie des pouvoirs"...  le "chapitre 6 - quand les masques tombent"... le "chapitre 7 - autogestion"... le "chapitre 8 - les raisons de la colère"... voici le dernier chapitre de votre feuilleton sanitaire estival) 

 

Mardi 2 juin 19 heures. Je viens de m’asseoir dans le métro sur l’une des places autorisées. Des étiquettes visant à garantir les distances de sécurité indiquent les sièges à laisser vides et donc ceux que l’on peut occuper. Je rentre du bureau en pensant au long weekend que je viens de passer avec mes enfants à Vannes. En fait c’est mon deuxième weekend avec eux depuis la fin du confinement.

Dès l’ouverture de nos cages le 11 mai, j’avais filé dans le Morbihan le samedi 16 mai. Dans mon sac se trouvait un dossier de voyage inhabituel : les billets de train ; l’attestation dérogatoire de déplacement de plus de 100 km ; le livret de famille ; le jugement de divorce ; l’attestation de domicile de la mère de mes enfants ; un courriel indiquant que je verrai mes enfants à son domicile ; en somme, de quoi démontrer ma bonne foi, en cas de contrôle. Et bien évidemment mon masque. Or je n’ai eu droit à aucun contrôle, ni à l’aller, ni au retour ; pas même à celui des billets, les contrôleurs évitant les voyageurs comme des pestiférés.

A l’arrivée, mon petit prince me saute dans les bras. Ma princesse a quant à elle  du mal à m’embrasser. Travaillée par un fond anxieux, et sidérée par la situation, mon adolescente nous fait un début de phobie sociale, refusant de sortir de la maison, d’aller au collège, ainsi que les contacts physiques. En insistant un peu, on a pu faire quelques promenades champêtres, le temps de faire connaissance avec une autre épidémie sévissant dans le Morbihan. Le frelon asiatique. « Pas de chance ! Encore un truc asiatique ». Je vous jure que ça fait tout drôle d’être frôlé par une guêpe de la taille d’un pouce faisant un bruit de Mirage 2000 au décollage. J’ai rarement vu mon fils courir aussi vite. Il paraît que cela fait partie des gestes reflexes de survie face à ce missile vivant.

Le deuxième weekend, celui de la Pentecôte, on a pu pousser jusqu’aux plages, et gouter aux joies des absurdités administratives post-confinement. Si la plage de la commune de Baden était autorisée, celle, non loin de là, de la jolie presqu’île de Conleau, était interdite. Des barrières avec des pancartes marquaient cette interdiction. Interdiction absurde que la population du cru a envoyé balader en déplaçant les barrières et en profitant de la plage dans le respect des distanciations physiques désormais digérées. Une façon de signifier aux Autorités que l’on préfère les gestes barrières aux barrières administratives inutiles. D’autant plus qu’il faisait un temps magnifique. Ce furent de bien belles journées de promenade et de baignade au goût de pas assez, mais nous faisant néanmoins beaucoup de bien. Habitués à passer du vide au trop plein émotionnel, du manque au pas assez de temps passé ensemble, nous nous disons, en nous embrassant devant la gare au moment du départ, « Vivement la prochaine fois ! »

Retour dans le métro ce 2 juin 19h15. La rame se remplit au fur et à mesure qu’elle remonte vers le nord de la ligne 13. La vie a bien repris dans le métro. Il y a encore bien moins de monde qu’avant le confinement mais ça repart. J’ai vu d’ailleurs, la vie reprendre progressivement, un peu avant le déconfinement.

J’y repense.

Un peu comme les hirondelles annonçant le printemps, les Romanichels de l’avenue de Clichy ont annoncé la sortie de l’hiver réglementaire, en réinstallant sur le trottoir, dès le lundi 4 mai, les nids à mendicité que sont leurs matelas. Dans la même semaine, bien des magasins, jusque-là cadenassés entrouvraient leurs rideaux de fer pour recevoir des cartons de marchandises que l’on pouvait voir s’amonceler à l’intérieur.

Plus de salariés se sont mis à emprunter les transports en commun, les trottinettes ou les vélos. Notamment les jeunes parisiennes, jupes légères retroussées par le vent, offrant leurs cuisses polies au reflet du dieu Soleil qui s’est toujours trouvé si beau en ce miroir. Un détail s’ajoute à cela. Beaucoup plus de jeunes femmes que d’ordinaire ne semblent pas porter de soutien-gorge. En plaisantant, j’ai mis ça sur le compte du confinement, l’impossibilité de s’en procurer pendant deux mois, ou le fait d’avoir dû transformer ceux qu’elles avaient en masques respiratoires, comme le proposaient certains tutos. Que nenni ! Il s’agit d’une nouvelle mode, celle du « No Bra ». A la bonne heure !  Même si toutes ces poitrines sans soutien, ne sont pas toujours belles à voir, en cette reprise de vie, des seins aux tétons orgueilleux sont une parfaite célébration de la fertilité et du triomphe de l’Existence.

Plus de tétons sont donc de sortie, mais pas seulement. Les lascars du tiéquar se réveillent également comme des ours émergeant de leur hibernation. Je le constate le vendredi 8 mai, en faisant des courses en fin d’après-midi. Au moment où je passe devant l’entrée du Square Ernest-Chausson, deux gaillards en sortent. L’un deux, l’air renfrogné dit « viens, on va acheter de la beuh, j’en ai marre de fumer du shit » ; le deuxième au visage souriant, et dont le regard suit la jupe courte d’une fille aux tétons qui pointent, répond « laisse béton ta beuh, téma ça, c’est ça que je veux voir ».

En somme, ce vendredi 8 mai, l’appel de la jungle urbaine est le plus fort. Ça se balade et ça discute dans tous les coins à l’ombre des platanes des avenues. Seuls, en bande, ou en couple osant enfin se tenir par la main sans craindre une amende pour un quelconque saugrenu motif, la vie sociale reprend ses droits.

La police a beau sillonner les avenues de Clichy et de Saint-Ouen ce vendredi-là, en poussant parfois des petits coups de sirène, rien n’y fait. Le dentifrice sort inexorablement du tube sans que l’on puisse le faire rentrer. Les prostituées chinoises de La Fourche pointent d’ailleurs le bout de leur nez masqué, faisant semblant d’attendre le bus, un sac de courses à la main, afin de leurrer les condés.

Je rentre de mes emplettes, les bras chargés de pots de lavande, de terreau, et de jardinières vides, que j’ai l’intention d’installer sur le balcon. Lorsque j’ai vu que l’une des fleuristes du quartier avait rouvert, je me suis rué dessus.

Je suis accueilli par ma femme qui me dit que Titou et Chacha ont quelque chose à me dire. A peine sa phrase terminée que les filles survoltées m’annoncent que « c’est la guerre !». « Comment ça, une autre ? Macron a parlé ? » me dis-je tout en me lavant les mains. Elles m’expliquent que pendant mon absence, « les connasses d’en face se sont foutues de notre gueule ! ».

Ma femme m’explique que Titou écoutait de la musique avec son casque sur le balcon, lorsque l’envie a pris aux trois gamines Quadrachiant de se moquer en riant de façon aussi gratuite que stridente tout en pointant du doigt Titou avec son casque. Titou tout à sa musique n’a pas compris de suite qu’elle était l’objet des moqueries. Tout comme ma femme, occupée à cuisiner, n’a pas fait plus attention que ça aux longs cris de hyènes des blondinettes déjantées d’en face. Les envoyant paître en leur offrant son majeur, Titou s’en est alors allée raconter sa rencontre du 3e type, et à sa mère, et à sa sœur. Voyant Chacha et ma femme approcher du balcon, les guenons en question se sont alors carapatées dans les fourrées de leur appartement. « C’est la guerre, tu comprends ! C’est la guerre ! »

Je leur réponds que « pourquoi pas, mais que l’on va d’abord procéder à une reconnaissance du champ de bataille ». Il est 19 heures et les Quadrachiants ont invité un couple d’amis à diner sur le balcon. La fille de ce couple, du même âge que Juju joue dans la chambre de celle-ci. Je dis alors aux filles que nous procéderons en deux phases. La première servira à marquer le casus belli. La deuxième consistera en un magnifique tir de barrage. « Avez-vous déjà entendu parler des Orgues de Staline ? Non ! Eh bien ils vont tonner ce soir ». Elles me regardent mi-interrogatives mi-habituées à mes fantasques élucubrations. « A fourberie bobo, fourberie ninja et demi ! ».

Nous allons dans le salon et nous ouvrons les portes fenêtres qui donnent sur le balcon. Les Quadrachiants sont sur le leur avec leurs amis. Nous n’avons pas de contact visuel direct mais nous pouvons voir ce qui s’y passe dans le reflet des vitres. Ils mangent tranquillement, le bruit des couverts ponctuant les bribes de discussions qui parviennent jusqu’à nous. Nous nous asseyons tranquillement sur le canapé. Les hostilités peuvent commencer. Je prends ma voix la plus tonitruante, et je claironne en jouant l’indignation « Ah ça je ne suis pas d’accord ! Qu’ils n’aient aucune autorité sur leurs filles c’est leur problème ! Mais si elles se mettent à provoquer ou insulter Titou et Chacha, ça ne se passera certainement pas comme ça ! Qu’ils vivent comme ils l’entendent, cela ne nous regarde pas ! Mais s’il y a attaque, il y aura riposte ».

Ma femme embarrassée, me dit qu’ils regardent de notre côté, et les filles ne voient toujours pas où je veux en venir. En tout cas, ma voix a tellement tonné que Juju a ouvert les portes fenêtres de sa chambre afin de savourer au balcon, en compagnie de sa copine et de ses sœurs, le fait d’être à l’origine de mon éclat de voix. Exactement ce que je voulais. « L’adversaire est fixé, il ne reste plus qu’à l’arroser ! Suivez-moi les filles ! ».

Nous nous levons et passons dans notre chambre parentale, qui  donne également sur le balcon. Nous ouvrons la porte fenêtre mais laissons les volets fermés. Je me mets alors à singer la voix de Juju, et lance de façon stridente une série de « Mais papa, elle m’a traité de grosse pute ! Ouinnn ! Papa, elle m’a traité de grosse pute ! Ouinnn ! Elle M’a Traité De Grosse Pute ! ».

Mon tir de barrage de Katiouchas, rugissantes et mordantes, s’abat impitoyablement sur le balcon d’en face. Titou et Chacha ont le plus grand mal à étouffer des éclats de rire. Elles ne s’attendaient pas du tout à un tel numéro. « Cheh! Cheh! » lâche Titou. Juju et ses frangines sont frappées en pleine tête devant leur copine et ses parents. Juju pique un phare à éclipser un soleil couchant.

Ne pouvant pas identifier l’origine exacte de l’attaque, ni le responsable de l’outrage, tout en s’étouffant avec cette double dose de Cheh, elles battent en retraite. Les morveuses d’en face rentrent à l’intérieur et ferment rageusement les portes fenêtres. Les parents Quadrachiants de leur côté, gênés au possible, ont le nez dans leur assiette. Je me permets un petit « Mission accomplished ! ».

Maintenant que l’ennemi se trouve éparpillé façon puzzle, nous décidons de passer le reste de la soirée à regarder un film à la demande sur notre box Internet. Nous optons pour « The Bohemian Rapsody » en hommage à Freddy Mercury. Nous rions ; nous pleurons, et nous chantons à tue-tête entre autres « I Want To Break Free ». Les filles connaissent toutes les chansons par cœur. « Vous avez de la chance ! Vous aviez droit à de la vrai musique à l’époque de votre jeunesse » lâchent les filles.

Ma femme n’est pas peu fière de cette remarque « Je suis bien contente que mes filles partagent mes gouts musicaux ». Je commence par acquiescer avant de me ressaisir. « Oui mais non en fait ! Les tubes de notre jeunesse devraient leur paraître ringards et non top cool ! ». Ma femme me regarde avec son air « que va-t-il encore me sortir? ». Je poursuis « Bah oui ! Elles devraient avoir leurs propres tubes qu’elles passeraient en boucle pendant des jours ! Arborer des tee-shirts de groupes en vogue, au lieu de piquer les chemisettes Queen, Guns n’Roses ou Metallica de leur parents ». En rigolant, les filles rétorquent « tu nous vois avec un tee-shirt Maitre Gims ou PNL ? Bonjour la honte ! C’est pas notre faute si on n’a rien que de la zic à la Wish (bazar chinois en ligne, ne vendant que de la camelote, devenu un adjectif pour souligner la piètre qualité de quelque chose) ». « C’est pas faux mais c’est bien triste de n’avoir que du son PQ » me permets-je en conclusion.

Le lendemain, avant que ma femme ne raccompagne ses filles chez leur paternel, et que je n’aille voir le mien, en nous servant pour la dernière fois d’une autorisation de sortie dérogatoire, je commence à rempoter ma lavande sur le balcon. Jean-Louis Quadrachiant sort à ce moment-là fumer sur le sien. Il m’adresse un « bonjour » poli. Auquel je réponds tout aussi poliment. « Soit de l’hypocrisie bobo ; soit une façon de me remercier d’avoir abattu la foudre sur ses gamines à sa place, ce qui ne m’étonnerait pas » me dis-je.

Voilà qui tombe bien, si j’ose dire. La foudre sera le thème de ce samedi 9 mai, puisque dans la soirée de samedi, Taranis le Grand (le dieu gaulois de la foudre) offrira à Jupiter-le-Petit de l’Elysée, un festival son et lumière de tous les Enfers. Des heures de coups de foudre s’abattant sur les toits de Paris pour célébrer la fin du confinement.

Célébration ou mauvais présage ? Une question que je ne peux m’empêcher de me poser tant notre président enchaîne les catastrophes et autres accidents d’ampleur industrielle depuis le début de son mandat : bruits de casseroles en cascade, mobilisations populaires sans précédents, blocages à gogo, incendies et explosions en série au sein de notre patrimoine millénaire, et maintenant une pandémie menaçant de nous ruiner. « Il fut un temps, chez les Celtes et les Germains, où on offrait la tête du roi en sacrifice dans l’espoir d’apaiser les dieux » me dis-je en rigolant. Il n’était pas rare en effet que nos ancêtres procèdent à ce genre de royal sacrifice humain lorsque le Ciel leur tombait sur la tête. Toujours en délirant gentiment, j’imagine un bûché dressé pour le 14 juillet place de la Concorde, notre souverain élu attaché à l’Obélisque, au sommet d’un boisseau de bois de ce maudit platane qui manque chaque année de m’étouffer avec ses très allergènes pollens.  « Ah ça c’est sûr ! Ça aurait du panache de voir partir en fumée notre souverain élu ! Un monarque qui redonnerait enfin ses lettres de noblesse au sens du sacrifice ! La plupart du temps c’est nous qui nous y collons en matière de sacrifices ».

Après la foudre, le ciel bleu de ce dimanche 10 mai ouvre le cycle des festivités.

D’un côté, un gouvernement qui fête une victoire à la Pyrrhus, et 40% de Professeurs, de syndicalistes, d’hypocondriaques, et autres foutriquets subventionnés qui cherchent un moyen de ne pas retourner à la normalité dès lundi.

De l’autre, ma Chérie qui fait jouer lors du petit-déjeuner méridien, une jolie chanson de Pierre Perret, tout en planifiant notre reconquête de la liberté surveillée que nous offre le gouvernement : « Ouvrez ! Ouvrez la cage aux oiseaux ; regardez-les s'envoler c'est beau ; les enfants si vous voyez ; des p'tits oiseaux prisonniers ; ouvrez-leur la porte vers la liberté ! »

« Après ton prochain weekend dans le Morbihan, nous pourrions en profiter pour sortir un peu pendant le Pont de l’Ascension ? J’ai promis aux filles un McDo en bord de Seine » me suggère-t-elle. « Excellente idée ! » réponds-je. Chose que nous faisons le jeudi 21 mai, en prenant nos menus à emporter chez le McDo de Chatelet qui fait face à la fontaine des Innocents. Nous les dégustons tranquillement sur les quais, les yeux dans la Seine, non loin du Pont Neuf. Pendant ce temps-là, la police fait des rondes afin d’éviter les effets d’attroupement.

Une magnifique journée que nous rejouons le samedi 23 mai. Rien de tel qu’un pont de l’Ascension ensoleillé pour grimper également la Butte Montmartre. Ma très féminine Lady en profite pour s’acheter du maquillage bio au Monop’Beauty de la rue des Abbesses et lécher les vitrines de cette même rue. Le square Jehan Rictus et son « Mur des Je T’aime » est fermé. « C’est bien dommage ! ». Mais un cafetier de la rue Vieuville propose des verres de sangria à emporter. « Oh! La bonne idée ! » Une fois montés les escaliers de la rue Drevet et de la rue du Calvaire, nous constatons que la place du Tertre est désertée de ses artistes, caricaturistes et croqueurs habituels, ce qui est bien triste. Il y a du monde mais pas le moindre touriste. Nos délicieuses glaces de chez « La Goutte de Lait » en main, nous nous dirigeons vers les marches en amphithéâtre qui dévalent la butte depuis le perron de la basilique du Sacré Cœur, dans l’espoir de les déguster assis, tout en contemplant l’inlassable spectacle visuel qu’offre la ville des Lumières. Nous les savourerons finalement en marchant. Une compagnie de CRS garde les marches. Il y est interdit de s’asseoir. Ce n’est pas grave. « We’ll be back ! Nous reviendrons ! »

En rentrant, un autre spectacle mignon s’offre à nous. Les gamines musulmanes du quartier sortent par grappes, habillées de leurs robes « gandoura » aux couleurs satinées, rose fuchsia, bleu électro, abricot fluo, achetées pour la fête de l’Aïd qui tombe également ce weekend. Elles se promènent toutes souriantes, ou s’arrêtent devant les pâtisseries du quartier dont les vitrines regorgeant de douceurs orientales. Quelques instants plus tard, je ressors de la pâtisserie devant laquelle un groupe d’entre elles s’était arrêté, avec un assortiment de gâteaux. « J’adore les Makroud ! Je t’ai pris des cornes de gazelle mon Amour », fais-je savoir à ma Chérie qui fume sa clope dehors. Les makroud viendront s’ajouter au stock de grabidou que j’aurais fait pendant le confinement.

Et comme le bonheur, ça se savoure avec une bonne rasade de crème chantilly surplombée d’une cerise confite, Juju-de-Munch n’était pas là de tout ce long weekend pour nous casser les oreilles. Il est vrai que depuis mon pilonnage, elle n’ouvre quasiment plus les fenêtres pour nous faire son cinéma. Son père lui a offert un nécessaire de tricot pour l’occuper. Voir une môme de 12 ans tricoter pour se calmer a quelque chose de désopilant. Ils nous auront décidément tout fait. Mais là, rien, ni tricot, ni rugissements. Que du bonheur donc !  

Cependant, le lendemain, Lundi 25 mai, une nouvelle séquence, bien moins gaie, va s’enclencher.

George Floyd, un afro-américain, décède lors d’une arrestation aux Etats-Unis. Ayant perdu son travail pendant le confinement, shooté aux médicaments, et après avoir tenté d’acheter des cigarettes avec un faux billet, il résiste ce jour-là à son interpellation. L’un des policiers Derek Chauvin, le mal nommé, appuie son genou sur le cou de « Big Floyd » pendant 8 longues minutes, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Cette mort provoque l’embrasement de l’Amérique, ou du moins réactive toute la violence latente que l’Aigle américain couve parfois en son nid. Une partie réclame justice et pose la question des « violences policières » ; Une autre pose la question du racisme avec le slogan « Black Lives Matter », « la vie des Noirs compte » etc. Pas grand monde ne pose la question de la surreprésentation de certaines minorités dans la délinquance, ni de leur violence, à laquelle la police américaine répond, la plupart du temps, de façon proportionnée, mais bon...

Pendant que l’Etat de droit américain s’occupe de Derek Chauvin en l’inculpant ; qu’une partie de la police et des autorités mettent le genou à terre en signe d’apaisement ; des jeunes Noirs des « ghettos » mais aussi des petits Blancs des « campus », se lancent séparément ou conjointement dans des opérations de pillage commercial ou de vandalisation culturelle. Des vitrines aux statues, en passant par les matelas des sans-abris en pleurs, tout y passe, sous des prétextes tous plus débiles les uns que les autres. Dans ce grand défouloir, sans queue ni tête, me vient, encore une fois, l’image des rats de Henri Laborit.

Les démagogues du monde entier en profitent pour attiser les flammes dans l’espoir de tirer les marrons du feu, ce qui me fait venir à l’esprit cette sentence de Charles Péguy « la guerre contre la démagogie est la plus dure de toutes les guerres. »

Ce qui nous ramène surtout de nouveau à ce soir du 2 juin, dans le métro parisien. Il est 19h20 et ma rame s’arrête à la station Saint-Lazare. Il y a des Noirs plein le quai. Contrairement à d’ordinaire, ils sont très jeunes. Il ne s’agit pas vraiment de travailleurs. On dirait des lycéens ou des jeunes étudiants. Je commence par penser qu’il s’agit d’un premier arrivage de jeunes touristes afro-américains. « Chouette! Les affaires du secteur touristique vont pouvoir reprendre ». Je retire assez vite mon doigt de ma cavité oculaire. Il s’agit de Renois bien de chez nous. « Peut-être une sortie scolaire de masse qui rentre en Seine-Saint-Denis ». Eh ben non !

Je descends à La Fourche. Sauf que tous les jeunes Renois de la rame descendent en même temps que moi. Ils sont des dizaines. Je ne comprends décidemment pas. En surface je vois là-aussi, que les trottoirs sont remplis de Noirs qui semblent descendre vers la Porte de Clichy dans le calme. Je reste là à observer quelques instants. Ils ont tous des tee-shirts noirs et certains portent des pancartes « Black Lives Matter ». « Y’aurait-il une manifestions noiriste de prévue dans le coin ce soir ? » me dis-je ; puis je rentre au moment où je vois les premiers fourgons de police se diriger à vive allure vers la Porte de Clichy.

En poussant la porte de chez Nous, je raconte à ma chérie ce que je viens de voir, et je demande aux filles si elles ont vu passer un appel quelconque sur les réseaux sociaux. Chacha et Titou me répondent que non. Je regarde alors de mon côté et apprends assez vite, qu’une manifestation, aux appels passés sous les radars, organisée par le collectif « Adama Traoré », a lieu en ce moment devant le Tribunal de Paris qui se trouve Porte de Clichy. Nous dinons devant les images que commencent à produire les chaines d’infos en continu.

Je me dis que « cette opportuniste de Assa Traoré, aux toiles d’araignées bien tendues, a bien joué son coup ». Elle me fait penser à Karaba la Sorcière et sa troupe de robots fétiches qu’elle dirige de sa voix de stentor (Cf. les aventures de « Kirikou »). Les premières images d’échauffourées sont diffusées à la télé. D’autres le sont sur Internet.  Les gosses des cités, sous influence du « Gang Traoré », commencent à casser et à incendier ce qui leur tombe sous la main aux cris de « Justice pour Adama ». Adama le malfrat, décédé après une course poursuite avec des gendarmes. Non loin de là, Camélia Jordana, une beurgoise écervelée, et pouffe du PAF (Paysage Audiovisuel Français) de son état, qui se la joue « voix du ghetto », entonne en anglais le chant des extrémistes noirs américains « Black Panther » : « Revolution has come ! Time to pick up the gun !  » ; « Il est temps de prendre les armes et de faire la révolution ». Quelque Anars blancs en peau de lemmings, confondant anarchie et anomie, tout contents de marcher au pas derrière la voyoucratie, soit le pouvoir le plus illégitime qui soit, participent au bordel ambiant. Quelle pitié et un million d’euros de dégâts dont la facture ne sera pas adressée au « collectif » ayant organisé cet incendie !

L’incendie se poursuivra dans les jours suivants avec tout son cortège de cinglés et d’idiots utiles de la voyoucratie ânonnant les slogans « violences policières », « contrôles au faciès », « racisme systémique », « négrophobie d’Etat ». Une ancienne garde des Sceaux, qui m’a toujours donné le sentiment de suinter la haine du Blanc, parlera du nouveau parrain du Gang Traoré, KarAssa la Sorcière, comme d’une « chance pour la France », légitimant ainsi sa haine et sa lutte contre notre pays. A la suite de Christiane Taubira, nous verrons la gauche régressive, passer carrément du communautarisme au tribalisme.

Me voici du coup perdu dans mes muettes diatribes:

« Pauvre fous ! Des fautes dans le passé, comme tous nos frères humains, nous en avons commis, avec parfois, il est vrai, plus d’application ou d’efficacité. Toutefois à notre crédit : L’abolition de l’esclavage c’est Nous ! La lutte pour l’égalité des Droits, sans oublier les devoirs, c’est Nous ! l’Universalisme c’est Nous ! La soif de progrès social et humain, c’est surtout Nous ! Et c’est pour ces raisons que vous venez chez Nous ! »

Certes, rien n’est parfait, rien ne le sera jamais. Des dérives racistes sanctionnables, dans la police comme ailleurs, il y en a. Cependant s’il y a plus de Noirs et de Maghrébins contrôlés par la police, ce n’est pas à cause d’un « racisme systémique » poussant les policiers à « contrôler au faciès ». C’est bien évidemment parce qu’il y a une plus grande proportion d’individus Noirs et Maghrébins impliqués dans les faits de délinquance et de violence (60% de la population carcérale). Une surreprésentation qu’il revient malheureusement à la police et à la justice de traiter. Surreprésentation qui peut générer un prisme déformant. Lorsqu’un policier passe ses journées à courir derrière des délinquants noirs ou maghrébins, il peut arriver qu’il en vienne à oublier le fait que « si beaucoup trop de délinquants sont Noirs et Maghrébins, l’écrasante majorité des Noirs et des Maghrébins sont d’honnêtes citoyens méritant le même respect que les autres ». Il se peut même que ce prisme déformant soit accentué par l’angélisme ou le manque de moyens de la Justice qui remet dans la rue le malfrat que le flic a eu du mal à serrer. Un prisme déformant que les cadres de la police doivent bien évidemment travailler à endiguer.

 

Voilà ! A moins d’accuser la réalité de racisme, la vérité, aussi désagréable soit elle pour les premiers concernés, est celle-là ! Une vérité, cela dit en passant, qu’il revient aux premiers concernés d’aborder plutôt que de la rejeter sur les « Blancs », la « Police » ou  la « Société ». Comme le chantait NTM « laisse pas traîner ton fils, si tu veux pas qu’il glisse, ramène le vice ». Nier cette réalité, c’est au mieux de la lâcheté aussi angéliste qu’irresponsable, ne rendant service ni à ces populations ni à la société dans son ensemble, ou au pire de la démagogie gauchiste aux visées insurrectionnelles tout à fait détestable et que tout réel républicain se doit de combattre.

En parlant de lâcheté, le ridicule sinistre de l’Intérieur, qui trouvait normal d’éborgner des agités en « gilet jaune », tente de caresser cette agitation africaine dans le sens du poil. Il pense peut-être imiter son président, lorsque ce dernier caressait les pecs de la mafia bronzée sur l’ile de Saint Martin. Décidément on nage plutôt en pleine « négrophilie d’Etat ».

Non content de ne pas rappeler Assa Traoré à ses responsabilités ; de rappeler à tous les citoyens que dans un état de droit, aux multiples recours en cas d’abus, on ne se rebelle pas contre les forces de l’ordre ; il se contente de dire qu’il ne sanctionnera pas la violente manifestation du 2 juin car « Il faut comprendre l’émotion suscitée par la mort de George Floyd », destituant ainsi l’autorité de la Loi.

Je marmonne, « Ce guignol n’aura  même pas envisagé un petit canon à eau pour refroidir les ardeurs de la tribu Traore ou éteindre les incendies devant le Tribunal de Justice, rien ! Je t’en foutrais de l’émotion, imbécile ! L’émotion d’une famille de petites frappes aux méthodes de malfrats, qui salissent le combat légitime contre le racisme et l’éternelle vigilance contre l’arbitraire !  On voudrait se faire éjecter du gouvernement comme d’un avion de chasse, non pas en plein vol mais à l’arrêt sur le tarmac, que l’on ne s’y prendrait pas autrement ».

Il insiste en appelant à  « une tolérance zéro contre le racisme dans les forces de l'ordre », sans appeler, « en même temps » à  une « tolérance zéro » contre la délinquance qui exaspère policiers et habitants, et qui gangrène notre république, en générant entre autres de plus en plus de tensions ethniques.

Je pense à ce vieux poème de Sophia de Mello Breyner Andresen « inselvamento », « ensauvagement» :

« Este é o tempo
Da selva mais obscura

Até o ar azul se tornou grades
E a luz do sol se tornou impura

Esta é a noite
Densa de chacais
Pesada de amargura

Este é o tempo em que os homens renunciam. »

Traduction en français :

« Voici venu le temps

De la jungle la plus obscure

Où même l’air azur se fait barreaux

Et l’éclat du soleil devient impur

Voici venue la nuit

Dense des chacals

Lourde d’amertume

Voici venu le temps où les hommes renoncent »

Vendredi 5 juin, 20 heures. Je sors du bureau. Je prends une place dans ma rame de métro. L’heure de pointe est passée. Elle est quasiment vide. J’ouvre mon livre du moment. Trois stations après, deux quidams entrent et s’assoient sur des places à côté des miennes. Ils semblent pris dans une conversation passionnée qu’ils reprennent à peine assis. La vivacité de leurs propos me fait lever les yeux de mon bouquin.

Un grand Maghrébin d’une cinquantaine d’années portant l’un de ces costumes aux couleurs ternes qu’affectionnent les petits comptables ; et un Noir du même âge habillé d’un costard d’un bleu criard comme les aiment les vendeurs de photocopieurs. Très vite la teneur mais surtout le ton de leurs propos me hérissent le poil. « La France ceci ; les Français cela ». Ils me jettent de temps à autre un coup d’œil. Ils semblent me prendre pour l’un des leurs. Après trois mois de bronzage intensif sur le balcon de ma Douce, la méprise est permise.

A les écouter, ce n’est pas tant la situation sanitaire et économique qui est inquiétante, que « la place des Noirs et des Arabes en France ». Ils ont bien un avis sur les « masques inutiles » et les « vaccins vecteurs d’un complot de domination mondiale par les compagnies occidentales », qui me font glousser intérieurement. Contrairement au reste qui me fait réagir entre parenthèses.

Le Magrébin embraye : « L’Etat français ne veut pas de nous dans ce pays » (c’est pour ça qu’il vous laisse entrer à coup de centaines de milliers, me dis-je) ; « il passe son temps à nous empêcher de pratiquer notre religion » (ah bon !) ; « regarde, il y en a qui veulent interdire à nos femmes de porter le masque, car avec le voile, ce serait un moyen d’imposer la burqa » (quelques idiots le pensent en effet, mais à part ces quelques agités, tout le monde s’en fout).

Le Noir abonde en vrac : « Oui ! Tous les jours, nous subissons des humiliations, des micro-agressions ; on veut nous empêcher de monter dans la société, comme si on voulait nous maintenir dans une sorte d’esclavage ; ce n’est pas pour rien qu’ils ne veulent pas enlever les statues de Colbert, ils en sont encore au Code noir ; c’est pour ça que nos gosses tombent sous les coups de leur police »  

« Wouah ! Carrément ! Le délire ! » me dis-je. J’adore ces jérémiades au sujet des « micro-agressions ». Ce vocable recouvre toutes ces universelles moqueries que chaque village ou quartier porte sur celui d’à côté. Fascinant de constater à quel point de plus en plus d’immigrés récents, au narcissisme chatouilleux, pataugent en pleine susceptibilité, voire hypocrisie, se montrant incapables de faire la part des choses. Tous les immigrés de l’intérieur, ayant monté à Paris ou dans les grandes villes de province, y ont eu droit : les « Bougnats » d’Auvergne à la gueule noircie par le charbon qu’ils transportaient, les « Ploucs » de Bretagne et leurs « Bécassines » de femmes « baragouinant dans leur patois », etc. Puis ce furent les immigrés de l’extérieur : les Polacs, Ritals, Espingoins, sardines portugaises, etc. Cela n’a pas empêché ces immigrés, de l’intérieur comme de l’extérieur, d’avancer au lieu de geindre. Apparemment ça coince parmi les derniers arrivés. On n’est pas obligé d’apprécier ces « micro-agressions ». On est en droit de ne pas avoir à subir des blagues ethniques, plus ou moins fines, en permanence. Mais enfin bon ! Il ne faut pas pousser non plus. Et surtout, comme tous les autres avant eux, il faut avancer.

« C’est pour ça que nos gosses tombent sous les coups de leur police ». Portenawak ! Heureusement que la plupart des Noirs ne tiennent pas à être confondus avec des malfrats tels que ceux du « Gang Traoré », et se sentent insultés quand les démagogues procèdent à cet amalgame. Comme si je devais me sentir solidaire du chanteur portugais du groupe NTM, Bruno Lopes, quand il se faisait incendier pour avoir scandé « mais qu'est-ce, mais qu'est-ce qu'on attend pour foutre le feu ? », ou encore du Jérôme Rodrigues, l’emblématique « Gilet jaune » d’origine portugaise qui a perdu un œil dans des affrontements avec la police. Comme si je devais aller tout cramer parce que mon compatriote Cédric Chouviat a été victime d’un tragique accident en résistant à son interpellation.  Eh bien non !

« Quant à l’esclavage, qu’il aille le combattre en Afrique ou dans le monde arabe où il demeure une réalité » me dis-je.

Le Magrébin conclue « La France n’est plus ce qu’elle était ; sa puissance décline ; et je ne vois plus trop ce qu’elle a à nous offrir ; l’air devient irrespirable pour nous dans ce pays ». Lorsqu’il dit cela, il se tourne vers moi, comme pour me prendre à témoin, et me demande mon assentiment, « n’est-ce pas Monsieur? Qu’en pensez-vous?  »

Surpris par cette interpellation à brûle-pourpoint, je cligne nerveusement de l’œil gauche, mon livre toujours ouvert sur mes genoux. Je maugréais intérieurement en me disant « ah ces gens qui mollardent à l’apéro dans la soupe qu’ils dégusteront au diner ; comme si les pays qu’ils ont dû fuir avaient plus d’opportunités et de dignité à leur offrir ». Je le regarde tout en cherchant une réponse appropriée. Je lui sers celle-ci : « d’ordinaire, je n’ai rien contre une petite disputatio entre gens de qualité, mais au vu de vos opinions, je crains de n’avoir trop de choses désagréables à vous dire en retour ; or je ne voudrais pas gâcher votre début de soirée que je vous souhaite excellente ».

Je suis assez satisfait de ma réponse. Elle est bien plus convenable que le premier jet qui m’était venu à l’esprit : « j’en pense que d’argumenter avec un imbécile, c’est comme de jouer aux échecs avec un pigeon ; il finit toujours par renverser les pièces du plateau, et chier partout en prétendant avoir remporté la partie ».

Les deux acolytes me regardent d’un œil torve, comme s’ils venaient de démasquer un « sioniste », puis baissent les yeux sur la couverture de mon bouquin « Son Excellence Eugène Rougon » d’Emile Zola. C’est bavard au possible mais ses descriptions des parvenus du pouvoir, aussi cinglantes qu’amusantes, me font passer de bons moments. Je replonge d’ailleurs mon nez de « sioniste » dedans. Nos deux pleureurs africains n’osent plus trop l’ouvrir en présence de l’ennemi « sioniste ». Deux stations après, ils se lèvent pour descendre de la rame. Je lève les yeux vers eux et leur souhaite « une excellent soirée ». Ils ne répondent pas. « J’aurais peut-être dû glisser un shalom dans la salutation ou bien hurler – Israël vivra ! Israël vaincra !  »  me dis-je en ricanant comme un vieux Juif.

En les voyant partir, je ne peux m’empêcher de me rappeler de cette citation de Lao Tseu « les arbres ayant plusieurs racines sont souvent les plus résistants » en y ajoutant, ‘mais il nous faut croire que les ronces du désert n’en ont aucune’.

En me disant cela, j’espère que nous n’avons pas déjà atteint un point de bascule, un peu comme les Romains. Tout comme l’Europe actuelle, l’empire romain recevait la visite de deux types d’immigrés. Ils les appelaient « barbares » à l’époque #MicroAgression. Des Barbares attirés par le mode de vie romain, qui s’installaient dans des terres à défricher et qui défendaient les frontières de l’empire. Et puis une deuxième catégorie de « barbares », uniquement attirés par le pillage et la destruction. Nous savons tous comment cela s’est terminé.   

J’espère que mon pays, et plus largement, ma civilisation, saura toujours attirer des gens ayant envie de nous rejoindre parce qu’ils souhaitent vivre et bâtir à l’abri de nos valeurs ; et apprendra avant qu’il ne soit trop tard à se débarrasser de ceux qui s’imposent à nous pour nous piller en espérant nous détruire.

La dernière phrase du Maghrébin aigri me revient en tête, « l’air devient irrespirable pour nous dans ce pays ». « Irrespirable », il n’a pas totalement tort. La cage à rats pue de plus en plus l’urine, à l’image de bien des rues de mon merveilleux Paris. Et si on changeait un peu d’air d’ailleurs. Une idée me vient.

Je ferme mon bouquin. Je n’ai plus la tête à lire. Pendant que ma rame de métro remonte la ligne 13, je consulte vite fait mon fil d’actualités sur mon téléphone. La cote de popularité de Doudou la Flipette ne cesse de grimper. « Ce pays est foutu ! Nos vieux jouisseurs ayant échappé à la Covid-19 doivent peser dans sa cote autant qu’ils pèseront dans la dette ». On parle également de plus en plus de la saisonnalité du virus. Comme tous les virus respiratoires, tels que la grippe, il a désormais de fortes chances de nous offrir une nouvelle mutation chaque automne. Ce qui présente la question du vaccin sous un nouvel angle. Tout comme le vaccin de la grippe n’éradique pas celle-ci, il est à parier qu’il en ira de même des vaccins contre les coronavirus.  « J’espère juste que ces vaccins concoctés à la va vite ne nous transformeront pas tous en Zombies comme dans World War Z » me dis-je en rigolant intérieurement. Je vérifie deux trois autres choses avant de descendre à La Fourche.

En rentrant, j’embrasse goulûment ma femme-trésor. Je ne lui raconte pas mon échange avec les deux « barbaresques » du métro. Je lui dis « ça te dirait qu’on aille avec les filles respirer l’air du large, le weekend prochain ? Si tu t’arranges avec leur père, on pourrait partir à La Baule le vendredi 12 juin au matin et revenir le lundi 15 au soir ? Les prévisions météo ne sont pas fameuses mais je fais confiance au microclimat baulois pour ne pas nous décevoir. »

Elle sourit mais m’indique que si Chacha n’a plus à se rendre au collège, Titou a deux jours d’école de prévus la semaine du 15, dont notamment le lundi 15. Je lui réponds « entre nous, on s’en fiche de leur semblant de ritualisation de la fin d’année ; et puis le ministre a dit que l’école n’était obligatoire que sur la base du volontariat des profs comme des élèves ». Elle rigole, et en signe d’acquiescement appelle les filles, « Chacha, Titou, on a quelque chose à vous dire ». « Annonce-leur la nouvelle » me demande-t-elle. 

 « Les filles, ça vous dirait d’aller rendre visite à papy à l’Ehpad ? ». Les filles me répondent d’un air  surpris « mais qu’est-ce que tu racontes, on n’a pas de papy à l’Ehpad ».

« Oui, je sais » avec un clin d’œil, « mais c’est ce que vous direz à l’école la semaine prochaine pour justifier le fait que nous partons à La Baule ». Les filles exultent « Ouais ! »

« En attendant La Baule » me dit ma femme, « après avoir raccompagné les filles chez leur père demain après-midi, on pourrait se balader dans Paris ».

Ce chouette programme de concocté, nous dînons devant un film qui sera supplanté par l’aspect tragi-comique du cinéma des voisins d’en face. Il est 22 heures et Juju hurle encore. Apparemment sa sœur, Gaga la sournoise, lui a chapardé ses écouteurs, et elle le fait savoir à toute la rue. Sa mère n’est pas là. On la voit peu depuis le déconfinement. Je l’ai vu, une fois, quitter en pleurs la chambre de sa fille après une énième crise. « Elle a dû installer un lit de camp dans son bureau et doit se reposer au boulot de son confinement éprouvant » ai-je dit une fois, sans avoir vraiment envie de rire.

C’est le père, Jean-Louis Quadrachiant qui gère. Il ferme la fenêtre, mais bien que fermée, on l’entend lâcher enfin. « J’en ai plus qu’assez ! Tu nous as fait passer trois mois d’enfer, à ne pas vouloir sortir, à ne pas vouloir travailler, à ne rien vouloir faire ! On a tout essayé avec toi parfaitement  en vain ». Sa fille l’interrompt en hurlant « mais ce n’est pas de ma faute, c’est elle qui me cherche encore une fois ! ». Son père  rétorque « arrête de chercher des prétextes ! Tu as passé le weekend de l’Ascension seule chez ta grand-mère et tu lui as fait vivre le même enfer » ; puis en se tournant vers Gaga la Sournoise, il lui dit « quant à toi, tu arrêtes d’emmerder ta sœur ! ». Juju hurle de plus belle « Taisez-vous ! Taisez-vous tous ! ». Hurlements auquel le père met un terme avec un soufflet au visage. « Paf ! »

« Ah, quand même ! » me dis-je, « comment peut-on laisser un enfant aussi longtemps enchaîné à ses caprices, prisonnier de ses velléités de toutes puissance ? Quelle souffrance pour lui comme pour les autres ». A partir d’un certain moment, la bienveillance, servant de cache sexe à la permissivité, devient un abandon, une maltraitance, en tant qu’elle empêche l’enfant de grandir. Je me dis « Les enfants ont autant besoin d’attention et de tendresse que de recadrage, y compris à l’aide d’une tape éducative en dernier ressort ; après tout si l’Autorité publique dispose de forces de l’ordre, il est impératif que l’Autorité parentale dispose de la même force de dernier recours ».

Nous faisons comme si nous n’avions rien vu, nous efforçant de fixer la télé, histoire de préserver la dignité de Juju et de son père. L’abcès ainsi crevé, les choses se calmeront progressivement.

De notre côté, nous prendrons dès le lendemain nos billets pour La Baule et réserverons un hôtel en bord de baie. D’ordinaire, à cette époque, le choix manque, mais ce n’est pas le cas ici, signe que l’activité touristique reste atone.

En attendant de goûter aux délices baulois, nous nous baladerons au cours de ce weekend dans un Paris où les restaurants et troquets auront pris possession des trottoirs et places de parking. C’est certes embêtant pour les automobilistes et les habitants qui peuvent subir le bruit. Mais ça donne un charme méridional et chaleureux à un Paris qui en manque souvent. Le Paris, « vie dehors », est vraiment un spectacle agréable à savourer.

« Paris ! Paris covidisé ! Paris confiné ! Mais Paris libéré... en terrasse ! » semble être le cri de ralliement libérateur. Il aurait pu être poussé par cette jolie mamie parisienne qui, à la terrasse d’une brasserie du quartier des Batignolles, savourait avec une délectation toute communicative, un plateau d’huîtres accompagné d’un bon vin blanc. Il fallait voir le bonheur qui irradiait son visage.

Vendredi 12 juin, 10h36, notre TGV part pour Nantes où nous devrons prendre un train régional dix minutes après pour La Baule. « Oups !» Arrivés à Nantes, le train à destination de La Baule n’est pas affiché. Après quelques minutes à chercher des explications, un responsable de gare nous explique, ainsi qu’à une cinquantaine de personnes dans la même situation, que le site de la SNCF nous a vendu des places dans un train qui n’existe pas. « Génial ! L’offre de trains a beau avoir été réduite, on trouve encore des trains fantômes » est la boutade du jour. Nous apprenons par la même occasion, une nouvelle expression, « se trouver en rupture de correspondance ». Il est 13h30. Les responsables de la gare de Nantes, nous offrent des plateaux repas, pendant qu’ils s’échinent à nous trouver une solution. Ils finissent par affréter un train à destination du Croisic vers 15 heures qui nous dépose à La Baule à 16 heures. « Quelle aventure ! » mais « A nous la Baule ! »

Ah ! La Baule, cette sublime baie tournée plein sud, cette plage interminable de nacre blanche, sa muraille d’immeubles de standing servant de palissade protectrice aux jolies villas lovées dans les pinèdes.

Et puis cette douceur de vivre propre à la bourgeoisie bretonne, celle des vieilles familles. Discrétion, bienveillance, le tout dans l’affirmation d’un bon goût certain. « Il n’y pas à dire, la Haute Bourgeoisie sait se bâtir des petits coins de Paradis » m’avait dit une fois mon vieux Compère lors de vacances conjointes à La Baule. Certes, il y a quelques fils à papa qui aiment descendre la « De Gaulle », l’avenue centrale de La Baule, dans la berline décapotable de leur paternel, musique à fond, tout en ayant l’air de petits « riches’cons », mais comme aucune jeunesse n’est parfaite...

J’aime La Baule ! Non loin de là, la charmante côte sauvage du Pouliguen ; les reflets féériques du coucher de Soleil embrasant la surface des marais salants ; Guérande la médiévale, maitresse du Sel ou Le Croisic plus halieutique et populaire.

Jean-Michel, le gérant de la meilleure crêperie de toute la bordure extérieure de la galaxie, nous accueille chez Ar Poul Gwen avec son éternel sourire breizhilien. C’est l’un de mes rituels à chaque venue.

Je remporte par ailleurs mon pari. Il pleut un peu partout sauf à La Baule. « Toujours faire confiance au microclimat baulois ». De longues balades et quelques coups de soleil emplissent notre boite à souvenirs. De même qu’un évènement impromptu. L’arrivée avec fracas du Sergent Ragnagna…

Titou a ses toutes premières menstrues. Elle est toute honteuse et sa mère un peu gênée. « Pourquoi ça ? » lui dis-je, tout en gardant pour moi « ah ! Ce vilain côté obscur du fond patriarcal judéo-chrétien qui entache de honte la divine magie de la vie offerte à la femme ». J’ajoute « C’est au contraire une belle nouvelle ! Elle entre dans le club des Dames ! D’ailleurs si tu me le permets, je propose que l’on fête ça au restaurant ; après tout, pourquoi les garçons auraient-ils droit dans bien des cultures à des rites fêtant leur entrée dans le monde des hommes, et par les filles ». Ma femme approuve cette idée.

« Regarde » lui dis-je, « en face de l’hôtel, il y a un restaurant de plage qui s’appelle ‘Chez Monica, le clan des mamma’ ; ça tombe à point nommé,  de plus c’est une excellente pizzeria, tout ce qu’aime Titou ». Et dans la foulée,  je m’en vais réserver une table pour notre dernier dîner à La Baule.

Les pizzas étaient succulentes, et le service dans ce restaurant familial au top ! Comble de la chance, un magnifique soleil vespéral aura inondé de lumière tout notre dîner. C’était parfait ! Et en guise de bouquet final, Titou eut droit, de la part de sa maman, à un magnifique trochet de « niniches » de chez Manuel, les sucettes incontournables du confiseur baulois. « Après tout, ce n’est pas parce que l’on devient femme, qu’il n’en faut pas moins oublier de cultiver l’enfance ! Mon bébé ! Elles grandissent si vite » lâche ma Chérie avec émotion.

Oh oui ! Ce fut un bien long weekend, riche en air frais, souvenirs et émotions.

Lundi après-midi, nous savourons un dernier bain de mer oculaire, les yeux perdus dans l’horizon, avant de nous diriger vers la gare. Je pense à mes enfants qui se trouvent à moins de cent kilomètres de là et à mon père qui doit pester contre le gouvernement avec les copains de son square habituel, enfin ouvert. Les filles dégustent de délicieuses gaufres au caramanuel (le caramel au beurre salé de Manuel). Celle de Titou est recouverte de chantilly et de petites cerises confites. Souvenez-vous « le bonheur se déguste avec une bonne rasade de chantilly couronnée de cerises confites ». C’est de Titou que je tiens ça. 

Notre TGV retour part en fin d’après-midi. Nous nous installons dans notre « club 4 ». A peine le temps d’avaler notre encas que mon radar détecteur de déplaisants s’alarme. « Je suis maudit ! Pourquoi le ou la relou de derrière, c’est toujours pour moi ?».  Cela fait rire ma femme qui a compris.

Cette fois-ci, nous avons droit au prosélytisme des parents parfaits. Maman-parfaite, Papa-parfait et Bébé-parfait sont donc derrière nous. Maman-parfaite a besoin d’un peu de calme pour rédiger un rapport-parfait ; alors elle emmène en voiture bar son ordinateur d’employée-parfaite, tout en laissant Bébé-parfait à Papa-parfait. Papa-parfait ouvre des livres-parfaits pour Bébé-parfait et, bien fort dans le compartiment, donne lecture d’iceux avec une voix ridiculement infantile.

« Quel livre veux-tu lire ma Chérie ? Trotro ! Ah mais je t’ai déjà lu des Trotro ! Tu aimes Trotro ! Oui mais j’aimerais bien qu’on change un peu ! Je te propose de commencer par un Tchoupi à la ferme » Après le chapitre couleurs, bâtiments, tracteurs, outillage, voici celui des animaux de la ferme. « C’est quel animal, celui-ci, ma chérie ?  Un ? Un m ?  Un mou ? Oui ! Un mouton ! Et quel son fait le mouton ? Oui ! Un mouton ça fait bêêê ! La poule ça fait cot-cot ! Le canard ça fait coin-coin ! ». Tous les animaux de la ferme résonnent pendant quelques minutes dans le compartiment. Après cela, c’est au tour des cahiers à gommettes. « Alors ? Alors ? Où va-t-on coller la pastèque ? (…) Et le chiffre 2, au-dessus de quel nuage de points le colle-t-on ? Oui bravo ma Chérie ! ».

Cela fait deux heures que ça dure. Les gens autour, écouteurs sur les oreilles, tout en jetant un coup d’œil de temps en temps, sourient ou lèvent les yeux au ciel devant le très théâtral surjeu narcissique de Papa-parfait. Personne n’a envie de l’épingler devant sa fille en lui demandant de baisser d’un ton. Moi non plus d’ailleurs. Je me contente d’aller marmonner aux toilettes « c’est quoi tous ces gens qui passent leur temps à semer leurs narcisses dans le jardin des autres ; incapables de clôturer leur nombril ; incapables de lire une histoire à leur fille en chuchotant, leur apprenant au passage la discrétion ».

Lorsque je reviens, je constate que Maman-parfaite est de retour. Elle remarque que les livres à gommettes ont été remplis. « Ah ! Vous avez fait cette activité également ! C’est bien ! C’est bien » souligne-t-elle d’un ton professoral. « Oui ! Ma fille a appris plein de choses avec Moi pendant que tu étais occupée » ajoute Papa-parfait fier de lui.

Je soupire. Je soupire mais je m’en fous. Je suis trop bien là. Ma femme se love dans mes bras et se laisse emporter par le bercement du train. Les filles ont leurs casques sur les oreilles. Titou écoute de la musique tout en envoyant des messages à ses copains-copines. Chacha fait défiler avec son pouce son fil d’actualités Instagram en rigolant de temps à autres.

Regardant par la fenêtre le Soleil qui se couche, je repense à tout le bazar ambiant en me disant que « l’avenir n’est pas tant ce qui arrivera, que ce que nous en ferons ».

D’ailleurs, avec les premières étoiles qui pointent au firmament, je me mets à rêver de conquête spatiale. A plus forte raison que les fenêtres de tir se multiplient en direction de la planète Rouge. « Formidable ! ».

Tout d’un coup, je souris intérieurement « en parlant de virus et de Mars, m’est avis que notre espèce terrestre va bientôt pouvoir enrichir sa flore microbienne avec tous les microbiotes stockés dans le sol gelé martien ; je sens qu’on va rire ! ».

Puis je laisse le mot de la fin à Tite Live « Le Soleil ne s’est pas encore couché pour la dernière fois »

 

To Be Continued – Ad Vitam Aeternam

 

 « Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. »




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