BLOG RADICALEMENT DEMOCRATE, POLITIQUE, COSMIQUE, SARDONIQUE, VOYAGEUR ET VULGAIRE, PARAISSANT TRÈS SOUVENT ET S'INSPIRANT DE L'ESPRIT D'UN TEMPS OÙ LE REPUBLICAIN SAVAIT ENCORE JOUER DE SES TUBES SEMINIFERES...
lundi 27 octobre 2008
« LE BALLON… C’EST POUR MON PAPA »
Paternité toujours. Un livre devenu célèbre nous dit que « les Hommes viennent de Mars et les Femmes de Venus » soulignant ainsi ce qui sépare ces deux sous-espèces sapiennes. Et bien d’un point de vue astronomique, ce n’est rien à côté de la distance qui peut séparer des parents et des célibataires ou des couples sans enfants. Ces derniers viennent au bas mot de Pluton. Nous autres parents venons de Mercure, torréfiés que nous sommes par les fréquentes éruptions solaires de la paternité. Des années-lumière d’incompréhension qui expliquent pourquoi le « tu comprendras quand tu seras parent », que nous adressaient nos parents, nous semblait aussi étranger que peut l’être tout concept d’origine extraterrestre.
Une phrase qui m’est sortie de la bouche le jour où peu de temps avant la naissance de notre aînée, l’un de mes frangins se retrouva tout étonné par l’une de mes nouvelles réactions.
Histoire de fêter mon dernier anniversaire pré-parental, ils n’avaient rien trouvé de mieux comme idée que de m’offrir un saut en parachute. Une idée que j’ai accueillie d’un, « merci mais je n’ai plus besoin de ça pour goûter au grand vertige ».
« Comment ça » me répondirent-ils surpris. « vous comprendrez le jour où vous serez parents ». Ma femme, avec qui j’avais eu une grande discussion quelque temps auparavant sur la stupidité de telles remarques, me fit remarquer la stupidité de ma remarque.
« C’est vrai que c’est très con ce que je viens de dire ». C’est ainsi que je ramassais mes souvenirs, sensations et sentiments et que je les exposais longuement à table, de la façon qui suit.
Les trois premiers mois de la grossesse ne furent pas faciles, aussi bien pour l’un que pour l’autre. On attendait la première échographie dans l’angoisse, espérant que l’enfant allait bien, que tout était bien en place. Une attente que j’ai passée en me défoulant dans l’écriture, le bricolage, le sport, dans tout ce qui peut aider à réduire ce temps allongé d’un point de vue bergsonien par l’angoisse.
« Le fœtus va bien ». Ouf ! Vous aussi pour le coup.
C’est le moment où l’on passe de l’angoisse à une sorte d’état second que j’appellerai l’état « bisounours ». On s’imagine le futur bébé. On observe avec un sourire niais tous les enfants en bas âge qui passent dans la rue. On regarde avec une gentillesse à la limite du pervers toutes ces jeunes mamans qui portent leur enfant dans des écharpes marsupiales. On commence à projeter des tendances fétichistes sur des poussettes mais pas seulement. Tout est beau. Tout est aimable. Les bisounours sont vos amis et les insectes aussi.
Et puis un soir patatras.
C’est le sixième mois de grossesse. Tout va bien. Cependant vous venez de vous engueuler avec votre femme pour une connerie. La première fois depuis six mois. Dans les faits, rien de grave. Dans votre cervelle, quelque chose se fissure, un peu comme une poche d’eaux céphalo-rachidiennes. Une poche qui finit de se rompre à l’écoute du journal télévisé de 20 heures. Une énième affaire d’infanticide, de pédophilie ou de rapt d’enfant…
Et là, une boule d’angoisse, comme vous n’en avez jamais connu avant, y compris dans le pire bad trip cannabique qui soit, vous escalade comme une poussée de lave puis vous éclate en plein crâne, faisant tout voler en éclats.
Tétanisé. Je suis tout bonnement tétanisé. Ma femme mange et moi je perds les pédales, en silence, intérieurement, comme un homme, sans pouvoir hurler ni m’évanouir.
« Tu vas bien, t’es tout pâle ? » vous demande votre épouse.
Je ne suis pas fichu de sortir le moindre mot. Enfin si, un « si ! si ! ça va ». Non ça ne va pas ! Pas du tout même. Je ne comprends rien de ce qui se produit dans mon unité centrale. Je n’ai pourtant pas lancé de défragmentation du disque dur cérébral. Des flashs par dizaines m’assaillent, que ce soit les infos télé, l’accrochage de midi, mon histoire ou celle de toute ma famille. Tout cela tourne dans mon crâne, à toute vitesse, comme dans un kaléidoscope.
L’engueulade du midi prend une tout autre signification. Elle rejoint le couteau avec lequel je découpais mes haricots verts. Je me dis que cette engueulade aurait pu provoquer une fausse-couche, que j’aurais pu tuer mon bébé, un peu comme on percerait le ventre d’une femme. J’aurais pu être l’un de ses monstres infanticides. Comment protéger mon enfant de tous ces monstres si je suis son premier danger. Comment le préserver de tous ces démons si je ne le préserve pas des miens.
Une image prend alors possession de moi. Je me vois planter ce couteau dans ce ventre si fragile. La frêle membrane éclate comme celle d’un ballon. Un soupir s’échappe. Non, deux soupirs s’échappent. Celui du trésor qu’il contient et puis le mien quittant mon corps pour tenter de le rattraper. Oui, ce ventre est comme un ballon délicat. Une image qui m’accompagne toujours, qui m’obsédera longtemps et qui allait prendre peu à peu du sens. En attendant j’ai presque failli développer une phobie des couteaux comme de tout autre objet contendant. Avouez que pour un manieur de katana, c’est un peu gênant.
Après cette première idée fixe, s’incruste le souvenir de l’un de mes grands-pères, l’alcoolique qui n’a pas su protéger sa famille de la misère. Une question me tambourine les tempes. Est-ce que je tiens de lui ou plutôt de mon autre grand-père ? Le résistant, celui qui ne reculait devant aucun effort pour subvenir aux besoins de sa famille. Finalement qui suis-je ? Ce que je pensais être n’est plus.
Je suis à côté de mon Moi et observe ainsi défiler toute mon histoire familiale, celle de mes parents, le bons mais surtout les mauvais moments, les bribes d’histoire que j’ai glané sur mes aïeux, leur turpitudes comme leurs actes de courage. Une vraie décharge d’histoire.
J’ai d’ailleurs l’impression de me retrouver dans un épisode de la série Highlander. Souvenez-vous ! Lorsqu’un personnage tranche la tête d’un autre guerrier immortel, il absorbe toutes ses connaissances et celles de tous ceux que ce guerrier avait tués. C’est ainsi qu’il devient toutes les générations précédentes. On appelle cela le « Quickening ».
À la différence que là, le mortel que je suis prend conscience de toutes les générations qui l’ont précédé mais aussi de toutes celles qui viendront. Un mortel qui n’absorbe pas toutes les connaissances de ses pères et mères mais se retrouve envahi de toutes leurs questions. Un petit mortel qui prend conscience de toute cela, non pas en donnant la mort, mais en souhaitant donner la vie. La décharge électrique restant par contre du même ordre que celles que connaissent les héros de la série lors d’un « Quickening ». Ça secoue très fort.
Après ce concentré de décharges cérébrales, j’émerge peu à peu de mon syndrome Quickening. Le reste de la soirée se déroule comme si de rien était. Toutefois les flashs reviennent très souvent, puis souvent, puis me foutent la paix, juste le temps de dormir. Les deux semaines suivantes, ils reviendront périodiquement pour me questionner.
De question en question, je finis surtout par comprendre que ce couteau a percé ma bulle narcissique. Je ne vis plus pour moi seul, mes désirs, mon accomplissement personnel. Avec cette indicible angoisse, ce ventre et ce qu’il contient viennent de prendre vie, d’acquérir une existence propre. Je comprends que mon château de cartes existentiel se retrouve par terre, que je saute dans l’inconnu, le hasard le plus total. Le semblant de contrôle que j’avais acquis sur moi devient ridicule. Un enfant, c’est du quantique. Il va falloir que j’apprenne à vivre avec l’incontrôlable.
Cela me met d’humeur exécrable, les nerfs en pelote, me rend irascible et chiant comme seules les femmes savent l’être parfois. Je comprends enfin ces angoisses biologiquement féminines. En effet, avant ce jour, le petit mâle que j’étais s’était toujours retrouvé à l’abri de ce type de tourments. Chez la femme, au contraire, ce qu’elle est par essence se rappelle trop souvent à elle pour la laisser en paix.
Ma femme me confirmera mes impressions lorsque je serai enfin en état de lui parler de tout ce qui s’est passé en moi ces dernières semaines. On se serrera l’un contre l’autre.
Dans les jours qui suivent des nouveaux flashs apparaissent. J’entends mon père me dire lorsqu’il s’opposait à mes virées nocturnes, « tu comprendras quand tu seras père ». Je revois ma mère changer de couleur à l’écoute d’une sirène d’ambulance retentissant au loin, se demandant où se trouve tel ou tel de ses enfants. À chaque fois, l’image du ballon revient. Mon esprit commence à comprendre. En tout cas, il cherche. Putain, qu’est-ce qu’il cherche. Il n’a jamais autant cherché.
Dans tout ce cinéma, au moins une chose est claire. Je me retrouve la cervelle en mode décapotable, les nerfs à vif, et à l’air. Je rattache cela au complexe du homard expliqué par Françoise Dolto. L’adolescence, cette phase de notre vie où tel le homard nous muons, perdant notre carapace d’enfant et vivant à nu le temps d’acquérir celle de l’adulte. On dit que la femme revit de la même façon pendant ses neufs mois de grossesse ces changements physiques de l’adolescence. Ce qui explique son état émotionnel. Et bien j’ai l’impression que pour les mecs c’est pareil, mais en plus ramassé dans le temps, en plus concentré, en moins visible et surtout totalement focalisé dans la tête. Vous voyez que nous sommes des cérébraux, nous aussi.
Je comprends pourquoi certains de mes congénères se barrent en courant, cherchent à noyer ces angoisses, ces flashs dans l’alcool ou la fumée, en même temps que je remarque que pour certains, le fait d’être père n’a rien changé, la bulle narcissique n’étant pas prête d’éclater. Pour ma part, je vous le redis, je me suis rarement senti à ce point vulnérable.
Pour le coup, j’en veux à nos sociétés, à ma culture de ne pas prévoir de préparation, de ne pas organiser de transmission, de rituel de passage. Les femmes ont leurs groupes de parole, leurs cours de préparation à l’accouchement. Nous, que dalle ! Je me dis que certaines sociétés dites primitives sont bien plus avancées sur ces questions. Certaines organisent des rites de passage, donnent un sens à la couvade, à toutes ces somatisations que l’on doit à la paternité. Certaines organisent même une prise en charge du jeune père. Celui-ci se reposant quelques jours à l’écart, avec ses pairs, pendant que sa femme est prise en charge de son côté par les autres femmes de la tribu.
Après tout on nous enseigne plein d’âneries dont on se passerait bien, pourquoi pas le plus important, devenir père. Cela dit c’est sans soute parce qu’il nous (mâles occidentaux) est difficile de mettre des mots sur ce que nous vivons à ce moment-là, de pouvoir tout comprendre, de dépasser la honte de ces sentiments d’angoisse, qu’il nous est difficile de transmettre, de transformer cela en rituel culturel…
C’est à ce moment de mon exposé que je signale à mes frangins que le saut en parachute en guise de rituel de paternité, bof !
En aparté, je signale à mes chers lecteurs, que contrairement à l’époque où cela s’est produit pour moi, quelques livres sont maintenant disponibles pour répondre à vos questions et angoisses de futurs pères, notamment l’excellent « guide du jeune papa ». Quelques sites existent aussi. Cependant on sent bien qu’aucun n’ose aller au bout du voyage, mettre ses couilles cérébrales sur la table. C’est dommage.
« La paternité c’est comme de sauter dans un vide indéfini » conclut mon plus jeune frangin, les yeux écarquillés.
« Un saut sans fin mais surtout sans parachute » me sens-je obligé de préciser.
« Car tout cela n’est qu’un début ». Comme je l’indiquais plus haut, avec le temps, j’ai fini par comprendre l’image obsédante du ballon.
Celui-ci fut ventre, puis vie, un petit ballon fragile que nous autres parents avons porté au creux de nos bras, puis à bout de bras, accroché par une ficelle à notre poignet, cherchant à le protéger de tout ce qui pourrait le faire éclater, jusqu’au jour où la membrane devenue solide et suffisamment gonflée, il faut le lâcher pour qu’il vole bien haut dans le ciel.
C’est marrant mais les spermatozoïdes ressemblent déjà à des tous petits ballons.
Des ballons dont j’ai appris à aimer l’image et l’idée. Un cadeau du ciel ayant pour but d’y retourner. Un bonheur, grands dieux, un bonheur dont vous ne comprendrez l’importance « que le jour où vous serez parents » ;-)
Ballon gonflé au SILium
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4 commentaires:
Je ne savais pas que tu te triturais à ce point les neurones...Ma copine est comme toi?
Et si tu laissais les choses se faire tranquillement sans trop de réflexion???
Non, tu n'y arrives pas??
Pourquoi?
Chez nous, on prend les choses comme elles sont, comme elles arrivent...Je ne me suis jamais posé autant de questions que toi..
ça me dépasse un peu à vrai dire...
Profites de tes enfants, ne réfléchi pas trop tu risques de passer à côté de très belles choses...
(Moi les questions que je me pose, c'est comment faire pour que mes enfants vivent leur enfance tranquillement, sans que la société ou l'entourage se charge de les faire grandir trop vite...Du coup, je les écoute, et je ne les devance pas...et l'équipe du jardin d'enfant de mon fils suit cette même "philosophie"...Je ne les baillonne pas, je ne leur interdit pas tout tout le temps, je les laisse vivre leur vie d'enfant...)
Melle E
PS: Arrêtes de te prendre la tête avec les faits-divers...Ce n'est pas parce qu'ils sont l'essentiel de l'information aujourd'hui qu'il faut trop focaliser dessus...
Souffle bien fort dans ton ballon et prends du recul, tu verras tes enfants t'en seront reconnaissant et tu en profiteras d'autant plus...
Disons que l'un n'empêche pas l'autre car comme dirait l'autre "il y a un temps pour tout"... d'autant plus que j'ai tendance à tout faire pas loin d'à 100 %...
Quand je suis avec mes gosses je le suis à 100%, j'en profite à 100% et quand je me prends la tête, prends la tête ou y fait le vide c'est aussi à 100 %...
Non, non, tout ça me va trés bien... d'autant plus que comme le disait mon bon maitre au-dessus de tous les autres maitres, mon Yoda-Socrate, "une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue"...
Or moi les examens de tout ordre, scolaires, introspectifs, routiers, colo-rectaux, que sais-je encore, j'ai toujours adoré ça ;-)
"Or moi les examens de tout ordre, scolaires, introspectifs, routiers, colo-rectaux, que sais-je encore, j'ai toujours adoré ça ;-)"
Je comprends mieux maintenant. ;-))
C'est donc là que nos routes divergent...;-))
Melle E
Or comme disait Desporges "dix verges ça fait beaucoup" ;-))
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